Sans surprise, les prix des fournitures scolaires sont de plus en plus inaccessibles. Certes, le choix est largement disponible et pour toutes les bourses. Mais, pour les petits budgets, il ne faut repasser pour la qualité. Le DZ n'arrive toujours pas à s'imposer. Voyage dans les coulisses d'un marché «rentable». On est lundi, 14h, à deux jours de la rentrée officielle des écoles, la course aux fournitures scolaires a été lancée il y a plusieurs jours déjà. Dans un magasin spécialisé à Alger-Centre, les parents se précipitent avec leurs enfants pour faire les emplettes de fournitures scolaires et préparer la rentrée. Certains vérifient les marques, d'autres font leurs achats et se précipitent vers la caisse fuyant la chaleur et le monde présent au magasin, des parents se contentent de prendre un cahier, regarder son prix, puis le remettre à sa place. Sur leurs visages, la tentation, l'hésitation et beaucoup d'interrogations. La cause ? La plupart des prix des principaux articles scolaires sont très hauts. Des cahiers à 250 DA, des trousses à partir de 300 DA, les protèges cahier de 600 DA jusqu'à 800 DA le paquet de dix… avec des prix pareils, la rentée scolaire est devenue un vrai casse-tête pour les familles algériennes. «Je suis choquée par les prix qu'on affiche ! On se croirait dans un magasin de vêtements, pas de fournitures scolaires ! Et ça va de mal en pis. L'année dernière déjà on dénonçait les prix exorbitants, cette année ça devient inaccessible !» déplore une mère de famille. «Si moi, avec un seul enfant scolarisé, j'ai du mal à m'en sortir avec ces prix, je me demande comment un père de trois ou quatre enfants va faire !» poursuit-elle. Budget Hinda, employée de 41 ans, prépare la rentrée scolaire de ses deux enfants. Lundi, elle s'est rendue dans un grand magasin à Chéraga pour faire le plein pour la rentrée. «Mes deux enfants sont scolarisés en primaire et je viens de débourser plus de 9000 DA pour quelques cahiers, stylos, crayons de couleur et d'autres petits accessoires… Je n'ai pas pu leur acheter les sacs à dos, ni les trousses ni les tabliers… Il me faudra un autre budget pour ce qui manque…», raconte la jeune maman. «Cette période devient un poids pour les familles et c'est malheureux parce que tout parent veut faire plaisir à ses enfants en leur offrant une belle rentrée et les encourager à faire des efforts à l'école. C'est tout simplement honteux et désolant d'en profiter comme ça», poursuit-elle. Parmi les magasins d'articles scolaires les plus visités en cette période, la chaîne Techno est en tête. Et si certains les choisissent à cause du grand choix et de leur grande surface, d'autres les évitent et fuient leurs prix estimés très élevés. Djaber Baamara, le marketing manager de Techno Algérie, justifie ces prix par la qualité des produits qu'ils proposent et parle d'«expérience shopping». Il explique : «Pour la question des prix, c'est une relation qualité/prix en plus de l'expérience shopping exceptionnelle qu'offre Techno à ses clients, ajouter à cela la conjoncture économique qui a influencé sur la valeur de notre monnaie nationale et la hausse du dollar qui impact directement les prix.» Par ailleurs, Djaber Baamara avance que la chaîne Techno affiche des prix pour toutes les bourses, donnant l'exemple de sac à dos qui peuvent aller de 1300 DA jusqu'à atteindre les 15 000 DA, ou le cahier Oxford qui est une marque de renommée mondiale, dont le 96 pages coûte presque 250 DA, par contre le cahier Maped est à 75 DA, ou pour d'autres marques à 55 DA. Vu ces prix, et tenant compte des quelque 9 millions d'élèves qui ont regagné les sièges des écoles mercredi dernier, le marché des fournitures scolaires représenterait une source économique juteuse pour ses actifs. DZ Selon El Hadj Tahar Boulenouar, président de l'Association nationale des commerçants et artisans algériens (Anca), ce marché est estimé à environ 150 milliards de dinars. «Jusqu'à présent, il n'y a pas eu d'étude reconnue et fiable sur le coût du marché des fournitures scolaires en Algérie, mais selon nos estimations, cette activité représente environ 150 milliards de dinars. Durant la période de la rentrée scolaire, les familles algériennes dépensent quelque 100 milliards de dinars, et 50 milliards durant le reste de l'année pour les fournitures scolaires», affirme-t-il. Pour ce qui est de la problématique des prix élevés, le président de l'Anca explique que ces derniers dépendent de plusieurs facteurs, dont l'importation, l'offre et la demande, ou encore la dévaluation du dinar. «Il faut savoir que 70% du commerce des fournitures scolaires est basé sur les produits d'importation, dont une grande partie nous provient de Chine. Ajoutant à cela la dévaluation du dinar, qui a impacté tous les commerces et toutes les importations.» Et d'expliquer que les produits importés coûtent de plus en plus chers et cela va de soit pour les produits fabriqués localement à base de matières premières importées comme c'est le cas des fournitures scolaires Made In DZ. Donc le prix de tout ce qui est importé ou fabriqué à base de matière première importée dépend du cours du dinar algérien dans la