Les 11 titres qui composent cet album s'inscrivent dans la lignée des précédents styles qui couvrent l'ensemble de sa carrière. Ils ont tous pour dénominateur commun la rhétorique militante en faveur de l'identité amazighe et des droits fondamentaux comme thématique, agrémentée d'un univers fusionnel entre la musique traditionnelle kabyle et le soft rock. Un univers hybride qui revisite aussi les genres les plus doux de son répertoire. Fluide et généreux, riche en touches musicales douces, le dernier-né d'Abranis abrite une composition inédite, qui se prolonge dans le registre de la chanson engagée. Les titres sont interprétés par Karim, de son vrai nom Mohand-Tahar Sid, auteur et compositeur de la majorité des chansons, le fondateur de ce mythique groupe qui nous sert un mélange fort agréable, où les limites entre le blues, le bon vieux soft rock et la musique traditionnelle kabyle sont floues, grâce à l'usage d'instruments acoustiques, centrés sur les mélodies et les harmonies qui entremêlent guitares (M. Idir, M. Nazim), basse (H. Lahlou), batterie (H. Yacine), claviers (K. Ferhat) et percussions (K. Younes). La chorale adoucie l'allure des chansons rendues très familières avec des arrangements assurés par Idir Mouhia, Kaci Ferhat et Karim Abranis. Produit par Gosto, cet album offre des mélodies particulièrement fines et adaptées au gendre typiquement Abranis, un style virtuose, mêlant les belles aires de blues et les douces mélodies traditionnelles authentiquement kabyles. Connu pour son engagement pour l'identité amazighe, la liberté d'expression, la démocratie et la défense des droits de l'homme, le groupe mise notamment sur la chanson intitulée Ma mazal pour mettre tous ses talents narratifs au service d'une cause : la résistance contre le renoncement, la démission et l'autocensure médiatique. «Ma ssusmen wid d-iqqaren. Ma ugaden wid nni izemren. Amek ara nexdem nekkni. Ma rewlen widak yessnen. Fceln-asen ifadden. Ma mazal yiwen deg-sen. Ma yiwen i d-yeqqimen. ehsut winna d nekkini». Une chanson qui constitue une valeur sûre que les puristes du rock vont certainement admirer. Un autre titre très engagé est baptisé Yerna dessen. Emprunté au génie Abdellah Muhia (Muhand u Yahia) grand dramaturge, conteur, parolier et poète kabyle, le texte évoque comment les hommes renoncent volontairement à leur liberté et choisissent la servitude de la tyrannie qui les transforment en complices. Nous sommes dans le registre de la pure philosophie politique traitant de la soumission à l'absolutisme. Le poème explore une métaphore évoquant «des moutons domptables à souhait». «Rwan lhif dayen kan. zidit am izamaren. Yerna tt-rennin, yerna dessen. Ammar anida ttaysen». Un clip intitulé Tajmilt (réalisé par le fameux Adel Chaoui venu spécialement de France) a été diffusé en avant-goût : «Malgré nos différences, Aghi-yesdukklen d tamazirt tajmilt i wid tti hemlen.» Les Abranis nous servent aussi une chanson intitulée Urgar, un hymne à la paix dans le monde (texte de Saïd Abdelli). Sebaâ oukhemsin (57) est une chanson dans laquelle Karim rend hommage à son père disparu à jamais cette année-là, durant la guerre pour l'indépendance de notre pays. Le groupe injecte aussi dans cet album des chansons très poétiques, émargeant volontiers dans le registre habituel de la métaphore : A hemma et Lvaz (avec la collaboration de Amirouche Amwanes). Dans cet album, il est aussi question de thèmes positifs et tournés vers la vie, des textes agrémentés de magnifiques chansons intitulées Lasmah, Tamurt-iw (avec Salim Benkhlifa), Urggar (avec Abdelli Saïd), Aris (avec Meziane Kezzar) et enfin Silas. Le groupe a été créé en 1967 par Karim Abranis, chanteur bassiste. Depuis, Abranis place le combat identitaire au cœur de son œuvre. Ce groupe est le premier groupe rock-pop en Afrique. Un pionnier et une des figures de proue du rock avec des albums comme Linda, Wali Kan, Tizizwa ou encore Avehri qui ont connu un grand succès à travers le monde. «Abranis est un concept en constante évolution. Une musique, un style, une démarche, une philosophie, une équipe», explique Karim, l'enfant de Tifilkout, village perché en Haute Kabylie, à quelques encablures de Michelet. Après son dernier album (Rwayeh) qui remonte à 2012, Abranis fait ainsi un come-back qui promet d'être triomphant. Oui la machine à musique est de retour.