Dès la fin de la prière d'al joumouâa, des processions de militants, des jeunes, des femmes, des enfants même, tous issus des structures partisanes de la wilaya d'Alger (exception faite des enfants) ont pris d'assaut le hall aux hautes colonnes de l'UGTA. Dans le lot, peu de «stars» du microcosme politique algérois. Pêle-mêle, on pouvait distinguer quelques hauts cadres du parti à l'image de Miloud Chorfi, le porte-parole du RND et chef du groupe parlementaire du parti, Chihab Seddik, membre du bureau national et président du bureau de wilaya du parti, l'ancien ministre des Finances et actuel député RND, Abdelkrim Harchaoui, ou encore la ministre déléguée chargée de la famille Nouara Djaâfar. Absence très remarquée – la plus remarquée sans doute pour un événement interne de cette taille –, celle du secrétaire général, Ahmed Ouyahia dont Miloud Chorfi se chargera de transmettre les «salutations militantes». Pas de figures non plus des partis de l'Alliance présidentielle. Prévue à 15h, la cérémonie ne débute qu'à 16h. Des contingents de jeunes envahissent la salle. Ambiance festive de stade. A la tribune, flanquée d'un portait d'Ouyahia et d'un autre à l'effigie de Bouteflika, prennent place des cadres du parti autour de Miloud Chorfi. Mais c'est Chihab Seddik qui prend la parole en premier. Evoquant un échange qu'il a eu avec M. Harchaoui, il interroge : «12 ans, c'est l'âge de la maturité ou bien l'âge de raison ?», avant de répondre : «Ce qui est certain, c'est que nous ne sommes pas des adolescents !» «Certains partis ont 20, 25 ans d'âge et ils se conduisent comme des adolescents, profitant des douceurs de cet âge où l'on peut tout se permettre sans encourir la moindre réprobation», ironise-t-il. Epiloguant à propos d'une image qui s'amuse à présenter le RND comme «un enfant avec des moustaches», l'orateur endosse sans complexe la métaphore : «Ahna hizb bechlaghmou», martèle-t-il, avant de s'attarder sur les circonstances qui ont vu la naissance de cette formation. «Nous sommes un parti connu pour son sens de la discipline, de la rigueur et pour son engagement», a souligné M. Seddik. Toutes les valeurs qu'il attribue au tempérament du secrétaire général, Ahmed Ouyahia, qui serait, à l'en croire, l'inspirateur de ces valeurs fondatrices. De fait, Ouyahia a toujours cultivé cette image de commis de l'Etat pur et dur, parangon de l'abnégation, véritable bourreau de travail et animal politique froid. Une bonne partie de l'opinion aime toutefois garder de lui plutôt l'image de «l'homme des sales besognes», sorte de «Poutine des réformes» exécutant son plan de charge sans chichi ni état d'âme. À l'ombre de Abdelhak Benhamouda Moment fort de l'intervention de Chihab Seddik : l'hommage qu'il rend à l'ancien maître de céans, Abdelhak Benhamouda, assassiné le 28 janvier 1997 et dont un portrait orne l'un des murs. «L'Algérie était au bord de l'effondrement sans les sacrifices de braves hommes dont certains ont contribué à la création du RND. J'ai une pensée émue à la mémoire de Abdelhak Benhamouda, le professeur Belkhenchir, Laâdi Flici, Djilali Liabès et nombre d'intellectuels engagés qui ont donné leur vie pour ce pays», s'incline Chihab Seddik. Comme dans chacun de ses discours, le jeune sénateur n'omet pas de rendre un hommage appuyé au corps des patriotes, dont le RND était considéré comme le parrain. «Je m'incline devant les membres de l'ANP et des services de sécurité qui se sont sacrifiés pour la patrie, sans oublier les patriotes et les familles des victimes du terrorisme», a-t-il entonné. Si à chaque occasion, le RND rappelle son positionnement par rapport au terrorisme (à telle enseigne qu'Ouyahia a souvent été qualifié d'«éradicateur»), le voici qui claironne comme tout le monde son soutien indéfectible à la «moussalaha» et son engagement dans l'ornière de la démarche amnistiante initiée par le président Bouteflika. Pendant ce temps, le corps des patriotes, lui, n'a de cesse de réclamer ses droits en exigeant des élus RND de faire pression sur le législateur pour voter une loi leur garantissant un statut. Des nouvelles de Benbaibèche ? Miloud Chorfi succède à Chihab Seddik pour faire l'éloge de la gestion Bouteflika dont il loue «la bonne gouvernance». Emboîtant le pas à son prédécesseur, il récuse toute accusation d'opportunisme dans le soutien apporté par le RND au «candidat indépendant Abdelaziz Bouteflika». Du mandat écourté de Benaibèche à la poigne d'Ouyahia, le RND aura connu un parcours riche en rebondissements. Produit par excellence de l'ère Zeroual-Bétchine, le parti s'adapte sans peine aucune au règne sans partage de Bouteflika. Dans le contexte très flou de la maladie du président, le nom d'Ahmed Ouyahia revenait avec insistance comme possible joker des généraux. L'éviction du chef du gouvernement «RNDiste» en mai 2006 et son remplacement au pied levé par Abdelaziz Belkhadem fit penser à un scénario à la Benflis. Mais en serviteur zélé et discipliné, Ouyahia accepte stoïquement son limogeage. Et au RND de s'agripper au pouvoir sans faire de vagues. Idéologiquement pas très différencié de son aîné le FLN (au point que certains le présentaient comme le «clone» du FLN), la tâche ne lui fut guère aisée pour se démarquer de l'archétype «flneux» et se construire une identité politique propre, un alliage hétéroclite fait de républicanisme à la sauce nationaliste et de certaines idées modernistes avec une méfiance épidermique vis-à-vis de l'islamisme. Mais voilà : comme tous les partis gravitant autour du régime, le RND hésite à assumer un destin national loin de la bénédiction du zaïm, préférant la proximité rassurante du pouvoir à la galère de l'opposition. Dans un pays où les jeux d'alliances n'obéissent à aucune autre logique que celle de l'allégeance aveugle au puissant du moment et où un seul parti gouverne, celui des courtisans, il ne reste point de place à l'action politique réelle sur la base de la compétitivité électorale. Et Bouteflika profite allègrement de cette compétition de pseudo-partis qui se font concurrence à qui gagnerait les faveurs du monarque. Le douzième anniversaire du RND nous amène ainsi à nous poser cette sempiternelle question : à quand de vrais partis démocratiques, jeunes, modernes, en Algérie, qui revendiqueraient haut et fort leur ambition de briguer le pouvoir et de l'assumer sans se draper à chaque fois du sang des chouhada et du message de Novembre. Des partis dignes et courageux qui ne se contenteraient pas de simples strapontins, fussent-ils pléthoriques, tant il est vrai que la loi du nombre ne signifie rien face à la dictature du chiffre 1. Le RND a peut-être atteint l'âge de raison, encore faut-il qu'il apprenne à braver de temps en temps la loi du père…