Après la réaction des avocats de l'auteur présumé de l'assassinat de Ali Tounsi, ancien directeur général de la Sûreté nationale, c'est au tour de la défense de la famille de ce dernier de dénoncer ce qu'elle qualifie de « justice des puissants ». Une réaction qui fait suite au refus du juge de convoquer l'ex-ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, son secrétaire général et des cadres de la Sûreté nationale pour les entendre sur le dossier. Dans une déclaration faite à la presse hier, maîtres Khaled Bourayou et Fatima-Zohra Chenaif, constitués pour défendre les intérêts de la famille du défunt se sont insurgés contre le refus du juge de convoquer certaines personnes jugées « importantes » pour l'éclatement de la vérité. « Pour lever le voile sur la vérité, nous avons estimé importante l'audition de certains cadres de la DGSN, comme le directeur de la police judiciaire ou encore celui des renseignements généraux, ainsi que le secrétaire général du ministère de l'Intérieur en tant que tutelle de la Sûreté nationale. Nous avons essuyé un rejet de la part du juge d'instruction, sous prétexte que la demande était sans objet et la décision a été confirmée par la chambre d'accusation. Nous avons alors introduit une seconde demande, cette fois-ci concernant l'audition de l'ex-ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni, nous avons eu la même réponse. Or, Zerhouni a fait des déclarations importantes », souligne maître Khaled Bourayou. Et de préciser : « Quatre heures après le crime, le communiqué du ministère faisait état d'un assassinat commis par Chouaïb Oultache, sans témoin, à la suite d'une crise de démence, précisant aussi que l'auteur présumé a par la suite tenté de se suicider. Sur quelle expertise psychiatrique le ministre avait-il basé son affirmation ? La seconde déclaration est intervenue le 2 mars, soit une semaine après le crime. Là encore, le ministre a fait une déclaration sur le mobile de l'assassinat, en expliquant qu'il s'agit d'un problème personnel entre la victime et Oultache sur l'état de santé de l'auteur présumé, en le présentant comme en état de démence, mais aussi sur le mobile de cet acte en affirmant, le 2 mars (une semaine après le crime), qu'il s'agissait d'un problème personnel entre la victime et son tueur présumé », indique encore l'avocat. Ceci et de noter : « Nous aurions aimé que le ministre nous donne plus de détails sur ces problèmes, afin que nous puissions connaître la vérité. Là encore, le juge d'instruction a rejeté notre demande, alors que le ministre lui-même avait exprimé sa volonté de répondre à la justice si elle venait à le convoquer pour l'entendre sur le sujet. Pourquoi alors ce rejet ? Et pourquoi ce zèle de la justice ? Des journalistes ont été convoqués et entendus juste parce qu'ils ont écrit des articles sur le sujet. Alors pourquoi ne pas entendre un ministre et des cadres de la Sûreté nationale ? Nous sommes devant une justice des puissants », s'offusque Me Bourayou. Il regrette qu'à chaque fois qu'un ministre est demandé pour aider à l'éclatement de la vérité, la justice oppose son refus. « Si le défunt était vivant, la procédure aurait pris une autre tournure. Mais il est devenu un cadavre. Il n'a plus son pouvoir, alors tout est fait pour bâcler le dossier », déclare Me Chenaif. « La justice n'est là que pour préserver l'ordre établi et non pas la vérité » Interrogé sur la version de la défense de Oultache, qui réfute l'existence d'un mobile, Me Bourayou, tout en insistant sur le refus de toute polémique, pose la question suivante : « Peut-on tuer quelqu'un juste parce qu'il a refusé de reporter une réunion ? » Et de poursuivre : « Nous pensons qu'il est de notre intérêt à tous de chercher le pourquoi de ce crime. » Pour lui, il y a une transaction (ndlr : marché de l'équipement informatique) à l'origine de l'enquête interne déclenchée par le défunt au niveau du département de Oultache, qui ne ressort pas dans l'instruction. « Nous n'avons rien au sujet de cette enquête et, à ce jour, aucun membre de la commission chargée de cette mission n'a été entendu. Pourquoi ne veut-on pas aller loin dans cette