Le cinéaste Ahmed Zir, avec son habituelle poésie, nous fait part d'une rencontre originale. En plein centre ville de Marseille, sous les arbres bien élagués, pas mutilés, sur une allée très large, se dresse un chapiteau. Tout près, une borne de livre-échange. En fait, la sculpture grandeur nature d'une girafe couverte de livres ouverts ou fermés. Au niveau des genoux, des niches pleines de livres à échanger. C'est le principe de cet acte culturel original, incitant à la lecture. Sous ce chapiteau, des auteurs venus d'ailleurs, d'Amérique du Sud. Il y a là un liseur qui, de temps en temps, enclenche la lecture de quelques pages choisies au préalable ; un animateur bien informé qui relance le débat par des questions pertinentes et un auteur qui répond en espagnol (pas en sa langue maternelle). Ipso facto, un éminent traducteur assiste l'assistance nombreuse, avide de connaître encore plus la littérature de ce continent lointain, celui de Jorge Luis Borges et Julio Cortazar et de leurs livres fabuleux, de Glauber Rocha et Miguel Litin et de leurs cinémas étonnants. Durant ces journées ensoleillées, ce chapiteau abrite un festival sur la littérature latino-américaine, en présence d'une jeune génération d'écrivains, venus avec leurs œuvres qui content un continent inconnu jusqu'à une date fatidique, dite de découverte, et qui en subit encore les soubresauts politiques et naturels. Où les peuples de souche, s'ils ne se révoltent pas, se taisent ou disent les choses à moitié. La méfiance, en cette partie du monde, est érigée en principe inviolable pour survivre, et cela, depuis la venue soudaine et fracassante des conquistadors. Un choc aux conséquences toujours présentes, sournoisement présentes en chaque habitant et que l'on décèle dans cette littérature rajeunie. Autour du chapiteau, la vie continue. Des curieux, nombreux, lancent un coup d'œil puis continuent leur chemin sans gêner personne. Ils respectent ce qui se fait de culturel en cette cité méditerranéenne nourrie de plusieurs écrivains et poètes. Où un jour, le bel Arthur Rimbaud fit une halte, l'ultime, marquant le début de la fin d'une vie comparable à un roman. Avant de s'éteindre, face à la mer, dans une chambre d'hôpital, où seule sa sœur chérie lui tenait compagnie. Il n'acceptait personne d'autre à son chevet. Le poète avait ses raisons. Ses aventures l'avaient épuisé. Il est parti si jeune, comme plus tard James Dean, ravi à un âge où il allait devenir peut-être l'acteur du siècle, après trois films repères d'une filmographie très courte avec un film point d'orgue, Rebel without a cause. Mais la mort a ses raisons aussi. Elle a emporté, emporte et emportera toujours et sans fin tout ce qui vit, homme, bête et plante. Et c'est la vie ! De retour en Amérique latine (plutôt indienne), les écrivains invités coucheront certainement leurs impressions sur de nouvelles pages. A la fin d'un match, des fous de foot brisèrent la girafe, dispensatrice de connaissances. Mais, miracle, le lendemain, une nouvelle trônaît au même lieu et elle m'a gratifié d'un vieux livre, L'Ouragan rouge, une belle histoire sur les Indiens d'Amérique !