L'hebdomadaire Zeta de Tijuana, dans le nord-ouest du Mexique, enquête depuis vingt ans sur le trafic de drogue et la corruption : une ligne éditoriale qui vaut à sa codirectrice générale, Adela Navarro Bello, d'être considérée comme la femme courage de la presse mexicaine. Cette femme a reçu le Prix 2011 du Courage dans le journalisme, attribué par la Fondation internationale des Femmes dans les Médias. «D'impitoyables cartels de la drogue ont assassiné ses éditeurs et menacé à plusieurs reprises de tuer Adela Navarro Bello, mais celle-ci refuse d'arrêter d'écrire sur la violence qui fait rage au Mexique», a souligné la Fondation. Depuis 2006, Adela Navarro Bello dirige, conjointement avec Cesar René Blanco Villalon, l'hebdomadaire Zeta diffusé à 30 000 exemplaires, principalement dans l'Etat de Basse Californie (ouest). Malgré le danger, elle ne montre aucun signe d'inquiétude. Le regard franc et l'allure décontractée, l'énergique directrice générale chasse toute idée de peur : «Je ne peux pas penser à ce qui peut m'arriver. Sinon je n'exercerai pas ce journalisme-là.» Le Mexique est devenu un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes, avec 66 reporters assassinés en dix ans, selon l'ONU. La guerre des cartels, entre règlements de comptes internes et affrontements avec les forces de l'ordre, a fait plus de 37 000 morts depuis le lancement, fin 2006, d'une offensive militaire par le président mexicain Felipe Calderon. Adela Navarro Bello n'apprécie pas non plus l'idée de multiplier les protections armées, comme c'est arrivé en 2010. «J'ai eu une escorte armée de sept militaires, car un membre du cartel Arellano-Felix a menacé de me tuer ainsi que mes compagnons. Mais on ne peut pas arriver à un entretien avec sept militaires qui portent des armes, des gilets pare-balles… les gens ne vont plus te faire confiance.» «Les auteurs des menaces ont depuis été arrêtés et l'escorte a été retirée. Nous sommes mieux ainsi, libres», explique-t-elle. Une liberté de ton que l'hebdomadaire Zeta a payé au prix fort puisque trois de ses collaborateurs ont été tués par balles. Le cas le plus emblématique est celui du cofondateur de Zeta, Hector Félix Miranda. En 1988, il est abattu devant son domicile par deux gardes du corps de Jorge Hank Rhon, propriétaire de l'Hippodrome et ancien maire de Tijuana, ville frontalière avec les Etats-Unis. Les auteurs du crime ont été arrêtés et condamnés, mais l'identité de son commanditaire n'a jamais été éclaircie par la justice. Pour Adela Navarro Bello, «toutes les pistes mènent à l'Hippodrome : les armes, les véhicules, l'argent… Nous exigeons qu'une enquête soit effectuée avec Jorge Hank comme probable commanditaire du crime.» Depuis, chaque édition de Zeta publie une page signée du défunt Hector Felix Miranda, qui commence par cette question : «Jorge Hank Rhon : pourquoi ton garde du corps Antonio Vera Palestina m'a assassiné ?» Jorge Hank Rhon est toujours dans la ligne de mire de Zeta. Ce journal a documenté les soupçons et excès qui ont entouré cet homme : suspicions de blanchiment d'argent, de relations avec le cartel Arellano-Felix et celui de Juarez ou du Golfe, d'opérations illicites à partir de ses casinos et de contrebande. «Malheureusement, ces accusations ne sont jamais arrivées devant un tribunal», déplore-t-elle. Jorge Hank Rhon, multimillionnaire de 55 ans, a été arrêté le 4 juin pour possession illégale d'armes, mais libéré deux semaines plus tard pour vice de procédure. La directrice de l'hebdomadaire dénonce aussi l'idée selon laquelle le crime organisé de Tijuana serait sous contrôle. En 2008, le cartel local des Arellano-Felix explose en deux factions qui règlent leurs comptes. Le président mexicain envoie des milliers de soldats pour mettre fin à la violence. Depuis, le nombre d'homicides est passé de 800 en 2008 à 400 en 2010, et Felipe Calderon cite Tijuana en modèle de lutte contre les cartels. Mais pour la directrice de Zeta, c'est une illusion : «Une faction du cartel Arellano-Felix l'a emporté sur l'autre et on a la paix». Le vrai changement, c'est la discrétion nouvelle du crime organisé, selon Adela Navarro Bello : «Cette faction continue le trafic de drogue, le racket, les enlèvements… en faisant profil bas. Mais on ne peut pas parler de modèle quand les criminels sont encore dans la rue.»