Senteurs d'encens et d'épices, volutes de narguilé et vapeurs de hammams encensent les longues soirées de Ramadhan des Damascènes, sous l'écho berceur des muezzins. «Berceau de l'humanité», «foyer de civilisation», «aube de l'histoire», «la plus ancienne des villes peuplées sans interruption», autant d'expressions et de superlatifs jalonnent la description de cette ville millénaire. En Syrie, la ville de Damas vit le mois de Ramadhan comme des milliers d'autres villes dans le monde. La diversité religieuse, la diversité des pratiques religieuses encore plus, ne donne pas en Syrie ce climat de communion des âmes face à la soif et la faim. La grande majorité sunnite côtoie sans grande distinction chiites, ismaélites, druzes, alaouites ainsi que des chrétiens orthodoxes, maronites, catholiques, chaldéens, nestoriens. De même pour la diversité ethnique, les Arabes majoritaires vivent avec des Arméniens, Kurdes, Tcherkesses et d'autres minorités nationales plus récentes nées des conflits régionaux. On pense notamment aux Palestiniens et aux Irakiens installés en Syrie après l'invasion américaine de 2003. Cette altérité fait de la Syrie, plus particulièrement de Damas, une ville englobante, diverse et tolérante. L'intelligibilité des différentes communautés religieuses et ethniques donne au Ramadhan un esprit de tolérance, de recueillement spirituel et de rassemblement familial. Les restaurants ne sont pas tous fermés pendant cette période, et chacun vit ce mois sacré comme il l'entend. Le Ramadhan se vit d'abord dans un sein privé, familial, où bons plats côtoient les festivités du soir. Les rues, presque désertes sous la chaleur accablante de l'été, ne laissent apercevoir que quelques silhouettes au détour d'un coin . Le soir, une autre ambiance s'installe. Après l'iftar, les rues commencent à reprendre vie, les mosquées accueillent alors les fidèles pour la prière des tarawihs à la mosquée des Omeyyades ou dans n'importe quel autre édifice de quartier. Le lendemain matin, le premier appel à la prière est précédé à la mosquée par une récitation du Coran, dont la voix du muezzin, dilatée par l'écho des micros s'associe à une psalmodie venue d'outre-monde. Les différentes confréries soufies se font plus visibles, notamment les naqshbandis de la tariqa naqshbandyya, qui se réunissent pour méditer, faire du dhikr ou encore pratiquer la «méditation silencieuse du coeur». Des Syriens d'ascendance maghrébine Les jeunes quant à eux se donnent souvent rendez-vous au sommet du mont Kassioun qui surplombe Damas, pour voir se lever la ville et déguster un dernier verre de thé avant une autre journée de jeûne. Du coucher du soleil jusqu'au petit matin, le mont Kassioun ne désemplit pas de ses adeptes qui viennent y chercher un air frais et une vue imprenable sur la ville. Les restaurants ouvrent toute la nuit, à l'instar d'Abou Kamal qui propose tout l'attirail de la gastronomie traditionnelle damascène : mezze, friké, taboulé, makloubé, kebbé, feuilles de vigne, hommos, moutabal, mouzé, fatayé... Entre amis ou en famille, les restaurant du vieux Damas sont les plus prisés. Les musiciens accompagnent parfois un derviche tourneur qui psalmodie les différents attributs de Dieu, incontournables dans la lithurgie soufie du dhikr. Il faut savoir qu'il existe en Syrie environ 300 000 Maghrébins ou Syriens d'origine maghrébine, dont la majorité est algérienne. La plupart ont suivi l'Emir Abdelkader, mort à Damas en 1883 et fuient les représailles des révoltes kabyles de 1871. Certains parlent encore kabyle ou l'arabe algérien. Arezki et Ameziane sont des patronymes encore répandus, et certains villages fondés par des Kayles existent toujours. Il est donc tout à fait normal de déguster un couscous pendant le mois de Ramadhan, dans ces familles d'ascendance maghrébine.