Beaucoup de médecins, formés en Algérie, voient leur avenir sous d'autres cieux. C'est l'une des conclusions de l'ouvrage intitulé De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences – Une vision du Maghreb, publié cette semaine par le Centre de recherche en études appliquées pour le développement (Cread) en collaboration avec le bureau d'Alger de l'Organisation internationale du travail (OIT) sous la houlette du sociologue et chercheur Mohamed Saïb Musette. Analyse d'un phénomène qui déleste le pays de ses compétences. Les médecins formés en Algérie tiennent le haut de l'affiche des départs. Le taux des médecins inscrits au tableau de l'Ordre des médecins en France est de 21,94%. «Ce ne sont pas tous les médecins en exercice qui sont inscrits au tableau de l'Ordre des médecins. Le taux de fuite est encore plus important si l'on inclut tous les médecins installés en France exerçant dans le secteur médical ou autre, il atteindrait presque 30%», est-il précisé dans l'étude en question. Les psychiatres algériens sont les premiers à répondre aux sirènes de l'Occident, avec un taux de 30% installés en France, suivis par les spécialistes en radiologie (15,55%), en ophtalmologie (13,10%) et en anesthésie-réanimation (12,96%). Les migrants algériens qualifiés représentent 26% en moyenne des Algériens installés dans les pays de l'OCDE (soit un effectif de 267 799 personnes), dont 1,2% ont un PhD (plus haut niveau d'étude). Il est à noter une part grandissante de femmes qui choisissent de s'établir sous d'autres cieux. «La différence est réduite dans les proportions entre les hommes et les femmes, contrairement à ce qu'on observait dans les données des années 2000 (…). On constate aussi que 24,8% de femmes et 27% d'hommes ont un niveau d'études supérieur. Peu de différences existent entre les femmes et les hommes, avec une forte féminisation chez les jeunes. Ils sont en majorité en pleine maturité (classe d'âge 25-45 ans)», commente Mohamed Saïb Musette. Les Algériens qualifiés installés en Occident sont généralement bien lotis, si l'on en croit l'étude du Cread. Le niveau des rémunérations des compétences originaires d'Algérie varie entre 500 euros et 8000 euros et plus. Il apparaît ainsi que 35% des personnes perçoivent moins de 1500 euros, 25% entre 1500 et 2500 euros et puis 37% plus de 2500 euros. «Ils sont pour la plupart en activité, peut-on lire dans l'étude. Ils connaissent certes le chômage, mais nettement moins que ceux qui n'ont pas de formation universitaire. Ils occupent pour la plupart des postes d'emploi dans des professions libérales et intellectuelles. On observe aussi un niveau assez faible de ‘brain waste' — soit à travers des emplois n'exigeant pas de niveau supérieur ou alors ils sont sous-employés avec une faible rémunération. Ce phénomène peut donner lieu à des ‘gains' pour l'Algérie, d'une autre manière, à partir de la migration de retour, réelle ou virtuelle.» Parmi les raisons qui poussent les compétences au départ, le sociologue Mohamed Saïb Musette souligne un sentiment de marginalisation des élites algériennes. «Le référent de la réussite sociale et professionnelle, en dehors de l'accomplissement universitaire et scientifique, explique-t-il, a été floué dans ses références et ses valeurs, un segment des compétences (intellectuelles et professionnelles) se considère comme marginalisé et inutile. Le savoir et les diplômes ne seraient pas des critères objectifs et incontournables de l'ascension sociale et professionnelle. L'affairisme et le favoritisme seraient devenus les moyens reconnus et privilégiés. Les compétences vont donc tenter de s'accomplir et de s'épanouir ailleurs, notamment dans certains pays du Nord.» Très souvent, la cause du départ dépasse le cadre individuel et se détermine pour des considérations familiales et sociales. «En effet, précise M. Musette, des adultes, des jeunes, issus principalement de familles aisées, quittent le pays dès l'obtention du bac français. Ce phénomène s'est amplifié avec l'avènement des écoles privées et l'ouverture des lycées français en Algérie. Des instituts et des écoles supérieures privées sont ouverts principalement à Alger, affiliés à des établissements similaires étrangers. Les enfants d'expatriés algériens ne rejoignent pas le pays après la fin de leur cursus universitaire ou à la sortie d'une grande école.» Le phénomène est néanmoins à relativiser. Si la fuite des cerveaux s'accélère partout dans le Maghreb, avec un taux de croissance de 57%, elle tend à se stabiliser dans notre pays. «Nous avons calculé le taux de ‘‘brain drain'' des Algériens dans les pays de l'OCDE. Il représentait 6,6% en 2012 (population âgée de 15 ans et plus). Il faut souligner qu'il a été de 17% dans les années 1970 et de 8,6% dans les années 2000 (pour les plus de 25 ans). L'ampleur de ce phénomène reste abstraite», peut-on lire dans l'excellent ouvrage du Cread.