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Fête millénaire… fête clandestine
Publié dans El Watan le 12 - 01 - 2010

Les bonnes vieilles calendes de janvier, les rites «yennayériques», les vœux d'abondance… célébrés et honorés pourtant, en cette contrée, depuis la haute antiquité, n'ont toujours pas voix au chapitre… officiel.
«C'est la marque d'un certain ostracisme de certains décideurs», reconnaît Youcef Merahi, secrétaire général du Haut-Commissariat à l'amazighité (HCA). Depuis 1999, souligne le chroniqueur et critique littéraire, le HCA – une institution rattachée à la présidence de la République – fête de façon officielle yennayer. «Ce que je déplore par contre, c'est la non-traduction de yennayer sur le plan légal pour qu'il soit consacré comme jour férié chômé et payé. Chaque année, nous renouvelons le même appel en direction des décideurs pour qu'ils franchissent ce cap. A mon sens, la volonté politique existe, même si elle est frileuse et j'imagine qu'il y a des résistances dans un certain sérail politique, de l'ostracisme pratiqué par certains décideurs.»
Cette année, le HCA a choisi la ville de Bordj Bou Arréridj pour fêter yennayer 2960 (le calendrier amazigh version académie berbère). Dîner de yennayer (imensi) de rigueur, des expositions, des conférences et des tables rondes, un mini-salon du livre amazigh et des séances gargantuesques de dégustation des mets traditionnels. Le yennayer officiel ou semi-officiel a été fêté l'année dernière dans le pays Chenoua, à Tipaza ; l'année prochaine, ce sera dans le M'zab, à Ghardaïa.
Il y a nécessité, selon M. Merahi, à invoquer le caractère national de yennayer : «Que yennayer n'est pas circonscrit à une seule région. Parce que certaines gens ont une vision réductrice de cette fête et ont tendance à le ghettoïser en Kabylie.»
Toute l'Algérie fête yennayer, le jour de l'an du calendrier agraire, et au-delà toute l'Afrique du Nord, affirme Saïd Chemakh, enseignant de tamazight à l'université de Tizi Ouzou.
Fête païenne ou calendes romaines ?
Tabburt u segwas (porte de l'année) ou ras el âm (nouvel an), laâdjouza (la vieille), as neferaouan (le jour de Pharaon), les noms qui lui sont associés, les rites qui lui sont rattachés divergent d'un coin à l'autre, les préparations aussi. Mais de Tlemcen à Souk Ahras, d'Alger jusqu'à l'Extrême-Sud, dans tout le Sahara, yennayer fait l'unanimité.
«Si la fête nous appartient, le mot lui-même ne l'est pas. Il est romain. On le tient de Ianuarius, (janvier), onzième mois du calendrier romain dédié à Ianus (Janus), divinité romaine veillant sur les ouvertures, de l'an notamment, de la guerre», prévient l'universitaire. A ce jour, des querelles (de clochers) agitent encore la communauté scientifique. Les scientifiques n'ont toujours pas tranché les origines exactes et la façon avec laquelle cette fête antique s'est imposée en Afrique du Nord. Fête païenne, préromaine ou adaptation des calendes romaines ? La question est toujours posée.
Pour le préhistorien Ali Aït Kaci, spécialiste de l'épigraphie libyque, «ce nom dérive vraisemblablement du cognomen lat. Ianuarius.
L'emprunt de ce nom de mois, comme c'est le cas pour tous les autres mois de l'année, est resté dans le vocabulaire berbère sous le terme yennayer, yennar. En onomastique humaine moderne, nous le retrouvons dans Yanuri [Inouri], nom patronymique». «La séquence anthroponymique (étude des noms de personne), YNWRN est attestée une seule fois dans une épigraphe de la Kabylie orientale», ajoute-t-il. Nombre de spécialistes relient yennayer à ses «origines» romaines. Yennayer, le jour de l'an berbère qui correspond au premier jour de janvier du calendrier julien (ce dernier est décalé de 13 jours par rapport au calendrier grégorien) ne serait-il qu'un legs romain et qu'il faut un jour rendre à César (Jules) ce qui, décidément, lui appartient ?
