Deux mois, deux longs mois n'auront pas suffi à la France pour d'abord admettre une évidence : celle de la flagrante et indiscutable innocence de Mohamed Ziane Hasseni, haut fonctionnaire algérien retenu en otage à Paris depuis le 14 août dernier, et, ensuite, faire son mea culpa non seulement auprès de l'intéressé, bafoué dans son honneur et livré à l'ignoble vindicte de cercles français nostalgiques et irréductiblement hostiles à notre pays, mais aussi vis-à-vis de l'Algérie, singulièrement absente sur une affaire qui aurait dû, en toute logique, mobiliser son appareil diplomatique, un appareil déjà déficient,à plus d'un titre et qui, en définitive, ne sortira pas grandi de cette affaire. Sans doute dans cette déplorable affaire, le diplomate algérien a-t-il le tort de véhiculer certaines tares rédhibitoires : celles d'être arabe et de s'appeler Mohamed. Il est significatif, à cet égard, de relever que son importante fonction ne lui aura pas épargné un traitement vexatoire et dégradant que nombre de nos compatriotes expérimentent douloureusement au jour le jour. Le recours forcé à la voie judiciaire, du fait des graves carences déjà décriées de l'institution qui a la charge de la protection des nationaux à l'étranger et qui aura pourtant lamentablement échoué à défendre l'un des siens – dont la corporation aura fait preuve d'une lâcheté inouïe – restera dans les annales comme l'une des pages les plus sombres de la diplomatie algérienne et un précédent qui pourrait réserver à notre pays et à ses dignitaires bien des surprises à l'avenir. Pour rappel, le 14 août dernier, Mohamed Ziane Hasseni, diplomate en déplacement en France, avait été interpellé à l'aéroport de Marseille-Marignane sous l'incroyable et scandaleux prétexte que son nom de famille présentait quelques similitudes avec le patronyme « Hassani », une personne recherchée dans l'affaire André Mecili, avocat français assassiné en avril 1987 à Paris. Les dénégations du diplomate algérien avaient vite été balayées par des fonctionnaires français vraisemblablement fermés à tout bon sens dès lors qu'il s'agit de l'Algérie et de ses ressortissants. Ainsi, en dépit du fait que ni le prénom, ni le nom de famille, ni le lieu de naissance et encore moins le parcours professionnel du diplomate algérien ne coïncidaient pas avec ceux de la personne recherchée, ces derniers avaient refusé d'admettre l'absence totale d'homonymie et de reconnaître leur erreur. Bien plus, des « sources judiciaires et policières » quasi aux aguets s'étaient empressées de jouer aux gorges profondes en renseignant très obligeamment et avec une célérité remarquable, les médias français sur cette arrestation et s'étaient autorisé des propos inadmissibles qui auraient dû, dans tout Etat qui se respecte, provoquer une enquête afin d'identifier et de sanctionner les auteurs de ces graves dépassements qui préjugeaient déjà de la culpabilité de notre compatriote en glosant sans vergogne sur le fait qu'il avait « tenté de faire jouer une question d'homonymie... sans succès ». Par la suite, des preuves irréfragables des affirmations du diplomate algérien avaient été présentées aux autorités judiciaires françaises mais, contre toute attente, ces dernières avaient tout de même décidé la mise en examen du haut fonctionnaire algérien et son placement sous contrôle judiciaire à Paris, dans l'attente du retour de congé du magistrat instructeur. Ce premier signe de mépris aurait dû alerter les instances pertinentes et provoquer une réaction qui soit à la mesure de l'offense. Las ! Il n'en a rien été. Ce juge d'instruction à l'origine d'un mandat d'arrêt contestable quant au fond et quant à la forme, avait lancé ledit mandat contre l'avis du ministère public, en se basant sur un seul témoignage, celui apporté quinze ans après les faits par un officier en rupture de ban, Mohamed Samraoui. Le témoignage naturellement partial de ce félon procède d'une machination et du règlement de comptes puisque M. Samraoui, en poste en Allemagne dans les années 1990, paraît vouloir prendre une revanche sur les représentants algériens alors accrédités en Allemagne, ce qui avait été le cas de Mohamed Ziane Hasseni, en sa qualité de consul général de 1997 à 2004. Comment, à ce stade, ne pas céder à la tentation de la digression et ne pas relever que, pour qui a poussé l'indignité jusqu'à trahir son pays, le sort d'une personne, fut-elle innocente, et cela, lui le sait pertinemment, importe