Le numéro 2 du FMI, l'Américain John Lipsky, a pris pour l'heure la place du Français Dominique Strauss-Kahn à la tête de l'institution de Bretton Woods, la question de la succession reste entière. Des noms de candidats potentiels commencent à circuler, selon médias internationaux. L'Américain prend les rênes au moment où l'Europe et le FMI doivent en effet se pencher sur l'opportunité d'apporter une nouvelle aide internationale à la Grèce. Une décision qui pourrait se révéler cruciale pour l'avenir de la zone euro. Les Européens, dont la chancelière allemande, Angela Merkel, défendait au lendemain de la démission de DSK une candidature européenne. Depuis sa fondation en 1944, le FMI a toujours été dirigé par un Européen. Il s'agit là d'une coutume issue d'un accord tacite entre l'Europe et les Etats-Unis qui placent, de leur côté, l'un des leurs à la tête de Banque mondiale. Son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, a estimé, pour sa part, que l'arrestation aux Etats-Unis de Dominique Strauss-Kahn ne pèserait pas sur les discussions de l'Eurogroupe ni sur le fonctionnement de l'institution monétaire. Les économistes se montrent cependant plus alarmistes sur l'impact du départ de DSK. Par sa stature et son expérience, le directeur du FMI – ancien ministre français des Finances, économiste souvent qualifié de «surdoué» qui se voyait ministre ou Nobel d'économie lorsqu'il était étudiant à HEC – a joué un rôle de premier plan dans la gestion de la crise économique européenne. Le FMI participe en effet à hauteur d'un tiers aux côtés des Européens au financement des prêts accordés à la Grèce (110 milliards d'euros) et à l'Irlande (875 milliards d'euros) et il s'apprête à financer un plan de prêts de 78 milliards d'euros en faveur du Portugal. A court terme, la présence intérimaire de Lipsky, à la tête du FMI, semble servir l'intérêt des Etats-Unis. Avec le Canada et les grands pays émergents, les Etats-Unis se sont récemment inquiétés qu'une partie importante des ressources du Fonds soient consacrées à l'Europe, à la Grèce en particulier, au détriment d'autres zones dans le monde. Les pays émergents en lice Le débat autour de la succession de Dominique Strauss-Kahn à la tête du Fonds monétaire international (FMI) est lancé depuis mardi dernier. Il «n'est plus en mesure de diriger le FMI», a estimé Timothy Geithner, le secrétaire d'Etat américain au Trésor, avant d'appeler à un changement rapide à la tête de l'institution. Il est utile de rappeler que «John Lipsky a été placé par les Américains – premiers financeurs du fonds – au FMI pour tempérer DSK. Mais il n'est pas du tout dans les mêmes dispositions. Son intervention sera forcément moins efficace», analyse Philippe Dessertine, directeur de l'Institut de haute finance à l'IFG (Institut français de gestion). A plus long terme, c'est l'équilibre même entre les grandes puissances économiques mondiales, mis en place depuis les accords de Bretton Woods en 1944, qui semble modifié. «L'équilibre très complexe entre les États-Unis, l'Europe et les pays émergents est rompu et pour très longtemps. On se doutait que la succession de DSK serait un problème car elle allait impliquer une perte d'influence de l'Europe, désormais c'est une certitude», assure Dessertine. Selon la rumeur, un candidat chinois serait dans les rangs, renforçant les craintes de l'Eurogroupe qui redoute, plus que jamais, sa perte d'influence sur l'échiquier économique mondial. Par ailleurs, d'autres soutiennent que ce scandale devrait être l'occasion de tourner la page de ce privilège du Vieux Continent et de nommer un ressortissant d'un pays émergent. Ainsi, ces derniers espèrent mettre un terme à plus de 70 ans de présidence européenne. Depuis plusieurs années, les pays émergents répètent que le monde n'est plus bipolaire comme dans les années 1970 et qu'il faut en tenir compte. C'est ce nouveau rapport de force que Dominique Strauss-Kahn s'est d'ailleurs