Nous pourrions être à la veille de subir l'une des crises les plus terribles de notre jeune histoire économique. Le scénario des années 1980 pourrait se reproduire. Il y a trois similitudes entre les deux périodes. Premièrement, au début, le pays bénéficiât d'une rente jamais égalée. Deuxièmement, l'utilisation de ces ressources ne fut pas judicieuse. Le Programme d'ajustement structurel (PAS) pour le début des années 1980 et le tout-infrastructure des années 2000 au détriment des qualifications humaines, la décentralisation, le financement de l'économie productive et la modernisation managériale. Troisième similitude : le refus de changer radicalement de politique économique après les premiers signes de crise. Durant les années 1980, on a laissé le système exploser avant de changer radicalement de politique économique durant les années 1990. On refuse de changer radicalement les politiques structurelles. Certains avancent que les deux situations ne sont pas identiques à cause des réserves de change. Ils vont vite déchanter en s'apercevant que ces dernières vont fondre très rapidement comme neige au soleil (au bout de trois ans, à peu près). Y a-t-il une possibilité de sortie de crise avec un minimum de heurts sociaux ? Assurément. La vaste majorité des experts algériens en ont donné les grandes lignes. Nous avons un peu de temps et un peu de ressources pour amortir le choc social et opter pour des réformes profondes et courageuses : celles qui permettent de mettre l'Algérie sur la trajectoire de l'émergence. Actuellement, on assiste, sans pouvoir faire grand-chose, à un concours national de pessimisme : c'est à qui voit l'avenir le plus noir possible. La presse, les discussions de café, les élucubrations de salons, etc. vont tous dans cette direction. La gestion de la communication fait partie intégrante des politiques économiques. Il faut donc savoir agir sur les anticipations des agents économiques, car ces dernières sont déterminantes dans les comportements et les probabilités de réussite des politiques économiques. Distiller de la confiance fait partie des objectifs des politiques économiques. Une marge de manœuvre importante Les politiques économiques menées ces dernières années sont loin d'être toutes négatives. Quelques mesures positives ont donné à l'Algérie une marge de manœuvre importante pour riposter efficacement à la crise. Le paiement anticipé de la dette, la création d'un Fonds de régulation, la constitution d'importantes réserves sécurisées ne sont qu'un échantillon de décisions courageuses et appropriées. Elles nous permettent aujourd'hui de disposer de capacités de riposte appréciables. Cependant, il ne faut point perdre du temps, car la course contre la montre a commencé. Les ressources s'amenuisent à un rythme alarmant. En un seul trimestre, nous avons assisté à une réduction des réserves de près de 20 milliards de dollars. A ce rythme, les ressources ne vont pas perdurer plus de trois ans. Certes, une partie de la réduction provient des variations des parités des différentes monnaies, mais le gros de la diminution provient des importations qui continuent d'être abusives. Aujourd'hui, la presse, les analystes, les think tank et les simples citoyens attendent que la loi de finances complémentaire apporte des perspectives de solutions à la crise. On se presse de la scruter pour trouver des repères pour l'avenir. Bien qu'il soit fort utile de l'analyser et de déceler quelques modifications de politiques économiques, ce n'est pas à ce niveau-là qu'il faut espérer des décisions salutaires. La loi de finances – normale ou complémentaire – est utile pour détecter quelques changements dans les priorités de l'Etat. Elle sert aussi à corriger un certain nombre de dysfonctionnements opérationnels : système de taxes, réduction des dépenses, nouveaux projets à financer, etc. Il faut l'analyser avec d'autres loupes pour pouvoir en détecter les nouvelles tendances. Par exemple, le fait de monter une Académie des technologies et des sciences en pleine restriction budgétaire est-il le signe d'une réorientation des priorités de l'Etat vers l'économie du savoir, ou est-ce un acte isolé sans lendemain ? Mais l'essentiel de l'information dont nous avons besoin pour être fixés sur le sort de l'économie algérienne réside ailleurs : le fameux plan 2015-2019 – qui tarde à voire le jour -, la réorganisation de l'Etat, les nouvelles politiques sectorielles et le reste. Certains éléments se retrouvent dans les lois de finances, d'autres non. Le taux de croissance de 7,1% du dernier semestre est-il dû à des mutations structurelles ou simplement à des effets de conjonctures ? Ce sont ces types d'analyses qu'il faut mener. Les vraies alternatives Jusqu'à présent, les ripostes connues sont plutôt timides. Beaucoup vont dans le bon sens. La réduction de la fiscalité pour les entreprises de production est une décision espérée depuis de longues années. On a corrigé une grave erreur de soumettre toutes les entreprises au même IBS. Les projets d'infrastructures non urgents sont différés, et à juste titre. Ce n'est pas le moment de financer tout et tous azimuts. Les tentatives de rationalisation des dépenses sont louables, même si les mesures pour atteindre cet objectif demeurent peu précises. Mais la vraie question, rarement posée par nos analystes, demeure tout autre. Vouloir créer une économie productive moderne, diversifiée et compétitive est une idée qui date de plus de quarante ans. Pourquoi a-t-on toujours échoué ? Lorsqu'on réfléchit ainsi, ce qui est important devient clair : les mesures de riposte sont-elles à la hauteur des défis auxquels fait face le pays : réussir l'intégration à l'économie mondiale et se propulser en pays émergent ? Un diagnostic profond de l'économie algérienne indiquerait les véritables problèmes de fond : sous-qualifications humaines, sous-management des entreprises et des institutions, absence de vision et de stratégie, politiques sectorielles peu cohérentes, etc. Une loi de finances normale ou complémentaire ne peut pas faire face à ces challenges. Alors, la véritable riposte serait celle qui éradiquerait ces maux. Il y a très peu de dispositions qui permettraient d'affirmer que ces faiblesses seraient sérieusement prises en charge à l'avenir. Evoquez les sous-qualifications humaines et surtout managériales et on vous rétorquera qu'une énième école va être créée ! Parlez de bureaucratie et on évoquera un ensemble de directives transmises à la bureaucratie pour se débureaucratiser elle-même ! Mais nous n'avons pas une approche globale et efficiente pour corriger ces importants dysfonctionnements. Nous avons les 10% de la riposte nécessaire. Il nous faut le reste : un plan stratégique qui contient des qualifications humaines, une amélioration des processus de gestion de niveau mondial, une décentralisation, une multiplication du nombre d'entreprises productives par trois, le développement d'une industrie de l'expertise de niveau mondial, etc. C'est cela la véritable riposte. C'est là que réside l'espoir pour 40 millions d'Algériens qui espèrent que leur pays soit définitivement mis sur la trajectoire de l'émergence.