C'est un ministre de la Justice en colère qui s'est exprimé, hier, devant un parterre de procureurs généraux et de présidents de cour à l'occasion d'une journée de débat à huis clos sur les nouvelles dispositions du code de procédure pénale qui entrera en vigueur le 23 janvier 2016. Tayeb Louh tenait à répondre à ceux qui disent qu'«il n'y a pas eu de réforme» : «Ce que vous dites n'est que mensonge.» Le ministre étaye ses propos : «En deux ans, il y a eu 13 nouveaux textes de loi, dont 7 ordonnances qui apportent des réformes profondes. D'abord le recours par le parquet aux experts et spécialistes pour renforcer leur rôle en matière de poursuites ; la médiation judiciaire, le nouveau mécanisme alternatif aux poursuites pénales ; la comparution immédiate en matière de flagrant délit, la plus importante des réformes qui permet aux prévenus d'être déférés devant le juge qui est le seul habilité à les placer en détention ou à les libérer. Cette réforme renforce le pouvoir du juge du siège, protège les libertés individuelles et garantit la préservation des droits de la défense. Les prévenus ont le droit d'être assistés par un avocat durant la garde à vue. Avec toutes ces dispositions, comment un homme de loi peut-il dire qu'il n'y a pas de réforme ? C'est un mensonge… L'Algérie doit avoir une justice forte et indépendante. Elle doit se hisser aux standards internationaux. Beaucoup se sont plaint des juges qui arrivent avec une pile de dossiers au tribunal. Nous avons prévu des procédures alternatives de médiation pour éviter les longues journées d'attente dans les salles d'audience et les piles de dossiers que doit examiner le juge en audience. Si le prévenu accepte le montant de l'amende, il signe et n'a même pas besoin d'aller au tribunal. N'est-ce pas une réforme ? La réforme de la justice est l'avenir de l'Algérie et de l'Etat de droit.» Le ministre de la Justice rejette ce qu'il présente comme «une manipulation politique» et précise que «la réforme se construit pierre par pierre sur des bases solides et saines». M. Louh a aussi évoqué l'interdiction de sortie du territoire national, en critiquant sévèrement son utilisation abusive par des parties qu'il ne nomme pas : «La réforme a remis cette mesure entre les mains du juge qui est le seul habilité à la décider car il est le garant des libertés individuelles. Nous savons tous ce qui se faisait avant. Des citoyens ont été refoulés des aéroports juste sur une information ou une lettre. C'est fini tout cela. Pourquoi n'avoir pas dénoncé ces pratiques et exigé leur suppression, sachant que vous êtes des défenseurs des droits de l'homme ? Pourquoi parler aujourd'hui de cette mesure qui a disparu de la loi ? Nous avons engagé cette profonde réforme parce que nous avons eu le courage de renforcer l'indépendance de la justice. Nous avons prévu la procédure de protection des témoins qui aident la justice dans le cadre de grandes affaires qui peuvent susciter des menaces sur leur vie. Nous avons prévu une procédure alternative à la détention provisoire, à savoir le recours au bracelet électronique, et le renforcement du rôle de la chambre d'accusation pour faire de la détention une mesure d'exception. Nous avons introduit la plainte préalable lorsqu'il s'agit de délit de gestion en revenant au code du commerce.» «Cette réforme reflète la vision claire du gouvernement en ce qui concerne la justice», déclare le ministre, qui trouve «inacceptable» que les procureurs ne puissent pas savoir ce qui se passe dans les lieux de garde à vue. Pour lui, le nouveau code de procédure pénale protège les personnes les plus vulnérables, comme les enfants dont l'âge de la minorité a été revu à moins de 18 ans, mais aussi les femmes victimes de violences. Et d'ajouter : «Les peines encourues par les auteurs de kidnapping d'enfant et les pédophiles sont revues pour être plus lourdes, de même que celles qui concernent l'utilisation des enfants dans la mendicité.» Interpellant les procureurs généraux, le ministre a exigé «des rapports réguliers sur les fléaux qui gangrènent la société et d'agir avec les autorités concernées (services de sécurité, walis, organismes sociaux et élus) pour trouver des solutions afin d'éradiquer ces maux à travers l'exécution de la politique pénale. Ce sont des maux parmi tant d'autres, l'Etat n'est-il pas capable de les résoudre ? Le phénomène de l'utilisation d'épées doit être éradiqué. Le procureur doit engager l'action publique s'il constate la complaisance d'une partie ou d'une autre. Les Algériens ont trop souffert durant les années 1990. Ils ont besoin de vivre dans la sérénité, la sécurité et la paix. C'est cela notre vision de la réforme». Le ministre a évoqué l'actualité française : «Les événements tragiques survenus vendredi à Paris démontrent une fois de plus que le terrorisme est devenu une véritable menace pour l'entité de tout Etat ou société. La lutte contre le terrorisme implique une coopération internationale plus efficiente dans les domaines diplomatique, politique, économique et sécuritaire. La coopération judiciaire entre les Etats permet de tarir toutes les sources de financement du terrorisme, sous toutes ses formes.» Et d'ajouter : «La lutte antiterroriste est une bataille qui exige de la communauté internationale la mobilisation de toutes ses capacités et la coordination de ses efforts aux niveaux politique, judiciaire et sécuritaire. Il faut une approche consensuelle pour traiter les principaux facteurs qui encouragent la prolifération des activités terroristes parce que la lutte contre le terrorisme vise avant tout la pensée extrémiste qui justifie la violence et détruit les valeurs humaines.» Le ministre rappelle que l'Algérie a été «le premier pays à avoir alerté sur la menace terroriste et souligné la nécessité de s'attaquer aux causes qui l'alimentent, comme le crime organisé sous toutes ses formes et le trafic de drogues et d'armes». Par ailleurs, M. Louh a exhorté l'autorité judiciaire à «faire preuve de vigilance et à user de tous ses instruments juridiques contre l'apologie et le financement du terrorisme». Et de plaider pour «une coopération internationale en matière d'échange d'informations sur les réseaux terroristes, l'adoption en amont d'actions contre les plans terroristes et l'application rigoureuse de la loi dans le cadre du respect total des droits et des libertés».