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Le colonel est mort, vive le colonel !
Publié dans El Watan le 27 - 12 - 2008

Coopté par les militaires, le chef de la 2e Région militaire (l'Oranie), celui en fait que personne n'attendait deviendra officiellement et à l'issue d'une élection sans choix président de la République le 7 février 1979.
13 ans de pouvoir monolithique ont été largement suffisants à Boumediène pour créer le vide autour de lui. Ses opposants, assassinés comme Krim et Khider, morts dans des circonstances troubles (Medegheri, Saïd Abid, les colonels Chabou, Abbès), exilés (Boudiaf, Aït Ahmed), emprisonnés ou placés en résidence surveillée (Ben Bella, Ben Kheda, Ferhat Abbès…) sont à mille lieues de constituer l'alternative au régime.
La liquidation de l'opposition profitera au «troisième homme», celui faisant déséspérément office de «solution médiane» entre les deux autres prétendants «naturels» à la succession : le coordinateur du FLN, l'ancien colonel Mohamed Salah Yahiaoui et Abdelaziz Bouteflika alors ministre des Affaires étrangères. Tous les deux sont écartés par l'armée qui leur préféra Chadli, le primus interpares, l'«officier le plus ancien dans le grade le plus élevé».
Retour sur un «coup d'état à blanc»
Vendredi 29 décembre 1978. Jour des funérailles officielles du défunt président, la guerre de succession au pouvoir, que se livraient jusque-là en sourdine les dauphins et épigones de Boumediène et les caudillos du régime qui les parrainent, éclate au grand jour. Sur le parvis même du cimetière d'El Alia (Alger). Quelques heures avant l'enterrement, les «héritiers» potentiels du «messie au cigare», Bouteflika et Yahiaoui disputaient âprement qui des deux prononcera l'oraison funèbre. Bouteflika aura finalement le dernier mot. Sans doute après que Abdelmadjid Allahoume, secrétaire général de la Présidence, lui ait apporté son soutien. Vêtu d'un manteau noir, Bouteflika donnera la mesure de ses talents d'orateur funéraire et profitera de l'occasion pour marquer solennellement ce qui lui paraissait être son «territoire».
Les événements évolueront quelques semaines après à la défaveur du fringant ministre des Affaires étrangères. Le discours du dernier représentant du «groupe d'Oujda» à être encore dans les starting-blocks du pouvoir, aussi émouvant fut-il, prononcé devant un aréopage de chefs d'Etat, ambassadeurs, officiels nationaux et étrangers et retransmis en direct à la télévision pour des millions d'Algériens, était cependant loin de trancher la question de la succession. «Orphelins d'un père sévère, les dirigeants de l'Etat-FLN, confrontés à la redistribution des pouvoirs sans y être préparés, se demandaient comment les luttes âpres et violentes entre eux pouvaient être évitées. La peur d'une intervention populaire maintenait leur unité», écrit Mohamed Harbi (2).
«Quand le colonel Boumediène quitta la scène, sa disparition ne fut pas saluée par le soulagement général que ses adversaires espéraient. En haut, les dirigeants connurent le vertige du vide. En bas, le sentiment confus d'avoir perdu un père nourricier fait place à la douleur.» Le «boumediénisme» a pu produire, d'après l'historien, des «héritiers apparemment étrangers à lui-même». Quatre groupes composaient, selon lui, la couche dirigeante de l'époque : la direction de l'armée qui avait nommé comme coordinateur le chef de la région militaire de l'Oranie, Chadli Bendjedid ; le FLN avec M.S.Yahiaoui ; les industrialistes avec Bélaïd Abdeslam ; la haute administration qui se reconnaissait dans A. Bouteflika, seul rescapé du groupe d'Oujda.
Le Conseil de la révolution (CR), note le politologue Abdelkader Yafsah (3), aurait pu naturellement désigner l'un de ses membres. Mais les frictions et ambitions de présidentiable de chacun de ses membres ont fait capoter ce scénario. A la veille de la disparition de Boumediène, le CR n'était plus déjà à même d'assurer la succession même s'il avait vainement tenté de le faire. Sur les 26 membres qui le composaient, il n'en demeure que huit. De 1965 à 1978, les deux tiers du CR ont fait les frais de purge ordonnée par Boumediène. Le conseil ne tardera pas à disparaître complètement avec la tenue du 4e congrès du FLN, du 27 au 31 janvier 1979, qui sonnera le glas de cette structure née du coup d'Etat de 1965. Avant sa mort, Boumediène a qualifié le CR de «corps inanimé».
