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Le refus du miroir
Publié dans El Watan le 18 - 10 - 2007

–Vous vous êtes particulièrement intéressé à ses autoportraits…
– L'autoportrait d'un peintre est un acte complexe et difficile parce qu'il se projette sur la toile et acquiert une sorte de majorité artistique. Il devient capable de se voir. Dans son premier autoportrait en 1949, Issiakhem franchit une frontière invisible en affirmant son appartenance au monde des peintres. Mohamed Khadda m'avait dit combien il lui avait été difficile de faire son autoportrait, d'ailleurs tardivement. Temmam, Ali Khodja ont également fait leur autoportrait. C'est quelque chose de significatif, de fort.
– C'est une pratique universelle et relativement ancienne. Van Gogh, Velasquez…
– Oui, on peut citer aussi Dürer qui prit un risque à la fois métaphysique et politique en se peignant lui-même avec une figure du Christ. Il va faire école en se posant lui-même comme sujet et thème. C'est un moment où la Renaissance explose avec de Vinci, Michel Ange… Le cas d'Issiakhem me paraît extraordinairement fertile du point de vue de l'histoire de l'art, puisque trois autoportraits jalonnent son parcours : sa jeunesse, en 1949 puisqu'il est à l'école ; le milieu de sa vie, en 1976, avec cet autoportrait où il est un peu Neptune avec sa main flamboyante, un regard fort, une tête magnifique et, en même temps, une sobriété, pas de couleurs extravagantes, mais mates et obscures, toute la lumière étant concentrée dans ce regard et cette main blanchie, une sorte de blanc de zinc qui arrête je ne sais qui, un agresseur, une menace ? Enfin, l'autoportrait de 1985, avec des traits très sobres avec un regard d'interrogation d'au revoir, d'adieu… Avec sa petite chéchia qui lui donne un air de Pierrot sur la Lune. C'est tout son héritage de peintre, tout ce qu'il offre à ceux qui aiment l'art. Comme s'il disait : je suis cet homme qui franchit la dernière barrière ou limite ; après, vous aurez mes œuvres pour me regarder pour l'éternité.
– Peut-on affirmer que pour Issiakhem, comme pour les autres peintres, l'autoportrait c'est le refus du miroir et peut-être aussi du principe de réalité?
– Exactement. Comment se voit le peintre en se peignant ? Il peint en fait son monde intérieur, tout ce qui n'est pas visible et ne peut l'être, et qui n'est pas verbalisé. Issiakhem ne parlait que difficilement de lui. Avec l'autoportrait, il franchit une barrière. Il se donne à voir dans ses conflits, ses contradictions et ses attentes à un moment. Je crois que dans l'histoire de l'art, il est l'un des peintres au monde, pas d'Algérie seulement, qui a réactivé et revivifié l'expressionnisme en lui donnant une nouvelle richesse plastique.
– Vous abordez dans votre livre les rapports entre la folie et l'art. Vous faites référence à la dépression d'Issiakhem en 1957…
– Ce qui marque son adolescence, c'est ce terrible accident. Il faut imaginer l'inimaginable ! Il vole une grenade. Elle explose, tue deux de ses petites sœurs et son neveu et lui arrache un bras. Il a 15 ans ! Et il plonge après dans les affres de la guerre de libération. Il est extrêmement perturbé, fatigué. Et en 1957, il n'est pas interné mais accueilli dans la clinique du Dr Jean Oury. D'ailleurs, Malek Haddad va venir le rejoindre, ainsi que Kateb Yacine et Khaled Benmiloud qui terminait ses études de psychiatrie dans cette clinique. Le Dr Oury m'a dit qu'il était dans un état de névrose obsessionnelle. Toute sa vie, il sera dans ce refus de la réalité et en même temps de recherche de la vérité. Et comme la vérité ne se trouve pas au coin de la rue, il va la chercher dans la peinture. La folie a toujours préoccupé les créateurs, qu'ils soient poètes ou peintres. Van Gogh en est un exemple. Goya, dont je parlais, allait dans les asiles observer et peindre les fous. Il rend l'extériorité de leurs figures hagardes, de leurs regards éteints… Alors que Jéricho qui allait à la Salpetrière peindre également des fous peignait leur intériorité, essaie de comprendre ce qui se passe derrière la façade des visages et des regards. Et il va restituer d'une façon extraordinaire ces personnages affaissés qui semblent porter une douleur infinie.
– Vous affirmez que lors de vos 20 ans, Issiakhem était l'un de vos repères dans l'algérianité et dans l'art. Vous n'avez plus 20 ans. Ne trouvez-vous pas excessif de ramener l'algérianité à une personne ?
– Comment accéder à l'Algérie ? Je suis issu d'une famille émigrée lors de la Seconde Guerre mondiale. Mon père était un soldat «indigène». Il a bouté les Allemands au nord des frontières françaises. Et il nous a ramené en 1948 en France. J'ai été scolarisé à l'école de Vercingétorix. Je connaissais Jeanne d'Arc, Napoléon, les Trois mousquetaires. Mais je ne connaissais pas la Kahina, l'Emir Abdelkader, Fatma N'summer, etc. C'est grâce à un instituteur algérien de Poitiers que j'ai découvert les artistes et écrivains algériens et que je suis entré dans l'esprit et l'âme de l'Algérie. Plus tard, j'ai lu le monologue de Lakhdar, rue des Vandales à La Casbah. Ce texte est l'un des plus beaux au monde. C'est un texte à la Homère. Dans mon livre sur Kateb, j'exagère bien sûr, mais je dis que ce texte devrait être le préambule à la Constitution de l'Algérie. Bon, je réduis un peu mes ambitions mais je dis qu'il devrait être lu par tous les enfants scolarisés en Algérie à tous ceux qui accèdent par exemple au lycée.
