L'Algérie avait importé quelque 63 millions de quintaux afin de combler le déficit de la production locale et s'assurer des stocks suffisants pour le moyen terme. Cet épisode dénote la dangerosité d'une agriculture qui dépend entièrement d'un climat changeant et souvent défavorable.La sécheresse est loin d'être un phénomène marginal. En témoigne cette production céréalière qui fait le yoyo au gré de la pluviosité. Le stress hydrique a un coût et pas des moindres. Les importations algériennes de produits alimentaires ont enregistré rien que pour les neuf premiers mois de 2011 une hausse de plus de 66%, tirée essentiellement par les céréales dont les achats ont plus que doublé, selon les Douanes algériennes. Les produits alimentaires, qui représentent 20,8% du volume global des importations de l'Algérie, se sont établis à 7,29 milliards de dollars de janvier à septembre 2011, contre 4,37 milliards de dollars durant la même période en 2010. Les importations de céréales connaîtront une hausse de 18% les vingt prochaines années, selon les prévisions de la Banque mondiale qui a réalisé un rapport intitulé «Amélioration de la sécurité alimentaire en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. L'Algérie, selon la même source, consacre 0,03% de son produit intérieur brut (PIB) pour subventionner les prix de certaines denrées alimentaires, dont des produits céréaliers. Les spécialistes tirent la sonnette d'alarme et mettent en garde quant à l'absence d'une politique garantissant une utilisation rationnelle de l'or bleu, qu'une écrivaine bien inspirée a défini comme étant «le sang de la terre». Il faut dire que le liquide précieux se fait de plus en plus rare. «L'Algérie n'a que 17 milliards de mètres cubes d'eau renouvelables par an. En 2003, sur les 180 pays étudiés par la FAO, l'Algérie est classée parmi les 17 pays les plus pauvres en matière de potentialités hydriques», a indiqué Brahim Mouhouche, professeur à l'Ecole nationale des sciences agronomiques (ENSA), lors d'un séminaire organisé sous le thème «Eau et agriculture», en marge du salon Agroexpo 2011. Selon l'analyse de cet expert, l'Algérie arrive tant bien que mal à assurer sa sécurité alimentaire grâce à la rente pétrolière qui lui permet d'importer ce qu'elle ne peut produire localement à cause de la rareté de l'eau. «Le problème du manque d'eau en Algérie fait vraiment peur», s'est-il exclamé. Le défunt économiste Hamid Aït Amara en était arrivé au même constat et dressait lui aussi un tableau plutôt sombre sur l'avenir alimentaire de l'Algérie. «En dehors des recettes pétrolières, on ne peut même pas payer un quintal de semoule», avait-il relevé tout en soulignant que «la population est nourrie à 80% par les importations». Cultures interdites Le professeur Mouhouche abonde dans ce sens en signalant que l'Algérie importe «virtuellement» son eau. «Tous les produits alimentaires que nous importons ont été produits grâce à une certaine consommation d'eau. L'Algérien consomme environ 500 m3d'eau par an, alors que le seuil minimum fixé par la FAO est de 1100. Les 600 m3 qui restent sont importés virtuellement. Mais même avec ces importations, on est bien loin de la moyenne mondiale qui est de 6733 m3 par personne par an», note-t-il. Les importations ne sont pas, selon lui, une fatalité, mais une nécessité. Il plaide même pour une nouvelle politique agricole qui favorise les produits agricoles qui consomment peu d'eau et d'importer ceux dont les besoins hydriques sont importants. «Il faut utiliser avec efficience l'eau dont nous disposons. Nous ne devons pas produire des choses qui consomment beaucoup d'eau et qui n'ont pas de valeur ajoutée. Par exemple les céréales, il est préférable de les importer, car elles sont subventionnées partout dans le monde et nécessitent une forte mobilisation en eau. Il vaut mieux utiliser cette eau pour les maraîchages, le lait et les fourrages», a-t-il suggéré. Certains observateurs commencent même à évoquer «des cultures interdites» en raison de leur forte consommation d'eau. Il estime en outre que l'Algérie gagnerait à développer le dessalement de l'eau de mer en mettant en place des stations qui fonctionneraient grâce aux énergies renouvelables. «Avec l'avènement des énergies renouvelables qui ouvrira la voie à des énergies pas chères, on pourra dessaler l'eau de mer pour l'approvisionnement en eau potable et laisser les autres ressources pour l'agriculture. On a 1200 km de côtes. Notre roue de secours, ce sont les énergies renouvelables», soutient-il. Le recyclage de l'eau est une autre alternative défendue par notre interlocuteur. «On perd chaque année 1 milliard de mètres cubes d'eau qui sont jetés à la mer. On peut en récupérer avec les stations d'épuration quelque 700 millions de mètres cubes qui pourront facilement irriguer 100 000 ha», relève M. Mouhouche. L'Algérie devrait en outre investir davantage dans les infrastructures hydrauliques. Le pays dispose de 17 milliards de mètres cubes d'eaux dites renouvelables, mais n'en consomme que 33%. «On peut aller jusqu'à 70% de nos potentialités», assure ce professeur à l'ENSA. La réduction du gaspillage de cette denrée, qui devient bien rare, est un autre moyen de l'économiser, souligne-t-il encore. «L'Algérien ne respecte pas l'eau. L'eau maintenant c'est de l'or. L'eau gaspillée peut aider à produire des kilos de tomates, de pommes de terre, etc., il faut qu'on utilise à bon escient le peu d'eau que l'on a», constate-t-il, non sans une certaine amertume. Les agriculteurs pourraient aussi économiser l'eau en ayant recours aux systèmes économiseurs d'eau mais force est de constater que les périmètres irrigués représentent moins de 10% de la surface agricole utile. L'agriculture algérienne pompe plus de 60% des ressources en eau conventionnelles (barrages, forages). Les graves crises alimentaires, qui se suivent et emportent les vies de milliers de personnes terrassées par la famine, devraient donner à réfléchir quant à l'utilisation rationnelle de l'eau qui devient un enjeu essentiel pour assurer la sécurité alimentaire et la souveraineté du pays.