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Les prochains médicaments ou des «ordonnances sur mesure»
Publié dans El Watan le 15 - 01 - 2007

En effet, l'ADN* ou génome humain est bien la propriété de tout un chacun et ne pourrait donc être sujet à une quelconque commercialisation. Les chercheurs ont donc devant eux d'énormes perspectives de mettre au point des possibilités thérapeutiques pour de nombreuses maladies graves (cancers, maladies cardiovasculaires et neurodégénératives, infectiologie, diabète…).
L'avenir du médicament va reposer en grande partie sur les biotechnologies. Déjà, un grand nombre de médicaments comme des vaccins ou des traitements anticancéreux notamment en sont issus.
Disposer, aujourd'hui, d'un vaccin contre la maladie de parkinson ou d'alzheimer, le sida, le cancer du poumon, le paludisme, les allergies alimentaires… n'est pas une réalité mais ce n'est déjà plus une utopie pour demain.
À l'origine, le gène
Dans un avenir pas très lointain, on prescrira encore un peu d'aspirine mais toutes les grandes maladies seront traitées à la «source» et spécifiquement. A ce propos et dans beaucoup de contrées, le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, en particulier en médecine, doit d'ores et déjà repenser complètement les programmes de formation des praticiens d'un futur très proche si on ne veut pas que ces derniers soient complètement dépassés par leurs confrères sous d'autres cieux.
Tout est parti de l'ADN ou acide désoxyribonucléique. Cela a valu un prix Nobel en médecine en 1962. En effet, James Watson et Francis Crick ont découvert la structure moléculaire de cette fameuse double chaîne qui recèle tous les «secrets» de la vie.
Il s'agira d'introduire, dans l'organisme malade, un gène qui sera à l'origine d'un apport d'un composé manquant comme une protéine* (exemple de l'insuline pour le diabète…) à l'origine d'une maladie, d'un blocage d'un processus à l'origine d'une maladie (cancers, maladies neurodégénératives, sida…) ou apporter certaines substances comme des antibiotiques directement dans des produits de consommation comme le lait. L'intervention peut être comparée, comme chez le mécanicien automobile, à un remplacement d'une pièce de rechange défectueuse par une pièce neuve. Le médicament est entré dans une nouvelle ère, celle des biotechnologies. Un terme scientifique qui englobe une variété de techniques ayant pour point commun la manipulation des organismes vivants.
En découvrant l'ADN, en élucidant sa structure, les chercheurs ont ouvert de nouvelles voies thérapeutiques. Ils arrivent à mieux comprendre le fonctionnement du corps humain ainsi que les mécanismes moléculaires des maladies. Ils savent quels sont les gènes, les protéines, les enzymes qui interviennent dans un processus pathologique et comment ces éléments interagissent. Cette connaissance leur fournit des armes pour développer des traitements qui imitent l'arsenal défensif employé par l'organisme, en manipulant les gènes, en fabriquant des protéines, les enzymes, les anticorps et autres substances produites par notre corps pour combattre les maladies. C'est ainsi que le premier médicament issu des biotechnologies est apparu en 1984. Après avoir identifié le gène impliqué dans la production d'insuline, les chercheurs sont parvenus à reconstituer artificiellement ce processus pour produire de l'insuline «humaine». Depuis, le produit administré aux personnes diabétiques est la réplique exacte de l'insuline fabriquée par notre organisme, et non plus de l'insuline extraite du pancréas de porc, comme c'était le cas auparavant. Ainsi, plus d'une centaine de traitements nés de ce concept, appelé «protéines recombinantes», sont aujourd'hui disponibles sur le marché. Ils traitent notamment l'anémie, les déficiences de croissance chez l'enfant (hormone de croissance), l'hémophilie… Quatre cents autres sont en phase d'étude clinique.
Les cancers
Les chercheurs agissent sur l'infiniment petit. Ils interviennent sur les gènes et les produits des gènes qui sont les protéines en les activant ou en les bloquant pour stopper le processus qui mène à une maladie. C'est le cas, par exemple, des anticorps dits «monoclonaux». Ce sont des protéines spécifiques produites par le système immunitaire (défenses immunitaires) pour détruire les agents infectieux, que les scientifiques immunologistes ont transformés en molécules capables de cibler une cellule* (cancéreuse ou infectée) et d'agir uniquement sur elle. Leur production et leur sélection obéissent à un processus (criblage) très spécialisé. L'intérêt est évident. Car dans les traitements actuels du cancer, les produits chimiques (chimiothérapie) utilisés détruisent les cellules sans toujours faire de distinction entre celles qui sont saines et celles qui sont atteintes. L'anticorps monoclonal est destiné, lui, à n'intervenir que sur la cellule cancéreuse. Plus de 160 traitements, actuellement en phase d'essais cliniques, sont des anticorps monoclonaux.