Yahiaoui, Bouteflika : Deux prétendants, deux tendances
Dès le 31 décembre, le président par intérim Rabah Bitat réunit au MDN les cadres militaires. Bitat rendra effective la tenue d'un congrès du FLN. Une commission de 37 membres chargée de la préparer a été rapidement mise en place. La composition de cette commission révèle, selon Yefsah, un dosage assez subtil de toutes les tendances politiques au pouvoir. «Bien qu'on ne sache pas par qui elle fut désignée, il est clair qu'elle fut le résultat d'un marchandage entre notamment les tendances Yahiaoui et Bouteflika», écrit-il. En plus des représentants de l'armée, le lieutenant-colonel Kasdi Merbah et le colonel Hadjerès entre autres. Le 4 janvier, devant les membres de cette commission, Yahiaoui n'hésitera pas lui non plus à marquer son territoire et à se parer des habits du successeur désigné et du «continuateur» de l'œuvre de Boumediène. Yahiaoui déclare que le congrès du FLN «ne pourra choisir qu'une direction qui a foi en le socialisme».
L'attaque, est on ne peut plus claire, dirigée contre son sérieux rival : Bouteflika. Mais les tractations secrètes pour introniser le nouveau chef n'ont pas attendu la mort de Boumediène. Le 18 novembre. 1 heure du matin, Boumediène entre dans un coma profond. Il est de nouveau hospitalisé au CHU Mustapha. Prétendant timide à la succession, le Dr Ahmed Taleb Ibrahim, alors ministre conseiller du président, témoigne (4) à propos de ces tractations. «Le 20 novembre, K. Merbah me rend visite à l'hôpital. Très lucide, il pense que le moment est venu de penser à l'avenir. (…) Deux candidatures s'affichent me dit-il, celles de Bouteflika et de Yahiaoui.
Il ne cache pas sa préférence pour le premier, tout en ajoutant : «Pourquoi ne pas songer à d'autres noms ?» Deux «tendances politiques» s'affrontaient d'après Yafsah dans ce duel sans merci que se livraient le ministre des Affaires étrangères et le coordinateur du FLN. La première «tendance qui contrôlait les appareils d'encadrement existants avait le soutien du PAGS, des Frères musulmans, baâthistes (…)» et la seconde incarnée par Bouteflika appuyé par la «bourgeoisie privée» et «une partie non négligeable de la bourgeoisie d'Etat» et qui «promettait dans les allées du pouvoir une certaine ouverture politique et économique».
Le 27 janvier 1979. Le congrès du FLN se réunit… enfin ! «L'appareil du parti ne s'était pas réuni depuis avril 1964. B. Benhamouda, A. Kafi et K. Merbah composent avec Laïdi et L. Soufi le bureau du congrès. Trois commissions sont installées dont celle chargée d'étudier les «candidatures» au poste de SG du FLN et de président de la République. Les conciliabules et négociations secrètes ont duré 5 jours au bout desquels les 3290 congressistes du FLN – exclus pendant les débats des commission par les huis clos imposés – ont vu s'échapper de la cheminée Algérie une fumée blanche. Le génie est enfin sorti de sa bouteille. Bon ou mauvais génie, Chadli campera 13 ans durant le pouvoir suprême.
«Je jure que durant toute cette période, je n'ai jamais cherché à être chef.