Dans «Yennayer en Afrique du Nord : Histoire d'un mot» (article consultable sur le site Tamazgha.fr, l'historien Yidir Plantade fait remarquer que même : «il s'avère que durant plusieurs siècles d'occupation romaine, les fêtes d'Ianiarus, ancêtre de yennayer ont été célébrées en Afrique du Nord. Cependant, cela ne suffit pas pour présumer de la filiation directe de yennayer avec l'Ianiarus romain. En effet, yennayer est connu dans toute l'Afrique du Nord, y compris dans l'extrême-sud du Sahara, chez les Touareg (aujourd'hui Niger, Mali). Or, ces zones n'ont jamais fait partie de l'empire romain et l'influence latine y était faible (…)» «Le vocable yennayer s'apparente au terme latin enneyer (janvier). Il est le plus utilisé dans l'univers culturel berbère, même si le Kabyle a tendance à employer parfois “ixf u segwas” (le début de l'année) ou encore “tabburt u segwas”. Les At Waziten (les berbères de Libye) préfèrent “anezwar n u segwas” (introduction de l'année). Ce mois marque les débuts du solstice d'hiver. Le soleil entame sa remontée. Les jours encore très froids se rallongent et instaurent l'espoir d'une meilleure année. Il est ritualisé d'une manière assez significative», écrit pour sa part l'animateur associatif Madjid Boumekla.
Quelles que soient ses origines, yennayer demeure néanmoins une fête profondément populaire.
Veille de yennayer, quartier populaire de Belouizdad. Les marchands de volailles, les vendeurs de gâteries et autres “treize» variétés de bonbons se frottent les mains (et pas seulement à cause du froid) et affichent bonne mine. Depuis 54 ans, Azzedine, fils de La Casbah, dit observer le même rituel, la nuit de yennayer. «Je me souviens, tous les enfants du quartier montaient après le dîner spécial de yennayer sur les terrasses des maisons munis de petites bourses pleines de bonbons. Celui qui réussissait à voir le ciel s'ouvrir laissait sa petite bourse de “treize” sur place jusqu'à l'année d'après.»
Une foultitude de superstitions, de légendes, de contes et de rites sont associés à cet événement. Yennayer sonne par exemple le retour sur terre des morts porteurs de la force de fécondité. «Durant la fête, les femmes kabyles ne doivent pas porter de ceinture, symbole de fécondité. Celles transgressant la règle subiraient le sortilège de la stérilité. Imensi n'yennayer nécessite des préparatifs préalables. Chez les Chaouis et les Kabyles, la veille, la maison est méticuleusement nettoyée et embaumée à l'aide de diverses herbes et branches d'arbres (pin, etc.). Elle ne sera plus nettoyée durant les trois jours suivant sinon le balai de bruyère, confectionné pour la circonstance par les femmes lors de leur sortie à la rencontre du printemps (amagar n tefsut), blesserait les âmes errantes. On procède au changement des pierres du kanun (inyen n l'kanun). Tous les gestes accomplis pendant la fête se font avec générosité et abondance. Les yennayéristes estiment recevoir, par leurs actions, la bénédiction des forces invisibles circonscrivant chez le Berbère son univers de croyance», note par ailleurs M. Boumekla.
Les yennayéristes et la superstition
Aussi vieux que l'histoire, yennayer est cependant toujours d'actualité. Une actualité qui fait la part belle à la «redécouverte des origines berbères», à l'ère du «patriotisme retrouvé» dans le sillage du match Algérie-Egypte à Khartoum. «Il se trouve que le pouvoir politique, dans ses professions de foi conjoncturelles, notamment dans les périodes de crise, concède une existence à l'amazighité. Uniquement dans le discours. On reconnaît l'amazighité dans le passé, dans la paléontologie en sous-entendant – car ce n'est pas dit clairement – que nous sommes des Berbères, mais que l'Islam nous a arabisés. Le triptyque amazighité, arabité et islamité, reconnu par la Constitution veut dire concrètement amazighité dans le passé, arabe comme unique langue officielle et Islam comme religion unique», dixit Arezki Aït Larbi, journaliste et militant démocrate.
Qu'est-ce qui empêche le pouvoir politique de réhabiliter yennayer ? «C'est dans la nature même du pouvoir qui est uniciste, basée sur la conception fascisante : un pays, une nation, un peuple, une langue, un chef (…). L'Algérie actuelle ne prendra acte de son histoire, de sa préhistoire, de sa sociologie, de sa pluralité que le jour où yennayer sera jour férié au même titre que aoual mouharam ou le 1er janvier», conclut Arezki Aït Larbi.


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