– En écrivant sur eux, votre proximité à ces deux personnages vous a-t-elle obligé à lutter contre votre subjectivité ?
– D'abord, c'est une immense fierté et un orgueil de les avoir connus, d'avoir traîné dans leur sillage et d'avoir été accepté par eux. J'ai connu l'un et l'autre en 1962. Je sortais de prison de Toulouse en tant que membre permanent de la Fédération de France du FLN. J'avais abandonné le lycée à la grève de 1956. Je les connaissait un peu par les récits qu'on me faisait d'eux. Les rencontrer a été un choc pour moi. Il m'a été impossible d'écrire sur eux tant que je vivais près d'eux, mais je les écoutais, je les suivais. C'était orageux, mais sans agressivité, constamment dans la zone des tempêtes, l'œil du cyclone qu'ils étaient. Ce que j'entendais était d'une finesse, d'une intelligence et d'une beauté inimaginables. J'apprenais à aimer la poésie, la peinture, la littérature en étant tout simplement là, presque par un phénomène magnétique. Je me suis mis à lire alors. Et c'est seulement après leur mort que j'ai écris sur eux. Avec Kateb, on avait commencé à travailler sur un projet de biographie. J'avais enregistré une quarantaine de cassettes. Cela a été une précaution extraordinaire. Yacine est mort en 1989, mais le livre est sorti en 2006. Donc 16 ans sont passés et ma subjectivité s'est bonifiée. Elle est devenue plus humaine en passant par le filtre de l'écriture. Evidemment, je n'ai pas évité les excès de lyrisme ni cet orgueil d'avoir connu de tels monuments. Nécessairement, cela retentit sur l'écriture. Mais si ma subjectivité était excessive, eux n'étaient-ils pas parfois des personnages excessifs ?
– Vous abordez le parcours artistique d'Issiakhem, ses sources, ses influences… Mais, en même temps, il reste inclassable…
– Issiakhem comme Kateb étaient de grands curieux. Ils lisaient beaucoup, avec une capacité d'assimilation hors du commun. Kateb avait un don de lecteur incroyable. Il a lu Dostoïevski à 15 ans. Au même âge, on lisait Les trois Mousquetaires, Sans famille et des illustrés. Lui, à 16 ans, il s'est attaqué à Joyce, Faulkner… Issiakhem visitait les musées et galeries sans arrêt. A Paris, il avait fait l'Ecole supérieure des beaux-arts et l'école Estienne de gravure. Il a donc une culture fabuleuse dans l'histoire de l'art. Son génie – c'est en cela qu'il est inclassable – c'est qu'il produit son art avec son imaginaire d'Algérien, de Maghrébin, d'Africain, d'Amazigh. Il y a toujours une trace dans ses tableaux de cet imaginaire et de ce patrimoine. Mais ce n'est pas : je mets un signe amazigh là et donc je produis un art authentique… Non, c'est dans la structure même, la morphologie du tableau, comme dirait Goethe, que l'on retrouve cela. Chez lui, le dessin, c'est l'âme du tableau, c'est la probité même de l'œuvre car on ne le voit pas, il est derrière…
– On vous sent presque écrasé par le poids d'une responsabilité. Allez-vous continuer à produire sur leur œuvre et leur vie ? Est-ce leur faible présence dans notre quotidien qui vous anime ?
– Je vais presque vous remercier de la question car je me demandais si j'allais en parler moi-même. Je voudrais que ce fardeau magnifique soit partagé. Je lance un appel à travers El Watan au président de la République, à Mme Khalida Toumi et à tous les ministres concernés pour leur dire : nous avons deux personnages emblématiques, porteurs de sens et trésoriers d'une sensibilité qui mérite d'être portée et reconnue par tous les Algériens et par le monde. La Bibliothèque nationale devrait s'appeler Kateb Yacine. Des institutions de prestige, des universités devraient porter le nom de ces personnages pour qu'ils soient reconnus et pour que la curiosité des jeunes et moins jeunes soit sollicitée. Je suis tellement navré de voir cette affaissement, cette médiocrité dans la culture de notre pays que parfois cela m'angoisse. Qu'est-ce que nous faisons dans cette société ? Pourquoi un pays aussi riche, économiquement j'entends, n'est pas aussi riche culturellement ? Que font la TV, le cinéma, les grands vecteurs de promotion de la culture ? Je continue donc, mais de manière plus sereine, à travailler sur une biographie plus académique d'Issiakhem et à investir dans la recherche sur l'œuvre de Kateb Yacine. Je n'ai pas un monopole et je suis disposé à partager ce dont je dispose ; archives, connaissances, souvenirs, avec tous ceux qui s'intéressent à eux. J'ai aussi le projet d'une biographie d'Alloula. Mais que ces projets soient propulsés par nos institutions, que l'on soit aidés, pas récompensés, mais simplement encouragés.
* Issiakhem. Benamar Mediene
Ed. Casbah, Alger 2007.


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