Figure de proue des arts plastiques algériens, l'oeuvre de M'hamed Issiakhem possédait une solide culture picturale. Preuve en est le legs qu'il a laissé derrière lui après sa mort. En marge de l'imposante exposition de peinture à l'occasion du 25e anniversaire de la disparition de M'hamed Issiakhem, inaugurée mercredi au Musée national d'art moderne et contemporain d'Alger, une table ronde de deux jours a été consacrée à cet homme au talent exceptionnel. Des conférenciers de marque se sont relayés, jeudi et vendredi, sur la tribune en axant leur intervention sur la dimension de l'œuvre de cet artiste prolifique que le public méconnaît. L'historienne et critique d'art, Malika Dorbani-Bouabdellah, qui travaille actuellement au musée du Louvre à Paris a, dans son intervention, fait une étude comparative entre les deux œuvres du patrimoine universel intitulées «Algérie de mes ancêtres» et «Passé, présent et futur». Un lien étroit entre ces deux œuvres existe. «Algérie de mes ancêtres» est un portait type de l'artiste créateur dans tous les domaines, notamment la poésie, les sciences, la musique. Il y a également celui du pouvoir éclair qui est toujours représenté de profil, assis à même le sol, un livre à la main.C'est quelqu'un qui est penché sur le savoir et la recherche. «Ce thème, dit-elle, est traité depuis toujours par les artistes, qu'ils soient musulmans, chrétiens, occidentaux ou encore orientaux. J'ai trouvé une filiation dans ce tableau avec le patrimoine universel.» Dans le second tableau,Malika Dorbani y a trouvé une référence à l'allégorie du printemps. C'est le thème de la renaissance avec cette réflexion philosophique sur les trois âges de la vie. Ce sont surtout les qualités picturales qui l'ont intéressée avec cette représentation de motifs orientaux, sur le vêtement de la femme, qui symbolisent le printemps, la renaissance, le futur. «Je me suis permise de faire des comparaisons qui peuvent, peut-être, sembler un peu désinvoltes mais qui du point de vue de l'histoire de l'art se tiennent», conclut-elle. De son côté, l'universitaire et critique d'art à l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger, Nadira Laggoune, a mis en exergue l'activité citoyenne d'Issiakhem qui va de pair avec son travail pictural. M'hamed Issiakhem a beaucoup déploré le fait que sa peinture ne soit pas accessible au public. Cet état de fait lui a permis de concrétiser en pratique les dessins de presse. Ce sont des œuvres importantes qui continuent de marquer l'histoire de l'art. «Il y a un lien étroit entre ses activités picturales graphiques et son engagement militant. Cet engagement va continuer après 1962, comme le montrent les affiches réalisées pour les pièces de théâtre de Kateb Yacine Palestine trahie et Mohamed prends ta valise. M'hamed Issiakhem a également fait des illustrations sur les billets de banque de 100DA. Son caractère humoristique, on le retrouve dans certains billets de banque qui ne sont plus en circulation, notamment ceux de 20 et 50 DA». Pour sa part, Anissa Bouayed a soulevé la problématique des conditions nécessaires pour qu'une œuvre puisse continuer à vivre. Un Français, Jacques Arnaud, a fait don d'une œuvre signée en 1960 par le regretté M'hamed. Le donateur a exigé dans un premier temps que l'œuvre soit restaurée et remise au peuple algérien. La décision de prendre en charge l'œuvre a été prise d'une façon collégiale entre une association constituée d'amis et de la femme du défunt. Comme toute œuvre a besoin d'une autorisation de sortie d'un quelconque territoire, des contacts ont été entrepris avec l'ambassade d'Algérie à Paris. «Au-delà de tous les problèmes administratifs rencontrés, l'œuvre a souffert d'un manque de médiatisation». Le tableau a été exposé une première fois en 2008, à Alger. Pour sa restitution en septembre dernier, une exposition a eu lieu à Vitry-sur-Seine, où le public a pu découvrir l'aura d'un peintre. Le souhait de cette spécialiste est que cette œuvre soit un jour accrochée aux cimaises d'un musée algérien. Anissa Bouayed a présenté et commenté des photographies du tableau représentant les visages d'une mère et de ses deux enfants. «Issiakhem a condensé, dans son tableau, un vocabulaire qui sera le sien pendant des décennies.» «L'organisation de l'espace, qui est spécifique et qui est déjà en place dans cette œuvre, est, en fait, une forme personnelle déjà aboutie», explique-t-elle. Professeur de littérature et écrivain algérien, Benamar Mediène a, dans un brillant et intéressent argumentaire, levé le voile sur la vie de M'hamed Issiakhem à travers des autoportraits. Ami du défunt, Benamar Mediène a d'abord tenu à souligner qu'Issiakhem et Kateb Yacine étaient des frères de la douleur et de la beauté. Dans le premier portrait de 1949, le conférencier a mis l'accent sur l'attraction qu'exerçait Van Gogh sur son ami de toujours, à l'image de la construction très lourde du visage et du menton et de l'utilisation des couleurs fauve, rappelant étrangement l'œuvre exposée aux côtés de celles de Galliero, un grand peintre de l'époque. Benamar Mediène décortique trois autres portraits d'Issiakhem, dont celui réalisé en 1976 et dans lequel le sujet avait le visage de Jupiter, peint alors qu'il était malade et un autoportrait intitulé «Dépression», dans lequel le personnage au visage exsangue est dissimulé par un empâtement de peinture. D'une voie très émue, Benamar Mediène est convaincu que M'hamed Issiakhem a livré des autobiographies, voire des biographies intimes qui nous le révèlent. «Kateb Yacine et Issiakhem sont deux personnages qui nous donnent une leçon répétée et différente chaque jour. Il n'y a pas d'images disant une fin, mais des images de commencement.»