Le projet autoroutier Est-Ouest, gigantesque chantier, le plus gros depuis l'indépendance, assurera sur 1216 km la liaison entre les extrêmes, traversant 24 wilayas en déplaçant 100 millions de mètres cubes de terre, utilisant pas moins de 3 millions de tonnes de ciment, 5 millions de tonnes de sable, 1 million de tonnes de bitume et 14 000 tonnes d'explosifs. Réactivé dans les années Bouteflika, ce vieux projet ébauché en 1963, le nouveau programme, froidement dénommé DPN pour division du programme neuf, chevauche l'ancien, datant de 1987, et sur le terrain, on tend à confondre les deux tant ils sont emboîtés. Mais la technique «saucisson halal», travailler son tronçon sans attendre que les autres terminent et coller le tout à la fin, est l'idée retenue. «Nous n'attendrons pas que les études globales soient finalisées pour lancer des réalisations partielles par sections», rappelle le ministre des Travaux publics. Voyage sur une autoroute en construction, d'El Kala à Maghnia ou l'Algérie au sens large. El Kala. Charmante ville maritime située à 80 km à l'est de Annaba, à un jet de pierre de Tabarka, sa rivale tunisienne. D'ici, nous étrennons une longue expédition qui va nous entraîner sur 1200 km de boue et de bitume, sur les traces de la fameuse autoroute Est-Ouest, le «projet du siècle», comme aime à l'appeler son fervent promoteur, le sémillant Amar Ghoul. Nous nous engouffrons de plain-pied dans les boyaux luxuriants du Parc national d'El Kala. On se souvient de l'émoi qu'avait suscité le premier tracé qui prévoyait de grignoter 15 km sur le parc et toute la mobilisation qui avait suivi, assortie d'une pétition nationale. Nous traversons l'immense domaine protégé de 80 000 hectares jusqu'aux abords du poste frontalier d'Oum Tboul. R.A.S. La fièvre des touristes qui se ruaient sur le pays de Ben Ali est tombée. Et la polémique aussi. Pas de trace de bulldozer ni d'un quelconque chantier menaçant. Dame nature est sauve. A El Kala en tout cas, le sujet est clos, du moins pour le moment. A la direction du parc, un cadre nous signifie que «le chargé du dossier est absent». Aussi, pour en savoir un peu sur le nouveau tracé, mystère et boule de gomme. Le ministre des Travaux publics devait pour sa part rassurer tout le monde en indiquant qu'une nouvelle étude d'impact vient d'être ficelée, et qui promet d'épargner ce site classé par l'Unesco. Nous quittons le Parc national d'El Kala et son magnifique lac Tonga sur cette promesse avant de bifurquer vers El Tarf, le chef-lieu de wilaya. La plaine d'El Tarf est splendide. La route se laisse allègrement croquer. Ouvriers migrateurs Le lac des Oiseaux. Si ce lieu poétique est plus connu pour son écosystème, il tend à être célèbre pour une tout autre espèce migratoire, les Japonais. Peu d'ornithologues ici mais des engins de terrassement, bulls et pelleteuses. C'est là, à Kebbouda, à 30 km d'El Tarf, que les Japonais de Cojaal se sont installés. Plus exactement entre Ben M'hidi, qui n'est pas la patrie du révolutionnaire, et Bouteldja, qui est par contre celle du président Chadli. Responsable des 399 km qui relient Bordj Bou Arréridj à la frontière tunisienne, Cojaal est consciente de l'ampleur du chantier. «C'est le plus grand projet dans les infrastructures routières jamais confié à une entreprise japonaise», dit-on. A l'entrée de la base, des Algériens attendent un emploi de manœuvre, à 600 DA la journée. A Ben M'hidi, une émeute a d'ailleurs éclaté, avec comme résultat le recrutement de quelques jeunes sur le chantier. A l'intérieur de la base, de la boue locale, des 4×4 et des engins neufs, et des Japonais ultramodernes. Le terrassement se fait par ordinateurs, GPS et satellites, technique «qui n'est même pas encore utilisée en Europe». Au baraquement principal, des chaussures, japonaises et algériennes, sont disposées à l'entrée. Ici, on se déchausse. Une jeune fille, jolie Annabie en pantoufles, explique que pour accrocher un responsable, il faut une autorisation d'Alger. On attendra. Comme ces chômeurs qui attendent devant la porte aux