En 2006, le prix Nobel de médecine a été attribué à Andrew Fire et Craig Mello pour, de nouveau, le domaine du transfert des gènes ou thérapie génique en particulier concernant l'ARN* ou acide ribonucléique «interférent». L'ARN est en fait le messager de l'ADN, donc du gène. Il est un composé intermédiaire nécessaire dans la transmission des informations pour la fabrication des protéines qui sont les éléments de base de tous les processus biologiques. En se liant avec l'ARN messager, un autre type d'ARN (l'ARN interférent) provoque la destruction de ce dernier et donc inhibe la synthèse de la protéine correspondante. Dans le cas où cette protéine est responsable d'un état pathologique, le blocage de sa fabrication peut présenter un grand intérêt thérapeutique. Les premiers médicaments issus de cette nouvelle approche génique pourraient être disponibles d'ici cinq à dix ans pour le traitements de cancers et d'infections virales.
Maladies neurodégénératives
Une des perspectives thérapeutiques les plus enthousiasmantes aujourd'hui à l'étude est la manipulation pharmacologique in situ (dans l'organe cible) ou pharmacogénétique des propres cellules souches d'un individu. Certains facteurs arrivent à stimuler la multiplication des cellules souches du cerveau en vue de guérir les maladies neurodégénératives. C'est une possibilité à long terme. On pourrait presque parler de la pilule de la jouvence puisque le but est de déclencher, avec de tels composés, la production de tissus venant remplacer ceux malades ou altérés.
Ainsi, une équipe de chercheurs a découvert qu'une partie du mécanisme d'action des antidépresseurs passait par la stimulation et la multiplication de cellules souches au niveau du cerveau des individus traités. Cette nouvelle approche thérapeutique n'est donc pas un rêve inaccessible, c'est une réalité potentielle.
Actuellement en ce qui concerne la maladie de Parkinson, les armes contre la maladie sont représentées par des médicaments et des électrodes.
Puisque la maladie résulte d'un déficit d'un neurotransmetteur appelé dopamine, il suffit d'en fournir au malade. La dopamine en tant que telle, sous forme de médicament, n'arrive pas jusqu'au cerveau. Par contre, l'administration d'un précurseur de la dopamine se traduit par un acheminement jusqu'aux cellules nerveuses qui le transforment en dopamine. Les résultats, quoique réels, ne sont pas toujours à la hauteur souhaitée par le patient.
C'est pourquoi le professeur Alim-Louis Benabid du CHU de Grenoble (France) a mis au point la méthode dite «stimulation intracérébrale profonde». Elle est réalisée par une implantation, dans un noyau du cerveau, d'électrodes alimentées par un courant électrique. Une telle stimulation contrôlée se traduit par une inhibition des tremblements chez le patient. Cette intervention, très minutieuse, est réalisée avec l'aide d'un robot qui indiquera au chirurgien, précisément, l'endroit exact de l'implantation de l'électrode. Ainsi, le patient, sous simple anesthésie locale, va participer lui aussi par sa collaboration à une mise en place adaptée du matériel implanté et l'observation in situ de l'effet de cette stimulation profonde.
En attendant demain…casser un tabou avec les médicaments génériques
Le médicament générique*, à côté du médicament original (médicament princeps*), a pleinement sa place dans l'arsenal thérapeutique, dès l'instant où les brevets ont expiré. Sur le plan scientifique, il a exactement la même composition chimique que le médicament d'origine (même quantité de principe actif et même forme pharmaceutique) et a subi, au cours de sa fabrication, les mêmes contrôles (bioéquivalence) que le médicament d'origine. Tout le monde en convient.
De plus, il s'agit d'un outil de régulation et d'économie des coûts même si la santé n'a pas de «prix».
Il serait intéressant que le lecteur sache le processus de l'élaboration d'un médicament générique à partir du médicament original.
– 1- On fait un criblage en identifiant une molécule en fonction de la recherche fondamentale pour lutter contre une maladie, en réponse à une stratégie d'entreprise. Puis on constitue des équipes et des procédures de recherche.
– 2- On évalue les effets de la nouvelle molécule en procédant à des essais in vivo chez l'animal de laboratoire pour vérifier la toxicité du nouveau produit.
– 3- On procède aux essais cliniques en 3 phases :
– Phase I : la molécule est administrée à un échantillon limité de patients volontaires pour vérifier l'innocuité du produit.
– Phase II : le médicament, ayant passé la phase I, est administré à des malades pour définir à quelles doses il est efficace et bien toléré.