Toutes les responsabilités que j'ai exercées m'ont été imposées», déclarait le 27 novembre passé Chadli Bendjedid (5). S'il est devenu président à la place du président, c'est parce que Boumediène le désirait. L'armée aussi. Chadli : «Sur son lit de mort en Russie, Houari Boumediène a délégué une personne, dont je ne citerais pas le nom, pour me dire ‘'Chadli doit me remplacer à la tête de l'Etat”, mais ce délégué est allé voir d'autres personnes avant de venir m'apporter le message. Il y a eu 7 postulants à la succession de Houari Boumediène, dont quatre du Conseil de la révolution. Je n'ai jamais dit aux militaires de me porter à la Présidence. Je sais cependant qu'il y a eu une réunion dans une école et les militaires en sont sortis pour dire : vous avez le choix entre Chadli et Bendjedid.» L'armée a fait donc son choix. Il sera entériné sans résistance par le gongrès et 7 millions de votants algériens. Larbi Belkheïr évoque le «conclave» des militaires, faiseurs de rois (6)
Le Congrès du FLN, le conclave des militaires
Le conclave, qui s'est tenu à l'Ecole militaire d'ingénieurs Enita (La Pérouse) dont il était le commandant, a été convoqué par le commandement de l'armée. «A l'époque, je n'en faisais pas partie.» Celui qui était pendant plusieurs années le chef d'état-major de Chadli au commandement de la 2e RM et son éminence grise cite «K. Merbah, Rachid Benyellès, Mohamed rouget (général Attaïliya), Mohamed Belhouchet» comme ayant participé à cette réunion secrète et décisive. «Dans ce choix, écrit Harbi, la Sécurité militaire avait joué le premier rôle. Ses chefs (Merbah, Yazid Zerhouni, Ferhat Zerhouni et Tounsi) connaissaient bien le pays et le personnel dirigeant, mais n'avaient pas le poids des chefs des régions militaires (…)». Harbi parle par ailleurs d'un «accord entre Bitat, Yahiaoui et Chadli pour gouverner le pays. Mais la formule d'un triumvirat fut écartée par la direction de l'armée, au profit de celui qu'elle avait désigné.»
«Le principal artisan du choix du colonel Chadli fut incontestablement Kasdi Merbah, chef de la sécurité militaire (de 1962 à 1979)», a souligné pour sa part A. Yefsah. Un choix «appuyé par le colonel Belhouchet et d'autres dirigeants de l'armée». Citant des témoignages, Yefsah affirme que Merbah -assassiné en 1993 – aurait menacé les opposants à Chadli de rendre public des «dossiers compromettants les concernant».
Yahiaoui comme Bouteflika et tous les autres soupirants (Taleb Ibrahimi, Belaïd Abdeslam, Bencherif, etc.) passent gentiment à la trappe. Bouteflika qui ne quittera pas le pouvoir avant 1981 parle d'un «coup d'Etat à blanc» et revendique comme Chadli son droit naturel à la succession. Sur les ondes d'Europe1, il déclare en 1999 : «J'aurais pu prétendre au pouvoir à la mort de Boumediène, mais la réalité est qu'il y a eu un coup d'Etat à blanc et l'armée a imposé un candidat.»
En octobre 1999, Bouteflika interroge le général Nezzar : «Boumediène m'a désigné comme son successeur par une lettre testament qu'il a laissée avant sa mort. Cette lettre se trouvait à un moment donné aux mains d' A. Allahoum. Qu'est devenue cette lettre ? Je voudrais bien le savoir parce que j'ai vu cette lettre» (7). «En disparaissant, Boumediène n'a laissé absolument aucun signe, aucune recommandation sur ce que devait être sa succession. Bouteflika voulait se présenter un peu comme le continuateur, comme le successeur désigné ; mais il n'y avait rien,
Boumediène n'a absolument rien fait pour marquer, par un geste quelconque, que quelqu'un pouvait être son prétendant à la succession»(8), a affirmé pour sa part Belaïd Abdeslam, le puissant ministre de l'Industrie et de l'Energie de Boumediène et un des plus farouches adversaires de Bouteflika. Evoquant la mystérieuse lettre testament, Belaïd Abdeslam rappelle que celle-ci datait de la crise du Sahara occidental de l'été 1976.
Un testament, deux héritiers
Après les premiers incidents d'Amgala, Boumediène s'était rendu à Moscou pour des consultations. «Avant de partir, il a laissé une enveloppe cachetée (…) et a avisé les membres du CR : ‘'Je m'en vais à Moscou et s'il m'arrive quelque chose, j'ai laissé une enveloppe chez Amir Mohamed (SG de la présidence)''. On n'a jamais su ce qu'il y avait dans cette enveloppe, mais les gens disaient qu'il donnait mandat pour Bouteflika, dans le cas où il disparaîtrait», se rappelle Belaïd Abdeslam. Il justifie le geste du président : «A l'époque, il n'y avait ni Constitution ni charte. Par la suite, il y a eu la Constitution qui définissait une procédure de succession. Dans le premier projet de cette Constitution furent inclus, sur insistance de Bouteflika, des articles prévoyant la fonction de premier vice-président de la République (qui) semblait ouvrir la voie à la succession pour Bouteflika (…) mais Boumediène a hésité et fait marche arrière.»