chaussures un entretien. Ce sont ceux qui ont été sélectionnés et doivent passer le dernier test. Mais où est l'autoroute ? «Là-bas, dans la montagne», explique un autre Japonais. C'est en suivant le tracé derrière la RN44 que l'on tombe sur un décapement important, à Ousfour, au lieu-dit N'cheyma, du nom d'une plante qui pousse toute seule. Toute la misère du monde se lit sur le visage de ces nouveaux expropriés. «Bien sûr, l'autoroute apportera des choses avec elle.» Mais sans travail, sans transport, les habitants sont pessimistes. Ils montrent le tracé qui passe par leurs maisons. Quelques-uns ont été indemnisés, d'autres attendent. L'un d'eux avoue qu'il a arrêté les études de sa fille parce qu'il n'avait pas les moyens de lui acheter des chaussures. «Je ne peux pas l'envoyer en claquettes à l'école», lance-t-il. Non, l'autoroute ne réglera pas tous les problèmes. Usine horizontale Constantine. A hauteur de Aïn Smara, une stèle en forme de section d'autoroute trône à l'orée d'un chantier de Cojaal. Elle a été inaugurée par le président Bouteflika le 16 avril 2007. Des travaux de terrassement se poursuivent cahin-caha sous le regard de techniciens nippons. L'un d'eux échange quelques mots bafouillés avec Abdelghani, un ingénieur en travaux publics. Abdelghani travaille chez Raouabi, une entreprise privée de travaux publics domiciliée à Aïn El Bey, un marché qu'elle a décroché en sous-traitance pour Cojaal. «Nous assurons les travaux d'assainissement sur un tronçon de 27 km», dit-il en désignant un assemblage de buses fraîchement installées. Abdelghani compare l'autoroute qui se dessine à une «usine qui va générer beaucoup d'emplois en termes d'entretien, d'exploitation, de sécurisation et de services». Il déplore toutefois quelques dysfonctionnements que détaillera le directeur général de Raouabi, Bouchelif Abdeldjalil. Ce dernier est à la base un financier. Il a investi dans le BTP et monté sa propre société qui compte aujourd'hui 32 employés. «Ce sont eux (les Japonais de Cojaal) qui m'ont contacté. Ils ont été épatés par notre CV. Nous avons toujours travaillé avec des entreprises étrangères et nous souhaitions étoffer notre expérience en nous frottant aux Japonais à travers le ‘‘chantier du siècle'' comme on l'appelle», confie-t-il. Mais l'homme aussi bien que son équipe feront vite de déchanter : «Nous n'avons toujours pas reçu l'agrément de l'ANA (l'Agence nationale des autoroutes, ndlr) et c'est le cas de la majorité des sous-traitants. Nous travaillons dans le flou. Nous n'avons toujours pas les plans d'exécution. Nous sommes dans l'expectative depuis six mois et si la situation perdure, nous allons nous retirer du chantier», avertit le patron de Raouabi. Nous chevauchons de nouveau le tracé qui coule à travers les étendues dorées des Hauts-Plateaux en flirtant par endroits avec la RN5. Le tracé se déploie en contournant les agglomérations de Chelghoum Laïd, Tadjenanet (où se trouve une importante base Cojaal), Bir El Arche, El Eulma, Sétif, Bordj Bou Arréridj. Des portraits géants à l'effigie de Bouteflika ornent l'entrée des villes. Des pipes de gaz sont déplacés pour être au plus près de la nouvelle infrastructure. Des maisons cantonnières flambant neuf ponctuent la route çà et là en arborant la devise chère à Amar Ghoul : «Réaliser vite et bien.» Gastronomie du bitume De la RN5, une fumée monte et une odeur appétissante s'élève dans l'air frais des Hauts-Plateaux. C'est El Yachir, capitale de la viande grillée. Tous ceux qui prennent la route de l'Est connaissent. Entre les fumées du «choua» et celles des gaz d'échappement des centaines de camions qui traînent dans la ville, les habitués de la route engloutissent des tonnes de viande. «Oui, l'autoroute éliminera un bon nombre de poids lourds», explique ce commerçant, conscient de la pollution. «Mais El Yachir va mourir», ajoute ce restaurateur, le plus ancien de la ville, qui fait vivre une centaine de personnes. Il reste néanmoins optimiste : «Je suis là depuis 20 ans, mes clients feront le détour.» Mais où est l'autoroute ? Derrière, au nord. Effectivement, elle ne se voit pas mais en empruntant les petites ruelles, on débouche sur la grande, la belle autoroute. Déjà goudronnée, ne lui manque que la troisième couche. Mais elle est déjà praticable. Les ouvrages d'art sont presque terminés et l'entreprise Cosider travaille sans relâche. En attendant l'inauguration, les enfants jouent au football sur l'autoroute. «C'est du bon goudron», assurent-ils. Ici, ce sont les Chinois qui s'en occupent, ceux du CITIC-CRCC, en charge du lot centre de 169 km. Leur base est plus bas, et on assure que tout va bien, certains Chinois s'étant même mariés à des Algériennes et fréquentent les mosquées. «Bien sûr, précise un restaurateur, ils mangent des grillades.» En quittant la ville et ses embouteillages, on a quand même un sentiment de regret, l'autoroute va tuer El Yachir. Mais fabriquer d'autres Yachir selon l'implacable loi de la route. Même si l'ancienne route, la RN5, existera encore après l'autoroute, tout comme toutes les anciennes routes puisque le nouveau tracé s'est fait sur des terrains vierges. Le choix sera laissé ; la route est gratuite, l'autoroute sera payante, à travers les péages installés tous les 40 km. «A des prix raisonnables», assure le ministre. Les camions qui payeront plus que les automobilistes s'arrêteront peut-être encore à El Yachir. Mais, assis nonchalamment au bord de la toute nouvelle autoroute, un vieux en turban, qui a dû connaître l'époque des pistes, était content. «C'est la première fois que je vois où va l'argent de l'Etat !», s'extasie-t-il. Un viaduc dans le ciel Zone charnière, la région de Bouira concentre le gros des travaux avec l'ensemble de Oued Djer à l'ouest. Après une série de tronçons intermittents sur l'axe Lakhdaria-Kadiria où la «3 voies» n'a pas été entièrement ouverte, les problèmes commencent. C'est Aomar, du nom de ce village devenu synonyme de cauchemar. Ce lieu de passage obligé vers l'Est est l'un des principaux points noirs que l'autoroute Est-Ouest est chargée d'éliminer. Tout comme plus haut vers la route de Bordj Bou Arréridj, vers El Mansourah, Aomar va être contournée. Et tout comme à El Yachir, Aomar, ses brochettes et robes kabyles va aussi mourir. Le patron du restaurant Tikjda est inquiet, même s'il ne sait pas encore à quelle distance se trouvera la bretelle. «Kadiria est morte de la même façon, quand la RN5 l'a évitée», annonce-t-il. «Mais l'intérêt national prime sur tout», enchaîne son fils en avouant que «c'est à nous d'aller vers l'autoroute». Les 70 relais qui vont être aménagés le long de l'autoroute accueilleront tous les commerces et même des boutiques d'artisanat. Si l'ouverture du tronçon Alger-Bordj est prévue début 2008, pendant que les Chinois creusent un tunnel dans les gorges de Lakhdaria pour se frayer un passage à Zbarbar, à Djebahia-Aïn Chriki, on travaille les finitions. Un tunnel bitube creusé par les Turcs et surtout un viaduc italien enjambant l'oued Rkham, rassemblant tous les superlatifs : le 185.1 de son nom de code, fait 700 m de long et 140 m de hauteur, le plus grand d'Afrique et l'un des premiers au monde en termes d'espacement des piles. Dans la boue des pluies d'automne, on s'affaire à avancer, travaillant de jour comme de nuit. En fait, les travaux ont commencé en 2000, suivant l'ancien programme, ce qui explique qu'ils sont presque terminés et ce tronçon en avance. Le viaduc est en phase de test et le tunnel en cours d'équipement, même si pour ce dernier, on affirme que l'étude a été mal faite et qu'à cause du terrain très marneux, on aurait dû faire une centaine de sondages… au lieu de trois. Mais Aïn Chriki porte bien son nom. Les Algériens, les Italiens et les Turcs finalisent ensemble le tronçon. Sentant l'ouverture, les enfants de la région ont déjà pris position. Délaissant la vieille RN5, ils sont déjà sur l'autoroute où ils vendent fruits et poteries. Pause-café chez Ghoul RN zéro, Alger, centre du pays, de l'autoroute Est-Ouest et siège des autorités de la route. A la station d'essence du Caroubier, le préposé