affaire ? », dit-il. Il refuse de « penser que le juge ait pu subir des pressions ou qu'il ait tout simplement eu peur », préférant plutôt noter que le code de procédure pénale lui confère tous les pouvoirs de recourir à tous les moyens afin d'aboutir à la vérité. Les deux avocats de la partie civile insistent sur le contexte dans lequel l'assassinat a eu lieu. « Il y avait un conflit latent entre le défunt et le ministre de l'Intérieur. Nous ne disons pas qu'il y a un complot, mais nous avons droit de nous poser des questions sur tout ce qui a précédé l'acte et pourquoi ce dernier a été commis », déclarent-ils. Me Bourayou va plus loin en affirmant avoir constaté « une volonté délibérée de fermer le dossier rapidement » et il se demande « si le juge a utilisé toutes les voies que lui confère le code de procédure pénale ». Il ajoute : « A ce jour, nous ne savons pas si la transaction est l'une des causes de ce crime et si vraiment elle a un lien avec lui. » A propos de la reconstitution des faits du 26 juin dernier, Me Bourayou relève de nombreuses insuffisances « du fait que le juge n'avait pas transcrit sur procès-verbal une partie importante des déclarations de Oultache » et dont certaines ont fait l'objet d'une plainte de ses avocats. « Nous n'avons pas eu de vraies investigations sur le timing, par exemple, qui nous permet de reconstituer, minute par minute, les faits de cette journée, combien de temps est resté Oultache au bureau du défunt, à quelle heure a-t-il tiré ou encore pourquoi le coupe-papier était tordu ? Nous regrettons que dès le début de cette affaire, la justice soit restée muette. Elle a été totalement écartée puisque la seule déclaration du ministre de la Justice est tombée bien après celle du ministre de l'Intérieur pour dire que Oultache était bien soigné à l'hôpital. » La défense ne semble pas convaincue par la thèse de l'existence d'un deuxième auteur du crime, tel que supposé par les avocats de Oultache. Me Chenaif, explique à ce titre, que « les preuves techniques ne mentent pas. La police scientifique a très bien ficelé le dossier en recourant aux analyses de l'ADN, de la balistique, etc. Les preuves disent qu'il y a eu deux balles tirées dans la tête et qui ont provoqué la mort de la victime. L'une a traversé la joue, le palais, le larynx et s'est logée dans le thorax, et l'autre est rentrée par l'oreille et sortie de la tête. L'expertise balistique a démontré clairement que ce sont les deux balles tirées de l'arme de l'auteur présumé ». Me Bourayou rappelle le contenu de l'expertise psychiatrique, élaborée par trois psychiatres, à savoir deux chefs de service, de Annaba et d'Oran, et un troisième, un privé de Bouira, qui fait état des déclarations de Oultache, selon lesquelles il dit « avoir tiré avec son arme tout en étant conscient de son acte. Nous n'accusons personne. C'est au tribunal d'accuser, mais nous sommes pour la recherche de la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ». En fait, la défense de la partie civile précise qu'elle refuse de tomber dans ce jeu de déclarations et de contre-déclarations, préférant se consacrer à ce qu'elle juge plus important. « Il est très malheureux que la justice puisse rater l'occasion de se crédibiliser en étant absente à chaque grand procès. Nous voulons faire éclater la vérité. Nous ne voulons pas être les complices. Nous ne sommes pas face à un dossier banal. C'est une affaire d'Etat. Il y a trop de zones d'ombre imposées par ceux qui veulent que le dossier aboutisse à un assassinat sans cause et sans mobile. » Sur la question de savoir si le fait que l'enquête préliminaire soit confiée à la police, les avocats relèvent qu'il s'agit « d'un moindre mal ». Le juge, expliquent-ils, a les pouvoirs de tout refaire et de ne pas prendre en compte, ce qu'il pourrait juger comme étant suspicieux. « Mais tout ce manque de transparence, cette frilosité, ces refus du magistrat instructeur d'entendre des personnes-clés dans le dossier ne peuvent que confirmer le sentiment de doute. Il est malheureux de constater que la justice n'est là que pour préserver un ordre établi et non pas pour rechercher la vérité. »