Le cœur est encore blessé à la suite de l'agression infligée à la statue de Aïn Fouara par une personne démente. Dans la foulée, Yennayer arrive avec ses atours joyeux, répandant un sentiment de gaieté dans l'esprit des Algériens. Il n'échappe à personne, sauf peut-être aux bien-pensants, que l'acte de l'homme au burin instille dégoût et spleen. L'auteur qui a attaqué la majestueuse statue éclaire sous un jour nouveau de l'origine du mal la sinistre idéologie dont il se proclame, et l'inquiétante histoire à laquelle il appartient. Bref, à notre corps défendant, l'obscurantisme religieux endeuille encore nos journées et décharne notre patrimoine. Au lendemain de ces coups de marteau haineux, la présidence de la République dégaine une bonne nouvelle. De quoi faire d'une pierre deux coups. L'inscription du premier Yennayer comme fête nationale vient remettre l'esprit républicain droit dans ses bottes, c'est le fruit, par ailleurs, d'un combat long, âpre et obstiné. Ainsi, Yennayer impose sa vieille et sympathique carcasse sur le toit de la nation pour lui insuffler des volutes de bonheur et rendre au peuple un zeste de son honneur. Insignes de la pluralité, les syllabes de Yennayer flattent nos oreilles et enchantent notre esprit pour une simple raison : elles donnent à l'Algérie un visage humaniste et permettent aux Algériens de renouer, avec solennité, avec un patrimoine immatériel puisé d'une tradition lointaine. N'en déplaise aux rabat-joie que l'intégrisme scolaire a conditionnés à petites doses, Yennayer est une fête nationale, de dimension maghrébine, et que beaucoup de nos compatriotes saluent avec fierté, loin des rives sud de la Méditerranée. En effet, la diaspora en fait sa cure festive pour prolonger le fil d'une identité assumée et pérenne, comme une vengeance sur les lointaines calendes de la censure qui l'a assignée à l'invisibilité. Que le calendrier des fêtes nationales agrée Yennayer est, espérons-le, annonciateur de bonnes nouvelles : guérir du blues identitaire et que l'amazighitude retrouve des couleurs. Car il y a dans l'air comme une vraie dose d'alacrité qui souffle pour booster le chantier démocratique. Ce qui est possible pour l'éclat, Yennayer offre l'opportunité de croire en d'autres succès citoyens : l'égalité hommes-femmes, éloigner la religion de la convoitise des chapelles politiques, la méritocratie, l'alternance au pouvoir, le respect de la dignité humaine dans un cadre social transparent. Depuis des décades, tamazight occupe une place centrale, celui du thème principal des enjeux démocratiques et du progrès. Sonnant comme une vengeance de l'histoire, la consécration de Yennayer fait figure de piqûre de rappel pour arracher les œillères à beaucoup d'Algériens appelés, collectivement et individuellement, à refaire les marches de notre vieille histoire : retrouver l'épopée de Chachnaq, les galops de Jugurtha et les cavalcades de Takfarinas. Sur cette terre travaillée par une culture millénaire, l'identité s'est construite dans la diversité, avant d'être prise en otage par un pouvoir obnubilé par les sirènes chimériques de l'arabo-islamisme. Et cependant, c'est au prix d'un coûteux combat que cette histoire est enfin dépoussiérée et que le soleil de la justice vient éclairer, par la grâce de Yennayer, qu'un référent identitaire peut être un facteur unificateur de la nation. Le premier Yennayer est déjà un prélude pour un projet de société à la hauteur des aspirations du peuple. Un projet aux antipodes des méfaits du burin du fanatisme ! Longtemps galvaudé et méprisé, le premier Yennayer acquiert enfin ses lettres de noblesse et, par-dessus tout, il amorce un redressement identitaire, après des années et des années d'errements idéologiques dégradants. Il amorce, disais-je, un redressement, car le combat pour une tamazight rayonnante nécessite moult efforts pour atteindre un véritable épanouissement. Chaque génération défraîchit le sentier à la génération suivante. Et le XXIe siècle résonne comme le siècle de la renaissance. Il y eut le temps des reculades. Et désormais s'ouvre l'ère d'aller de l'avant. Ainsi, les portes de l'année s'ouvrent périodiquement, dans un chuintement émouvant, pour donner sur un horizon scintillant, où l'on peut lire : asegas amegaz !