au service tente d'expliquer où est l'autoroute : «Tu suis le couloir bleu et tu es sur l'Est-Ouest.» Pourtant, tout n'est pas aussi simple puisque contrairement à ce que les gens croient, l'autoroute Est-Ouest n'a rien à voir avec celle communément appelée l'autoroute de l'aéroport. L'Est-Ouest relie Alger au reste du monde par l'échangeur de Baraki-Baba Ali pour prendre ensuite l'axe Larbatache-El Hamiz et s'emboîter dans le tronçon de Lakhdaria. A Alger, par contre, il y a le ministère des Travaux publics, au débouché de l'autoroute de Ben Aknoun. Arrêt obligatoire chez Amar Ghoul, dans son grand bureau derrière lequel une gigantesque carte est déployée, avec la mention officielle : «Plus grand chantier de travaux publics». Le ministre nous dira tout. Ou presque. Il est tard. Il faut déjà reprendre la route. RN4. Une faune d'engins s'active dans une ambiance de ruche dans la vallée de Oued Djer et de Boumedfaâ. Des grues monstrueuses, des ponts suspendus aux colonnes impressionnantes, des bulls, des pelleteuses, des blocs de béton, des silos d'agrégats, des carrières balisent et structurent le paysage. Quelque chose de géant prend forme : on se croirait dans une mine à ciel ouvert. Impression de chantier pharaonique post-moderne. Des fourmilières d'ouvriers, internationale autoroutière multilingue, confèrent à ce chantier quelque chose de babélien, de babylonien, sous le regard de sentinelles perchées dans des guérites, à l'ombre de crêtes inexpugnables infestées il y a quelques années seulement de desperados djihadistes. «C'est une région sensible», lâche un garde communal affecté dans une base chinoise. Des entreprises italiennes planchent sur les ouvrages d'art. Il s'agit notamment de CMC Ravenna, en collaboration avec la société algérienne Engoa. Un groupement algéro-turc (EVSM-ASKA) s'occupe quant à lui du terrassement. Les travaux portent sur un premier tronçon de 25,5 km qui s'étale d'El Affroun à Hoceinia. Ibrahim, un travailleur turc parlant passablement l'arabe, estime que «les travaux vont s'étaler sur deux à trois mois. La principale difficulté, c'est le relief montagneux». Plus loin, une base de vie du groupe chinois Citic-Crcc. Nous traversons ce décor métallique et néanmoins verdoyant avec frémissement. Certains segments sont quasiment prêts comme l'attestent les panneaux de signalisation qui n'attendent que la mise en service de l'imposante infrastructure. Il est d'ailleurs curieux de voir un panneau annoncer «Constantine» alors que l'on est aux abords de Khemis Miliana. C'est tout le sens de l'autoroute Est-Ouest qui, par un maillage serré de rocades et de pénétrantes, devrait permettre justement de «sauter» sans coup férir d'une borne à son opposée sur la carte. Le trou et la ligne A dix kilomètres d'El Attaf, nous bifurquons par un chemin vicinal vers l'arrière-pays de la wilaya de Aïn Defla. Nous voici dans un petit patelin du nom de Zeddine. Là aussi, des engins s'acharnent à l'ouvrage pour le décapage du terrain, un tronçon qui relie Tiberkanine à Aïn Defla. De magnifiques terres agricoles s'étalent à perte de «vide». Zeddine est l'exemple type des villages désenclavés par le miracle de l'autoroute Est-Ouest. Village agraire par excellence ayant subi de plein fouet le terrorisme, il réapprend difficilement à vivre. Hakim, un jeune de 22 ans, un gobelet de café à la main, glandouille. Il est coiffeur de métier. «Ici, on est des morts-vivants. Ma famille et moi avons été contraints de quitter le village pendant six ans. Nous avons souffert le martyre du terrorisme. Aujourd'hui, on vivote comme on peut», dit Hakim avant de poursuivre les yeux chargés de désillusion : «L'agriculture ici est morte. Personnellement, J'ai un lopin de terre et j'ai dû le louer car je n'ai pas les moyens de le travailler. Il faut de gros moyens pour drainer l'eau, pour acheter la semence.» «Nous sommes aux confins de tout et l'autoroute ne va pas nous sortir de notre trou», tranche-t-il.Nous poussons encore sur la RN4 jusqu'à Aïn Defla, Chlef, Oued Rhiou, Relizane. Dans ces régions, le