Avec ce nouvel opus, cette reine de la nouba confirme une éloquence artistique empreinte de sensibilité. L'exil la rend plus forte et le temps ne semble pas avoir de prise sur elle. Elle innove, invente, crée. Elle illumine la chanson populaire algérienne. Une voix d'une rare pureté. Une voix céleste, lourde, pénétrante et chargée d'histoire, de tant de souffrances et d'amour dans la même tonalité. Une voix forte et douce qui, à elle seule, raconte une vie avec ses joies et ses chagrins, les plus beaux moments comme les plus pénibles. Ce petit bout de femme, modelé puis initié par les plus grands maîtres de la musique andalouse est sortie des entrailles de l'Algérie. Nassima ne se contente pas de chanter et de composer. Elle s'intéresse à tout, à la philosophie, aux religions et aux problèmes que les hommes se créent entre eux. Elle a le verbe lent et précis. Aux détours d'une conversation, elle vous cite de mémoire des poèmes d'Ibn Arabi et de l'Emir Abdelkader. Elle préfère, bien entendu, les textes qui parlent d'amour, l'amour qui manque tant aux hommes entre eux-mêmes, mais également envers leur créateur. Nassima, ce « cheikh avec le charme en plus », a baigné dans la musique andalouse toute sa vie. A sept ans, elle apprend la rigueur au conservatoire puis, pendant huit ans, profite des enseignements de techniques instrumentales de Hadj Mejbeur et de l'art vocal de Dahmane Benachour. Elle parle volontiers de son enfance et son adolescence passées entre les cours à Blida et les fréquents déplacements à Béjaïa pour voir le maître Sadek Lebdjaoui qui s'émerveillait à l'écouter chanter. Elle vient de sortir un dernier album Des racines et des Chants. L'entame se distingue par un istikhbar d'une charge émotionnelle inédite. On y retrouve immédiatement, dès les premières sonorités, les traces de l'exil. L'exil qui a marqué presque tous les grands de la chanson populaire algérienne sur plusieurs générations ne l'a pas épargnée. Comme eux, le destin lui a fait traverser la mer. Comme eux, elle a goûté au fruit, souvent très amer, de la nostalgie. Et, comme eux, elle a couvé un amour immense pour l'Algérie. La voix est puissante et les modulations donnent une harmonie à un texte qui, en quelques lignes, livre la trame des douleurs et des blessures que l'exil accentue. Sa voix donne à la complainte de cheikh Hasnaoui (« j'étais quelqu'un et je ne suis plus rien / quoique que je mette je me sens tout nu »), une profondeur à vous donner la chair de poule. Comme en 1984, lorsqu'elle avait interprété la nouba complète avec l'orchestre philharmonique d'Alger, Nassima aime les défis : « je veux créer, je suis dans la création. » Dans cet album, elle introduit des sonorités nouvelles. Elle chante en duo avec Idir en kabyle, puis un autre duo avec Abdelghani Belkaïd qui, malgré ses 90 ans, n'a perdu ni le rythme ni la maîtrise vocale. Nassima rend hommage à Guerouabi « avec qui j'aurais aimé faire un duo » en interprétant délicieusement Megouani sahran. Forte de sa musique et de sa voix, elle chante magistralement en français son texte Femmes de toutes les couleurs sur une musique andalouse. Un texte qui dénonce l'absurdité de la guerre que les hommes se livrent depuis la nuit des temps. Elle demande aux femmes de sortir de leur silence et de contrer les pulsions guerrières. « Au début, dit-elle, je voulais simplement le déclamer, puis les musiciens m'ont convaincu de composer une musique et P'tit Moh s'est chargé des arrangements. » Elle est comme ça Nassima, elle ose. Et c'est comme cela qu'on l'aime.