Des voix s'élèvent en France pour demander le rétablissement de la vérité sur les crimes coloniaux. Toute la vérité. La tâche paraît laborieuse en ce sens qu'elle réveille les démons du passé et doit amener à la reconnaissance d'atrocités jusque-là ignorées. L'irritation de Paris, suite aux déclarations du Président Abdelaziz Bouteflika sur les massacres du 8 mai 45 dans le Constantinois, paraît toutefois révélatrice quant aux limites de ce travail de mémoire. Le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Mattéi, a effectivement surpris en appelant au « respect mutuel », en réaction aux propos du Président Bouteflika qui a comparé aux « fours crématoires » des nazis les fours à chaux utilisés par des colons pour incinérer des cadavres d'Algériens tués dans le Constantinois. Il est essentiel pour construire un avenir commun que nous arrivions à examiner ensemble le passé afin d'en surmonter les pages les plus douloureuses pour nos deux peuples. Il faut pour cela encourager les historiens français et algériens à travailler ensemble », a ajouté M. Mattéi. Une partie de la presse française a, elle aussi, exprimé son mécontentement. « Abdelaziz Bouteflika n'a pas hésité à franchir la ligne jaune en comparant la colonisation française en Algérie à l'Allemagne hitlérienne », a écrit Le Figaro, en passant toutefois sous silence le 60e anniversaire de ces événements tragiques. De nombreux observateurs relèvent la frilosité de la France à reconnaître entièrement son passé colonial. Ils citent le vote « en catimini », le 23 février 2005, d'une loi qui évoque « l'œuvre positive » de la colonisation française. « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit », est-il noté dans son article 4. Un paragraphe qui dévoile, estiment les détracteurs de la loi, le double langage de la France. Une pétition ayant recueilli plus de mille signatures, notamment celles d'éminents professeurs français, avait circulé aussitôt pour exiger l'abrogation de cette loi car « elle impose une histoire officielle » et « un mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu'au génocide, sur l'esclavage, sur le racisme hérité de ce passé ». « En se limitant à évoquer les seuls aspects positifs de la colonisation, cette loi paraît inviter au silence sur ses crimes. C'est peu supportable. Ce qui devait arriver est arrivé : la réaction à cette incitation déplacée est exploitée par tous ceux qui voudraient interdire de voir dans la colonisation française autre chose qu'un crime inique et général contre l'humanité », a estimé l'éditorialiste Jean Daniel du Nouvel observateur, dans l'édition de jeudi dernier. « Le colonialisme est un crime. On doit le dire et ne pas l'oublier », a-t-il ajouté. La réaction des autorités françaises aux déclarations du Président Bouteflika a suscité une certaine désillusion à Alger, où l'opinion avait en février dernier grandement apprécié les propos de l'ambassadeur de France, Hubert Colin de Verdière, qualifiant de « tragédie inexcusable » les massacres de Sétif. M. Colin de Verdière a été relayé par le maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui, en plus, s'est dit favorable à une demande de pardon de la France. « Il est essentiel pour construire un avenir commun que nous arrivions à examiner ensemble le passé afin d'en surmonter les pages les plus douloureuses pour nos deux peuples. Cela suppose d'encourager la recherche des historiens, de part et d'autre, qui doivent travailler ensemble, sereinement, sur ce passé mutuel », a indiqué, dans un entretien paru le 8 mai 2005 dans El Watan, le chef de la diplomatie française, Michel Barnier.