Chaque jour que Dieu fait, tôt dans la matinée, dans le même lieu, au niveau du carrefour jouxtant l'université et dans d'autres rues populaires de la ville de Bouira, des dizaines voire des centaines de journaliers, pères de familles dans la plupart, attendent qu'un entrepreneur y fasse une halte pour solliciter leurs services de manœuvres et/ou de bricoleurs. En effet, à défaut de trouver un gagne-pain durable, ces ouvriers assurent toutes sortes de métiers, mais dans la clandestinité totale, avec tout ce que cela suppose comme précarité et risques d'accidents, au demeurant non pris en charge par une quelconque police d'assurance. Leur seul souci, c'est de travailler pour subvenir aux besoins les plus élémentaires de leurs progénitures. Ces bosseurs marginalisés, ou du moins ceux que nous avons interrogés, affirment qu'ils n'ont aucun avenir, étant entendu qu'ils ne sont pas assurés pour la vieillesse. Saïd, la quarantaine, habitué du coin, lâche comme pour se plaindre « cela fait une vingtaine d'années que j'ai épousé cette méthode de prospection, au quotidien, d'un gagne-pain. Je me lève à 4 heures du matin, pour être au rendez-vous à l'heure du passage des transporteurs de gros tonnage, qui nous embarquent pour faire décharger des tonnes de sacs de ciment ou le chargement du sable dans les sablières situées à la sortie de la ville. Nous devons négocier d'abord le prix de ce dur labeur qui oscille généralement entre 3000 et 4000 DA pour le déchargement de quelque 100 quintaux de sacs de ciment. Laquelle somme que nous partageons à quatre, soit mille dinars chacun », avant d'enchaîner « c'est la misère, nous n'avons pas d'autres choix que de nous retrousser les manches et travailler comme des galériens ; à défaut, nos familles vont crever ». Effectivement, mal habillés, mal nourris, les « Zouafra », comme ils sont appelés communément par les Bouiris, vivent une situation de précarité peu envieuse. Ces ouvriers, on les croise aussi dans les sablières, ou dans les marchés publics, toujours en quête d'un gagne pain. Une situation qui ne semble pas susciter beaucoup d'interrogations au niveau de l'inspection du travail. « Nous ne sommes pas déclarés à la sécurité sociale. Si tu oses demander cela à l'employeur, il te vire sur le champs pour recruter d'autres « Zouafra » qui ne viennent pas à manquer, les bourgeois refusent qu'on leur demande nos droits… », renchérit-il. « Nous sommes des esclaves… », enchaîne un autre ouvrier ayant à peine 30 ans, visiblement épuisé par les rudes tâches quasi-quotidiennes. Dans la ville de Bouira, il suffit juste d'effectuer une petite tournée, notamment chez les propriétaires des sablières qui se comptent par dizaines, pour constater de visu cet état de fait. Lors de notre tournée en compagnie de Saïd qui a tenu à nous guider à travers l'ex-rue de France où ce genre de marché du travail est devenu ordinaire. « Restez avec nous quelques minutes pour voir de près », dira-t-il. Même pas une demi-heure, un particulier de passage, visiblement pressé, dira à Saïd « je voudrais que vous veniez avec moi, j'ai un égout qui a éclaté juste à l'entrée de ma villa ». Il n'a même pas daigné demander aux ouvriers combien cela va lui coûter. Saïd lui a demandé 3000 DA pour le travail de deux personnes. Le concerné a vite récusé cela préférant négocier avec d'autres moins-disants, guettant chaque occasion pour travailler. Par ailleurs, est-il nécessaire de signaler que cette catégorie d'ouvriers qui accomplissent des tâches dans les chantiers (le collage des dalles, réfection des réseaux d'assainissement…) n'est pas à l'abri des maladies et des risques d'accidents de travail. Et cela n'est plus un souci pour les privés qui sont plutôt motivés par le gain facile et une main-d'œuvre bon marché. L'intervention des pouvoirs publics et de l'inspection du travail est plus que jamais attendue pour rétablir la situation et faire valoir la législation protégeant le travailleur.