peu. Du fait de l'absence de preuves et de la vacuité du dossier à charge, l'accusation avait vite été fragilisée et avait enregistré de sérieux revers tant il était évident que la justice française ne pouvait, en toute logique, prendre en compte les affirmations hargneuses et vindicatives du traître Samraoui, qui s'enferrera à deux reprises au moins et qui sera plusieurs fois contredit par le premier témoin dans cette affaire, Hichem Aboud. Cette situation avait été mise à profit par la défense qui avait notamment déclaré, le 1er septembre dernier, que « lorsqu'on part sur une quasi-homonymie qui ne veut pas dire grand-chose... c'est boiteux ». Elle avait ajouté avoir saisi la chambre d'instruction du tribunal de grande instance de Paris pour « annuler cette mise en examen et ce contrôle judiciaire qui n'ont aucune justification » et fait valoir que le juge B. Thouvenot commençait « à percevoir les failles de l'accusation », ajoutant que « le seul élément contre... provient de témoignages fluctuants du colonel Mohamed Samraoui, qui affirme que c'est M. Hasseni le coupable, sans apporter la moindre preuve » et que « la personne qu'il affirme avoir reconnue n'est absolument pas Hasseni ». Cette dernière avait, par ailleurs, mis en exergue le fait que le ministère public s'était prononcé contre la délivrance du mandat d'arrêt et fait remarquer « une chose qui est presque unique, c'est que l'accusation n'est pas soutenue par le parquet. Ce qui est rarissime ». L'appel de la mise en examen et du placement sous contrôle judiciaire de M. Hasseni avait été examiné le 26 septembre par la chambre d'instruction du tribunal de grande instance de Paris. Du fait de la manifeste inconsistance du dossier d'accusation, l'avocat conseil de la famille Mecili en avait été réduit à se focaliser sur des éléments sans impact et à insister sur l'importance des tests ADN et graphologiques. Le parquet avait renforcé les conclusions de la défense en confirmant sa demande d'annulation de la mise en examen. Et là, l'on reste stupéfaits mais surtout profondément indignés devant les graves incohérences du dossier à charge et surtout par le libellé du mandat d'arrêt qui concerne non pas une mais plusieurs personnes : Hassani, Hasseni ou Hacini. Comment cela a-t-il pu être possible dans un pays qui se considère comme un Etat de droit et, qui plus est, « patrie des droits de l'homme » ? Sans doute les noms arabes sont-ils considérés comme interchangeables et ces approximations proprement scandaleuses, cette attitude irrévérencieuse, porteuse de relents nauséabonds, nous remémore de très mauvais souvenirs : ceux du temps maudit des colonies où nous étions tous des Yaouled, des Fatma et des Mohamed. Aurait-on pu agir avec autant de légèreté avec des noms, disons français, par exemple ? Cela nous rappelle la pertinence des propos de maître Jacques Vergès qui avait relevé, au début de cette affaire, que « quand on a un mandat contre quelqu'un, ce mandat porte le nom véritable et le prénom et la date de naissance et le métier... S'il s'était appelé Jean Martin, né à Courbevoie, médecin à Créteil, on ne l'aurait pas arrêté parce qu'on recherche un individu nommé Pierre Marton, marchand de chaussures à Marseille et né a Martigues. Là il y a une discrimination, une désinvolture qui est proprement scandaleuse ». Et puis, falsification pour falsification, puisqu'il s'agit en définitive de cela, pourquoi avoir pris un nom si proche du patronyme originel et s'exposer aux suites que l'on sait ? Il faudrait savoir, à la fin, si les services de sécurité algériens, tant décriés, sont soit redoutables et donc pros parmi les pros, soit de piètres amateurs tout juste bons à creuser leur propre tombe ! A cet égard, ainsi que relevé fort intelligemment par un internaute : « Quant à falsifier, autant tout changer... Amar Bouzouar à la place de Hasseni et le tour est joué, né à Klington City, fils de Paul Newman et de Jeanne Woodward... ». A notre totale stupéfaction, la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris, qui avait mis en délibéré, le 14 courant, l'appel de la mise en examen, a décidé le rejet de la demande d'annulation de la mise en examen et du contrôle judiciaire et, à ce stade, même s'il est admis que les décisions de justice ne se discutent pas, en une affaire qui oppose, en définitive, deux Etats, dont l'un, et certainement pas celui que l'on croit, pourrait avoir pesé sur la décision des juges, des