Ainsi des festivités grandioses ont été organisées à Tripoli, Misrata, Derna… Les populations de ces villes continuent à célébrer le nouveau pouvoir comme au premier jour. «Les gens parlent ici de la révolution et des défis sans aucun brin d'hésitation», constate le juge Jamel Bennour, membre du premier Conseil de transition à Benghazi en 2011. Par contre, pour d'autres villes, notamment à l'Est, comme Benghazi, Al Baydha ou Tobrouk, il n'y avait pas grand-chose à célébrer dans un pays où l'insécurité règne toujours et les services de base (eau, électricité, monnaie, etc.) ne sont pas revenus à la normale. Pis encore, poursuit le juge, au regard de la tension existant entre les différents bords de la crise libyenne, le pays pourrait toujours sombrer dans une nouvelle guerre civile, si l'on en juge par les armes en circulation et les intérêts opposés sur le terrain. Tout le monde avait crié victoire, le 17 décembre 2015 à Skhirat, au Maroc, lorsque les belligérants libyens ont signé l'accord de réconciliation qui a donné naissance au Conseil de la présidence de Fayez Al Sarraj. Tout le monde parlait déjà d'une Libye unie avec des élections au bout d'une année. Néanmoins, plus de deux ans après cet accord, le gouvernement d'Al Sarraj n'a pas encore été reconnu par le Parlement de Tobrouk, condition sine qua non pour l'application des autres parties dudit accord. Pire, Al Sarraj et son gouvernement n'ont pas de véritable pouvoir sur le terrain, dominé par les milices en tout genre dans l'Ouest libyen, notamment à Tripoli. Tâtonnements Cet échec a poussé le nouvel envoyé spécial de l'ONU, Ghassen Salamé, nommé en juin dernier, à concevoir une feuille de route basée sur l'amendement de l'accord de Skhirat. Le Libanais a conçu un projet qui semblait, à première vue, acceptable par tous. Le projet, validé en octobre dernier par le Conseil de sécurité, s'articule autour de trois points focaux. Il s'agit, d'abord, de réduire à trois membres la composition du Conseil de la présidence. Il y a ensuite, la séparation entre un Conseil de la présidence, chargé de la transition politique, et un gouvernement de technocrates, chargé d'améliorer le vécu des citoyens. Enfin, le Parlement et l'Est refusent l'autorité du Conseil de la présidence dans la nomination du commandement général de l'armée. Il s'agit donc d'abroger l'article 8 de l'accord de Skhirat. Salamé croyait que ces amendements pouvaient passer facilement. Mais, quatre mois après l'adoption de cette feuille de route, rien n'a encore été fait pour son application.
Blocages La Libye a connu quatre élections durant les trois premières années après la chute d'El Gueddafi. Il y a eu, d'abord, les élections du Congrès national général en juillet 2012. Il y a eu, ensuite, les élections des 60 membres de la Constituante en 2013. Puis les élections municipales, et enfin, en juin 2014, les Libyens ont choisi leur Parlement. Toutefois, la Libye ne s'est pas stabilisée, loin de là. Plusieurs guerres locales ont eu lieu pour la domination de certaines zones et l'élimination de concurrents politiques. Ainsi, la guerre de l'aéroport à Tripoli a permis, en 2014, de dégager les combattants de Zentane de la capitale libyenne, au profit des gens de Misrata, plutôt révolutionnaires et Frères musulmans. Les gens de Zentane appartenaient à l'armée d'El Gueddafi. Dans la bataille de Benghazi, qui a duré de 2014 jusqu'en 2016, les troupes de Haftar, des anciens de l'armée et de la Garde nationale, sont parvenus à dégager Daech et ses alliés. Tout l'Est libyen, notamment les gisements et les ports pétroliers, est désormais sous l'autorité de Haftar, équivalente à un Etat. Quant à la bataille de Syrte, de mai à décembre 2016, elle a permis aux troupes de Misrata de chasser Daech de cette ville. Les quatre élections ont consacré des défaites de l'islam politique dans les urnes. trois guerres ont consacré la domination de l'islam politique sur la capitale libyenne et le gouvernement. Par contre, Haftar et l'Est libyen sont parvenus à chasser les mêmes islamistes du pouvoir. La difficulté en Libye, selon le politologue Ezzeddine Aguil, c'est d'intégrer toutes ces tendances dans les mêmes structures, malgré les intérêts contradictoires. «Avec de tels enjeux, ce n'est pas du tout facile de trouver une solution, surtout avec les grandes réserves de pétrole et de gaz qui se trouvent en Libye», conclut le politologue.