Si l'Algérie suscite toujours des passions désordonnées et parfois revanchardes, un livre illustré didactique, destiné au jeune public sonne la fin de la récré. On peut parler intelligemment de la colonisation et de la guerre, lucidement et honnêtement. La guerre d'Algérie racontée aux enfants et adolescents. L'idée même avait de quoi inquiéter. Le résultat est plutôt rassurant. L'écueil était grand de réaliser un ouvrage(*) pontifiant, ne prenant pas en compte le pays et le peuple qui constituait l'Algérie avant son asservissement, ni la légitime lutte pour l'indépendance, déformant une nouvelle fois les jeunes regards français avides de comprendre. Face à l'emballement de la France dans un conflit injuste et meurtrier, l'erreur aurait été de traiter la question par le petit bout de la lorgnette et démarrer l'histoire en 1954, ou au mieux en 1945 avec les massacres dans l'Est algérien. On aurait eu tout faux, car la guerre d'Algérie commence en réalité en 1830, lorsque la puissance française a décidé de conquérir l'Algérie par la force. De lutte en lutte, de l'Emir Abdelkader au FLN, en passant par El Mokrani ou Messali Hadj et tous les militants algériens qui, en 130 ans, n'ont jamais plié l'échine, et l'Algérie a repris sa place. Le livre Des Hommes dans la guerre d'Algérie retrace admirablement, avec des textes courts, concis et pertinents, cette longue et meurtrière histoire. Avec, dans les dernières planches, des questionnements utiles. Ainsi, à la page 64 : « Aujourd'hui, la France doit regarder son passé colonial. Au-delà d'en mesurer l'ampleur et les conséquences, elle doit officiellement reconnaître sa responsabilité dans les souffrances et les crimes commis en Algérie. » C'est ce qu'on appelle « assumer », avec pour river le clou, plusieurs citations de chercheurs dont celle de l'historien Pascal Blanchard : « Nous n'avons pas encore décolonisé nos imaginaires ». Isabelle Bournier, responsable des événements culturels au Mémorial de Caen, a largement réussi son pari de mettre à la portée des jeunes ce dossier complexe et sensible. La violence, la torture et la répression, la mémoire, les traces de la guerre de part et d'autre de la mer, tout est traité avec justesse. L'ensemble est tellement mené à bien qu'il peut et doit être lu par un public adulte jusque-là bloqué dans des stéréotypes limités. Avec les illustrations magnifiques tirées des ouvrages de Jacques Ferrandez qui a retracé en dix albums de bande dessinée l'histoire algérienne, l'auteure trace le fil des événements, en laissant à la dernière page le dernier mot à l'historien algérien Mohamed Harbi : « Aucun pays ne peut se nourrir de ressentiments sans dommages pour son humanité et sa moralité. » Des termes qui font écho à la préface signée par Jean-Jacques Jordi, la guerre d'Algérie « est une triple guerre : guerre civile, guerre fratricide et guerre de décolonisation où les actes de bravoure côtoient les lâchetés les plus extrêmes ». Espérons que pour encadrer les jeunes auxquels est destiné le livre, les interlocuteurs seront à la hauteur des enjeux. (*) Des Hommes dans la guerre d'Algérie, d'Isabelle Bournier et Jacques Ferrandez, éditions Casterman, Paris 2010, 16,75