– Phase III : le médicament est administré à un grand échantillon de patients pour apprécier sa bonne tolérance.
– 4- Un dossier d'autorisation de mise sur le marché (AMM) est constitué et présenté à l'agence de sécurité sanitaire des produits de santé. Le dossier est ensuite contrôlé par une commission de transparence qui donne son avis sur le service médical rendu, et fixe ensuite le prix du médicament élu et son taux de remboursement.
– 5- Le médicament passe en phase de production et les visiteurs médicaux se chargent d'informer les médecins sur son utilisation. Une fois sur le marché, le médicament reste sous contrôle de tous les acteurs impliqués dans la production, la prescription, la vente et la consommation du médicament (observations des effets, notifications…).
– 6- Après 10 ans ou plus post-AMM, le brevet expire et le médicament continue alors sa vie sous sa marque d'origine ou sous le nom d'un générique qu'il faudrait faire enregistrer auprès des autorités publiques chargées de la santé.
Le lancement d'un médicament générique fait l'objet d'un dossier d'AMM comparable à celui du médicament d'origine (étude administrative, rapports d'experts, dossier pharmaceutique, dossier bibliographique, étude de la bioéquivalence).
Le succès d'une telle procédure permettra l'interchangeabilité entre le médicament d'origine et le médicament générique. Ici, les pouvoirs publics sont tenus à l'information et à la formation du prescripteur et du pharmacien qui à leur tour doivent jouer un rôle crucial auprès des consommateurs pour que la «culture» du médicament générique puisse devenir un geste normal. Néanmoins, le consommateur est libre de faire son choix mais aussi, pour les pouvoirs publics, il est tout à fait justifié que tout médicament, remboursable par la Caisse nationale de sécurité sociale et ayant une forme générique, soit remboursé sur une base du prix du médicament générique.
Sans le mettre sur un piédestal, il est indéniable que le médicament a participé à l'allongement de l'espérance de vie moyenne de quinze ans constaté en un demi-siècle. Rendons-lui cet hommage. Les populations du monde entier lui font plutôt confiance. Il est vrai que les ménages en consomment excessivement à cause d'une situation qui semble découler des habitudes de prescription et de consommation, facilitées par une couverture sociale relativement confortable.
Cet usage, sans doute excessif, a justifié la politique d'économie et de déremboursement menée par plusieurs gouvernements de par le monde. Du coup, l'industrie pharmaceutique craint de ne plus disposer de moyens suffisants pour financer ses recherches. C'est pourquoi «inventer la molécule miracle», peut-être grâce aux «prochains médicaments» (thérapie cellulaire, thérapie génique…) qui sauraient réaliser la synthèse entre équilibre des comptes sociaux et progrès de la santé publique et surtout que les patients ne fassent pas les frais de cette bataille.
Lexique
– ADN ou acide désoxyribonucléique : molécule présente dans le noyau des cellules de tous les êtres vivants. Elle contient les gènes, support de l'hérédité.
– ARN ou acide ribonucléique : molécule présente, elle aussi, dans les cellules de tous les êtres vivants. Elle joue un rôle essentiel dans la synthèse des protéines. Il y a différents types d'ARN, dont l'ARN messager, qui transporte l'information portée par l'ADN, et l'ARN de transfert, qui utilise cette information pour fabriquer les protéines.
– Cellule : unité de base microscopique de tous les êtres vivants. Un ensemble homogène de cellules forme un tissu, lequel, à son tour, peut former un organe.
– Gène : morceau de l'ADN contenu dans le noyau de nos cellules qui porte le plan de fabrication d'une protéine. Les gènes sont porteurs des informations relatives aux caractéristiques d'un individu.
– Protéines : molécules aux fonctions très variées, présentes chez tous les êtres vivants et indispensables à la vie de la cellule et de l'organisme tout entier.
Fabriquées par nos cellules à partir de l'ADN et grâce au code génétique, elles sont à la base de tous les processus physiologiques.
– Médicament princeps ou molécule d'origine : molécule ayant démontré, pour la première fois, un effet principal sur une pathologie donnée. La firme pharmaceutique à l'origine de la découverte protège la molécule par un brevet (environ 10 ans) lui permettant la production exclusive d'un tel médicament.
– Médicament générique : il s'agit d'une copie conforme au médicament princeps tombé dans le domaine public (expiration du délai du brevet), renfermant la même quantité de principe actif, la même présentation pharmaceutique et la même équivalence thérapeutique que le médicament princeps.
L'auteur est Directeur de recherches
Service d'immunologie des transplantations et des déficits immunitaires,
Pavillon P, Hôpital E. Herriot, Lyon, France
– e-mail : [email protected]


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