constats peuvent tout de même être tirés. D'abord que ce verdict est proprement scandaleux lorsque l'on a présent à l'esprit le fait que le dossier d'accusation ne reposait que sur un témoignage éminemment contestable, que la défense avait apporté moult preuves de l'innocence du prévenu et que le parquet avait rejoint la position de la défense. Alors que penser, aujourd'hui, d'une telle issue qui semble avoir été induite par des considérations absolument étrangères à la vocation originelle de la justice ? Nous ne pouvons nous empêcher, à ce stade, de nous référer à la lettre ouverte adressée, le 13 courant, par Madame Annie Mecili au Président français Nicolas Sarkozy, à laquelle des quotidiens et sites électroniques avaient assuré une large diffusion et dans laquelle cette dernière rappelait – comme si cela pouvait faire une différence ! – que son défunt mari s'appelait aussi André et était aussi Français et déclarait s'attendre à ce que la journée du mardi 14 octobre soit décisive en ce que la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris déciderait soit de suivre les réquisitions du parquet général favorable à l'annulation de la mise en examen, ou se prononcerait pour la poursuite de l'instruction. Y a-t-il eu ingérence et pressions de toutes sortes afin d'orienter la décision de la justice et cette démarche a-t-elle été porteuse ? En tout cas, ce que cette initiative puissamment relayée par des médias à la neutralité douteuse, suggère c'est bien un timing parfaitement ciblé et une intention délibérée de s'extraire du cadre strict de la justice supposée être indépendante, pour amener le pouvoir politique à user de son poids et de ses prérogatives en cette affaire et aboutir au contestable verdict politique rendu le 14 octobre dernier. Si une initiative similaire avait été le fait des proches du diplomate algérien, point n'est besoin d'épiloguer sur le battage médiatique qui aurait alors été orchestré par une certaine presse vertueuse française. Nous ne saurions conclure, Monsieur le Président, sans dire notre indignation et notre extrême frustration face à l'inqualifiable abandon d'un haut cadre de l'Etat qui se trouve livré pieds et poings liés, en véritable victime expiatoire, à un pays qui déjà faisait peu de cas du nôtre, mais qui, en cette affaire, aura toutes les raisons de nous mépriser, lui qui sait si bien défendre les siens, fussent-ils coupables ! Monsieur le Président de la République, l'évolution préoccupante de cette affaire si mal gérée par ceux que vous avez investis de votre confiance et qui auront mis deux mois pour commettre un communiqué sans consistance et indigne de la stature de l'Algérie fière et digne que vous vous employez à façonner avec une conviction d'airain et un engagement personnel admirable depuis 1999, rend nécessaire votre intervention. Elle la rend aussi urgente. Vous avez, par le passé, brillé au plan diplomatique et nous sommes persuadés qu'en cette affaire vous saurez déployer toute l'ingéniosité, le doigté et le talent auxquels vous nous avez habitués. Le sort d'un innocent dépend de vous tout autant que la restauration de l'image de marque – fortement écornée – de notre pays. Nous n'avons pas de doute que vous excellerez sur cette affaire qui n'aurait jamais dû prendre les proportions qu'elle a aujourd'hui et que vous saurez obtenir de la part de la France réparation : d'abord pour notre frère et fils, victime d'une insensée séquestration et qui supporte le sort peu enviable qui est le sien aujourd'hui avec une patience et une dignité qui forcent l'admiration, mais aussi pour l'honneur de l'Algérie qui est manifestement la véritable cible en cette affaire où le politique est manifestement omniprésent. Vous ne saurez, Monsieur le Président, faire moins que le Président français, le dirigeant d'un pays maghrébin ou encore d'un pays africain qui se sont distingués par des mobilisations exemplaires sur des cas autrement moins évidents que celui du diplomate algérien pris en otage en France ! Dans toute action que vous voudrez bien entreprendre pour laver l'honneur bafoué de notre frère et fils et permettre à l'action diplomatique algérienne de renouer avec les lettres de noblesse que, personnellement, vous avez su si bien inscrire en des temps glorieux, nous serons résolument à vos côtés, comme nous le serons, tout aussi résolument, lorsque le devenir et la conduite suprême de notre pays seront en débat. Des Algériens révoltés.