efforcé de refléter au travers de la réforme, en 2008, du droit de vote au FMI. Toutefois, le Brésil est prêt à appuyer un candidat européen à la direction du FMI s'il poursuit les réformes de «démocratisation» de l'organisation financière, a dit vendredi le ministre brésilien des Finances Guido Mantega. La stratégie française Les Français tentent de leur côté de garder ce poste très influent. Dans ce sens, Jean-François Copé, le patron de l'UMP, a affirmé que «la question de la succession devra être réglée dans les jours qui viennent». Le nom de Christine Lagarde, ministre de l'Economie. La stratégie française consiste à écouter et laisser venir les appuis à la candidature de Lagarde. L'Élysée ne veut pas apparaître en première ligne, mais voit converger avec satisfaction les Européens vers la ministre de l'Economie pour prendre la succession de DSK à Washington. La Française pourrait également recevoir un autre soutien de poids cet après midi: le chef de l'Etat s'est entretenu avec le premier ministre britannique, David Cameron, et ce dernier pourrait envoyer un signal positif d'ici ce soir. Par ailleurs, l'ancien ministre des Finances turc, Kemal Dervis, très souvent cité comme un candidat sérieux à la succession de DSK à la tête du FMI, a annoncé en fin de journée vendredi qu'il ne serait pas candidat au poste de directeur général. Surtout, le gouvernement français attend le résultat de l'enquête préliminaire autour de l'affaire Tapie menée par la Cour de justice de la République, qui devrait tomber d'ici 4 à 6 semaines. Cela tombe parfaitement bien avec l'agenda international : le G8 prévu la semaine prochaine à Deauville, sous présidence française pourrait envoyer un premier signal en faveur d'une candidature européenne; le sommet européen des 23 et 24 juin pourrait être l'occasion pour l'Europe de désigner leur candidat. Christine Lagarde a donc encore cinq semaines à patienter avant de connaître son destin. Quatre ans passés à Bercy ont permis à Christine Lagarde de se faire respecter sur la scène internationale. A tel point qu'en 2009, l'influent quotidien économique britannique The Financial Times l'élisait «meilleure ministre des Finances de la Zone euro». Elle connaît la situation de la zone euro. Les Européens veulent la garder car elle a participé à l'élaboration de tous les plans de sauvetage successifs – Grèce, Irlande, Portugal. Elle a aussi travaillé près de dix ans à Chicago dans le cabinet d'avocat Baker & Mckenzie (de 1995 à 2004), dont elle a été l'une des dirigeantes. Un point favorable aux américains qui ont une influence importante sur l'institution comme le rappelle Christine Rifflart, économiste à l'Office français des conjonctures économiques (OFCE). Enfin le fait qu'elle soit une femme. Cependant le fait qu'elle soit française peut avoir un effet négatif sur sa candidature. La France ne fait pas partie des favoris pour présenter un candidat. Un désavantage d'autant plus important que depuis la création du FMI, en 1946, quatre de ses dix directeurs ont été des Français (Pierre-Paul Schweitzer de 1963 à 1973, Jacques de Larosière de 1978 à 1987, Michel Camdessus de 1987 à 2000 et donc Dominique Strauss-Kahn de 2007 à 2011). Dans l'affaire Tapie, Christine Lagarde pourrait se retrouver devant la Cour de justice de la République pour «abus d'autorité». En effet, le parquet a demandé, début mai, l'ouverture d'une enquête. La ministre est accusée d'avoir tout fait pour favoriser l'homme d'affaires Bernard Tapie dans le différend qui l'oppose, depuis plus de dix ans au Crédit Lyonnais. L'hebdomadaire satirique le Canard Enchaîné a révélé un rapport de la Cour des comptes très critique envers la ministre de l'Economie. Un scandale politico-judiciaire susceptible d'être fatal à son éventuelle candidature à la direction du FMI. Aucune procédure officielle pour remplacer le Français DSK n'a encore été lancée au FMI, mais chacun avance d'ores et déjà ses pions.