Bourse internationale. Par ailleurs, El Hadj Tahar Boulenouar a mis l'accent sur le fait que, cette année, «la marchandise de la plupart des commerçants d'articles scolaires vient du stock de l'année passée et a été importée en 2017, ce qui explique des prix qui n'ont pas beaucoup changé». «Dans ce marché, les prix ne seront jamais administrés et ne peuvent être contrôlés. Et c'est le cas de tous les marchés non subventionnés. Dans ces activités, les prix dépendent toujours du facteur de l'offre et de la demande. Ajoutant à cela le coût de la monnaie nationale», souligne-t-il. Informel Les parents plus malins optent pour les petits libraires du quartier, ou encore les tables informelles qui apparaissent durant cette période de l'année. Chez ces derniers, on retrouve les mêmes produits que dans les grands magasins, la même diversité de choix, mais avec des prix plus accessibles. C'est le cas de Karim, 52 ans, qui ne trouve aucune «logique» à aller dans un «grand magasin de fournitures scolaires aux prix exorbitants». Il explique : «A mon avis, il faut éviter les grands magasins réputés, car une fois connus, ils augmentent les prix sans aucune logique ni explication. Leur rapport qualité/prix est défavorable pour le consommateur algérien… Personnellement, ça ne me dérange pas d'acheter ce dont j'ai besoin chez le petit libraire du quartier, plus intéressant et chez qui les prix sont jusqu'à 40% moins chers comparés à ceux des grandes surfaces.» Faiza, une mère de famille de 45 ans, choisit une autre destination pour préparer la rentrée de ses trois gosses scolarisés. Bien que ce soit loin de chez elle, cette dernière préfère prendre le métro direction la place des Martyrs et faire ses courses chez les vendeurs informels qui affichent des prix plus bas que les commerçants légaux. Elle témoigne : «Avec trois enfants, la liste des fournitures de la rentrée est très longue… des dizaines de cahiers, protèges, trousses, registres, sacs à dos et tous les accessoires… Pour moi, il est impossible d'acheter chez un libraire ou dans un autre magasin. Ces vendeurs informels proposent les mêmes produits à des prix plus raisonnables.» Bénéfices En effet, selon le président de l'Anca, environ 30% des produits scolaires sont commercialisés sur le marché informel. Des tables envahissent les rues à chaque rentrée scolaire et affichent des prix inférieurs à ceux des libraires. Pour lui, cette différence des prix peut être justifiée par deux raisons. Commençant par le fait que les vendeurs de l'informel n'ont pas de charges à payer, ni location, ni impôts… Ils peuvent se permettent des prix plus bas que les commerçants légaux et faire quand même des bénéfices. «Le marché de l'informel est d'ailleurs devenu un moyen de fraude fiscale. Certains fournisseurs, qui possèdent d-e la marchandise stockée, qui n'ont pas de registre de commerce et donc ne peuvent pas l'écouler via le commerce légal, choisissent de vendre leurs produits via des vendeurs informels contre un petit bénéfice à l'unité», dénonce-t-il. Par ailleurs, il ne faut pas oublier le phénomène de la contrefaçon. Les produits contrefaits se vendent plus facilement parce qu'ils sont plus accessibles que les autres produits de premier choix. «Ce fléau nous cause de grands problèmes avec les fidèles de nos marques, notre service juridique traite des dizaines de dossiers de contrefaçon chaque année pour la marque Techno ou les autres marques distribuées par Techno, entre autres Maped», ajoute Djaber Baamara. «Trabendistes» Par ailleurs, en plus des produits importés, on retrouve sur le marché des fournitures scolaires des produits algériens à des prix plus bas, mais qui pourtant peinent à s'imposer. En effet, si le consommateur ne cesse de dénoncer les prix de ces articles, c'est aussi parce que pour lui, le plus cher est mieux que l'accessible. M. Boulenouar le confirme : «Bien qu'il y ait des produits algériens de bonne qualité sur le marché, le problème qui contre la commercialisation est ce sentiment de manque de confiance envers tout ce qui est fabriqué en Algérie.» Djaber Baamar, quant à lui, souligne que, d'une part, «l'attitude du consommateur algérien a beaucoup changé depuis l'ouverture du marché et il devient plus exigeant en termes de qualité, le marché local n'a pas suivi le changement de comportement du consommateur en lui proposant des produits de qualité, ce qu'il trouve chez les marques étrangères, ce qui explique ce monopole». d'autre part, le marketing manager de Techno Algérie explique aussi que le consommateur algérien a compris la logique qu'«il faut payer plus pour mieux économiser. En payant par exemple un sac à dos à 4500 DA, ce dernier peut tenir de 3 à 4 ans. Ce qui évite aux parents de faire chaque année la même dépense. Par contre, s'ils achètent un sac à moins de 1000 DA, je vous garantis que ce dernier ne va pas tenir pour la même année scolaire.» Côté affaires, Djaber Baamar affirme que «la situation du marché va de plus en plus vers la stabilité vu la politique de l'Etat qui vise de plus en plus sur la gestion du secteur et l'élimination des ‘‘trabendistes'' et opportunistes qui parasitent le marché».