Les pays du monde commencent à s'ajuster aux réalités de la puissance américaine en essayant de manœuvrer, chacun selon ses intérêts, dans un espace planétaire devenu de plus en plus unipolaire. Cela provoque déjà des agitations. Le nouveau débarquement américain en Afrique, sous forme d'implantation de bases militaires, risque de mettre en congé définitif ce concept d'intérêt commun, lequel avait tant prédominé dans la coopération Ouest-Ouest, mais surtout guider un hégémonisme latent, appelé communément l'alliance occidentale. Fini donc le temps où les Américains et les Britanniques bombardent, les Français, les Italiens et les Allemands font la police et le maintien de la paix, pour laisser ensuite la place aux Danois et aux Suédois s'occuper des pansements et de l'aide humanitaire. Aujourd'hui, les premières brèches se constatent, de visu, dans la muraille franco-américaine, car un rapprochement militaire comme celui de Washington avec le Sénégal suscite tant de quolibets et prête manifestement à équivoque. Le New York Times a récemment rapporté que les Etats-Unis sont en train de transpercer l'espace francophone africain et l'idée de la création d'une base chez le président Wade semble gagner du terrain. On parle même du transfert, dans le cadre du nouveau plan du Pentagone (Overseas Rebasing 2005), de la grande base d'Okinawa au Japon, vers ce pays de l'Afrique occidentale. En tout cas, selon toujours le NYT, la réplique de Chirac s'est fait déjà sentir par une diminution sensible de l'aide traditionnelle accordée au Sénégal, allant jusqu'à des restrictions touchant le quota estudiantin en partance vers l'Hexagone. Fait récent : le déplacement, illico, du président sénégalais à Paris, pour minimiser son virage en direction du nouvel ami américain. Ici, le topo est demeuré le même, et rien n'a changé, à en croire certains échos. Non convaincus donc, les Français soupçonnent toujours anguille sous roche, d'autant plus que, s'il se confirme, un transfert d'une base de la taille d'Okinawa pourrait cadrer mal tout prétexte antiterroriste. Ainsi, la société des observateurs considère la problématique de taille, surtout lorsque l'animateur est un gaulliste intransigeant. Lutte antiterroriste Connu pour être un farouche résistant aux Américains, le président français est en train de passer des moments exceptionnels, et la cause est encore cette toile que compte tisser le Pentagone sur le monde sous couverture de la lutte antiterroriste. En plaidant donc, pour un monde multipolaire, version ONU, comme l'avait souligné la ministre Michèlle Alliot-Marie devant les responsables algériens, l'Hexagone veut reconquérir son poste comme tuteur de l'espace qui l'entoure, et par voie de conséquence tente de faire échec au déploiement de la Cavalerie globale américaine (Global Cavalry), prôné par le plus conservateur American Entreprise Institute. L'épandage de cette grande Cavalerie globale qui dérange la France obéira au choix zonal, qui, pour d'autres pays du monde comme la Chine, vient d'ores et déjà de provoquer plus de discorde que de concorde. Les stratèges américains avaient fait leur fixation territoriale, avec une prédilection pour l'Afrique de l'Ouest et le golfe de Guinée, lesquels verront leur statut rehaussé en région d'intérêt stratégique vital. Le Petroleum Intelligence Weekly, publication prisée du lobby texan du pétrole, oriente constamment le débat vers les richesses pétrolières de ces contrées, moins coûteuses en extraction et en transport. Le représentant de la Louisiane au Congrès, William Jefferson, fait souvent des appels en faveur de relations stratégiques avec l'Afrique. Ce qui veut dire, dans le raisonnement washingtonien, une Afrique sécurisée, par l'installation de bases américaines capables de constituer un rempart au terrorisme qui émerge dans ces vastes étendues désertiques. Le journal Philadelphia Inquirer y fonce clairement en résumant la nouvelle configuration de la carte militaire américaine.