chantier se fait plus discret comparé à celui de Boumedfaâ. Les points noirs se multiplient, particulièrement entre El Attaf et Oued R'hiou. Passée Jdiouia, il faudra coller à l'axe Relizane-Mascara-Sidi Bel Abbès pour recouper le chantier. Le tracé avait subi quelques petites modifications, apprend-on, en tenant compte d'un certain nombre de contraintes topographiques : passage de la voie ferrée, champs d'oliviers, câbles de haute tension, expropriations problématiques, contournement d'un cimetière, comme c'est le cas à Ouled Ali, dans la wilaya de Sidi Bel Abbès. La RN7 qui traverse Mascara, Sidi Bel Abbès jusqu'à Tlemcen est une orgie de vergers. Et de misère. Fermes et caves coloniales défilent à l'envi, découvrant un arrière-pays sous-urbanisé. C'est un fait : l'est du pays est nettement plus dense, en termes de couverture urbaine, que l'ouest. L'autoroute promet d'apporter un peu d'animation et, surtout, de travail. Mais il ne faut pas s'attendre à voir tout de suite s'élever les relais, motels et autres aires de services prévus par le projet. Le groupe chinois doit tisser ses fils de bitume au pas de charge en veillant à ne pas défigurer ces magnifiques carrés de terre. Ghoul promet une «autoroute verte». La frontière radicale C'est la fin, au poste Akid Lotfi, là où se termine ou commence l'Algérie. L'autoroute Est-Ouest s'intègre à plus grande échelle dans l'autoroute maghrébine, sur 7000 km. Une plaque radicale placée au-devant de fûts et de herses annonce pourtant la couleur : «Frontière fermée». Tout comme les cafés du coin, le poste est fermé depuis 1994. Mais un comité de liaison algéro-marocain travaille sur le tracé, car, comme l'explique M. Ghoul, «on travaille pour l'avenir», soulignant que «construire une autoroute prend des années, ouvrir une frontière prend une minute». C'est à ce niveau pourtant qu'il faut chercher l'autoroute Est-Ouest. Où ? Elle passe par Lebtim, village frontalier qui vit comme il peut de contrebande. Le long de la route, un vieux monsieur qui travaillait comme transporteur vend des pommes de terre. Elles viennent du Maroc mais affichent un prix algérien : 60 dinars le kilo. L'autoroute ? «Si les frontières ouvrent, on pourra mieux travailler», dit-il. Une base chinoise de Bingkun, l'un des sous-traitants du CITIC-CRCC, en charge du tronçon ouest de 359 km, vient à peine de s'installer. Au milieu de tentes, d'engins et de Syriens qui forent un puits pour l'eau, le responsable, Xu Wangfeng, a l'air ravi. Epaulé par un Algérien qui vient paradoxalement du domaine maritime, il ne parle ni arabe, ni français, pas même anglais. Pour communiquer, il utilise un appareil du genre calculatrice qui lui traduit les mots en chinois. Dès qu'il comprend, il part d'un grand rire. L'autoroute ? «Oui, elle est là», répond-il en désignant un endroit derrière. On voit bien qu'il n'y a pas grand-chose. Comme dans d'autres régions, les populations ont délaissé l'agriculture, à cause des coûts d'exploitation. L'autoroute est donc plus que bénéfique. En dehors des emplois créés et de la fluidité des échanges, ici sur la RN35, elle sauvera des vies. Tous les jours, les hallaba, trafiquants d'essence qui se rendent au Maroc (littéralement les «trayeurs»), causent des accidents avec leurs semi-remorques chargés. Car l'un des objectifs de cette grande autoroute est aussi de diviser par 6 les accidents de voiture qui font près de 4000 morts et 60 000 blessés tous les ans. Au vu de ce balayage horizontal, on voit bien que le chantier avance, et que s'il est en avance sur certains tronçons et en retard sur d'autres, ce débat sur le temps semble ridicule par rapport à l'ampleur du projet. Officiellement, le couloir de l'autoroute est dégagé à 96,5% et terrassé à 32,3%. Malgré les insuffisances et des études un peu bâclées, voire pas d'études du tout, il faut se rappeler que tout se fait par la route, d'où l'importance de l'autoroute. Entre le clan de l'Est et celui de Oujda, catalogués bandes de loups par l'opinion publique, il fallait au moins un Ghoul pour les réconcilier.