Boumediène optera pour une autre formule de succession qu'il trouve «meilleure» : «Quand j'ai vu Boumediène pour la mise au point finale du texte, il m'avait dit : ‘'Oui, c'est la meilleure formule.
Le président de l'APN assure l'intérim ; lui, il se tient hors jeu. Il ne doit pas se présenter pour laisser aux autres le soin de se débrouiller et de régler le problème entre eux.'' C'est ce qui s'est passé.» Belaïd Abdeslam s'opposera frontalement à Bouteflika. Dans une lettre qu'il a adressée à la commission chargée de préparer le congrès du FLN, il dénoncera la «menace de la sadatisation de l'Algérie» qui se profile à travers Bouteflika. Taleb recueille le 14 octobre 1978 les «précieuses confidences» de Boumediène lorsque celui-ci était à Moscou pour les premiers soins : «On a beaucoup épilogué sur mes relations avec Bouteflika. La vérité, c'est que Abdelaziz Bouteflika était un jeune homme inexpérimenté, qui avait besoin d'un mentor.
J'ai joué ce rôle. Sans doute m'en veut-il de ne l'avoir pas désigné comme «prince héritier» ainsi qu'il le désirait (en 1976 lors de la préparation du projet de la nouvelle Constitution, ndlr)». De Chadli, il en parle en bien : «Le seul membre du Conseil de la révolution dont je n'ai pas eu à me plaindre est Chadli.» Un homme qui «a beaucoup de bon sens». A la mort de Boumediène, l'armée a cherché, d'après le sociologue Lahouari Addi(9), à acquérir plus d'autonomie vis-à-vis de la Présidence devant laquelle elle estimait s'être trop effacée. Le choix de Chadli était motivé par le fait que celui-ci n'était pas ambitieux et n'avait pas la passion du pouvoir. L'armée voulait un président qui n'a pas d'ascendant sur elle pour qu'elle puisse intervenir dans les affaires du pays.
Chadli est choisi par ses pairs pour écarter et S.Yahiaoui dont l'autoritarisme supposé suscitait la méfiance, et A. Bouteflika perçu comme un libéral dont les positions faisaient craindre un revirement idéologique trop brutal. Cette lutte en sourdine pour le pouvoir confirme aux yeux de Yefsah, «la prépondérance des militaires dans la vie politique algérienne. Loin de se ‘‘civiliser'', le pouvoir politique est demeuré le monopole des militaires. Un colonel succède à un autre. Le clientélisme, la cooptation sont confirmés comme méthodes de gouvernement. Quant au régionalisme que l'on croyait émoussé, dépassé, il réapparaît de nouveau».
Références :
– (1) Ahmed Bencherif, interview El Khabar, 11 février 2008.
– (2) Mohamed Harbi, L'Algérie et son destin, croyants ou citoyens, Médias Associés, Paris, 1994, pp. 196 et 197.
– (3)Abdelkader Yafsah, La question du pouvoir en Algérie, ENAP éditions, Alger 1991, pp. 311, 314 et 320.
– (4) Ahmed Taleb Ibrahimi, Mémoires d'un Algérien, Tome II, Casbah éditions, Alger, 2008, pp. 434, 440.
– (5)El Watan du 27 novembre 2008.
– (6)Jeune Afrique, 29 avril 2002.
– (7) Mohamed Benchicou, Bouteflika, une imposture algérienne, p. 123.
– (8) Mahfoud Benoune, Ali El Kenz, Le hasard et l'histoire, entretien avec Belaïd Abdeslam, tome II, Enag éditions, Alger, 1990, pp. 285 et 295.
– (9)Lahouari Addi, L'Algérie et la démocratie, éditions La Découverte, Paris, 1995, p. 62.


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