Le petit particulier détenant une construction manquant de conformité ou le maître d'œuvre d'un grand chantier mènent chaque jour un vrai combat pour que leurs biens soient enfin régularisés. Le cadre de la loi de juillet 2008 est «dépassé», concernant les bâtisses érigées sur les terres agricoles. Les premiers bilans de l'opération de régularisation des constructions relancent le débat sur la situation juridique des terrains bâtis. Les citoyens qui ont acquis leurs terrains selon les pratiques administratives des années 1980 et 1990 ainsi que les services de l'urbanisme appelés à appliquer la loi sur l'achèvement de la construction et l'assainissement de la situation anarchique des villes, sont tous dans une impasse. Seule une décision politique constituerait une issue pour l'aboutissement de cette loi censée mettre fin au capharnaüm urbanistique caractérisant les blocs urbains. Un tour dans le labyrinthe de la régularisation Un classeur rouge serré sous le bras, la démarche ferme, un père de famille, la cinquantaine, s'introduit dans le bureau indiqué à la réception. Il interroge un fonctionnaire au centre culturel de Bordj El Kiffan. Cette belle bâtisse, élégamment revêtue en vert, est transformée depuis le lancement de l'opération en centre d'accueil, de traitement et d'envoi des demandes de régularisation des constructions de cette commune qui a vu une croissance vertigineuse de son tissu urbain ces dernières années. Les salles de cette structure, destinée aux loisirs et aux distractions de jeunes, abritent maintenant des tas de dossiers. «Votre dossier est au niveau de la daïra ; c'est la commission qui doit statuer sur votre cas. Ici, notre mission est terminée, votre dossier a bien été envoyé par nos services», explique pour la énième fois un jeune fonctionnaire, en saisissant un gros registre. Des dates, des signatures, des remarques y sont inscrites, attestant que des demandes ont été traitées et transférées vers la daïra. La régularisation des constructions a relancé le débat sur les pratiques administratives en vigueur durant plusieurs décennies. Le caractère bureaucratique des lois (dont celle de1987) ayant eu pour objectif de freiner un tant soit peu l'anarchie dans l'exploitation du foncier à urbaniser ou agricole bloque aujourd'hui le processus de régularisation des constructions. Les conséquences sont là : le petit particulier détenant une construction manquant de conformité ou un maître d'œuvre d'un grand chantier mènent chaque jour un combat pour que leurs biens acquis dans «les règles de l'art» de l'administration des temps des délégations exécutives communales (DEC), soient enfin régularisés. Cette régularisation permettra également au marché de la vente et de la location de l'immobilier de souffler, la crise du logement en perpétuelle croissance exacerbe la tension autour des ménages en quête d'une location bon marché ou d'une occasion d'achat à la portée de leurs économies. Le plus grand lot des bâtisses concernées par cette opération sont celles réalisées sans permis de construire, et celles dotées de permis de construire mais qui ne sont pas achevées demandent donc la prolongation du permis. Il s'agit aussi de celles dotées de permis, mais dont la consistance n'est pas conforme au permis et enfin de celles réalisées sans permis et qui ne sont pas achevées.A la fin de l'opération de régularisation, le demandeur obtient l'acte de propriété de sa construction et peut donc jouir de son bien. Dans le cas inverse, il doit remédier aux insuffisances. Villes entières sur des terrains non urbanisables (NU) Bordj El Kiffan est l'une des communes où sont érigées des villes entières sur les terres agricoles et sites protégés ou à risques, normalement exclues de la possibilité de régularisation. Elle illustre parfaitement un des casse-têtes rencontrés par les services d'urbanisme de la wilaya d'Alger et du ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme. Près de 80% des constructions se sont développées sur des zones classées par l'administration comme étant non urbanisables (NU). Les propriétaires de ces terrains justifient pourtant de décisions ou d'actes de concession de vente ou d'attestations délivrées par les services administratifs des communes. Ce sont notamment ceux délivrés au temps des DEC et quand le FIS était aux commandes d'une grande partie des assemblées qui, aujourd'hui, revendiquent une solution concrète. Des lotissements parfaitement délimités par l'administration locale concédés en bonne et due forme qui 0se retrouvent en fin de compte sur des terrains NU. «Les gens (dépositaires de dossiers) sont inquiets, ils demandent toujours des explications sur l'opération, et le verdict final revient à la tutelle ; mais c'est nous qui subissons les questions de la population et leur colère», explique un employé du service d'urbanisme dans la même APC. «Seul 1,2 km de la côte aquafortaine est classée urbanisable», précise-t-on également. «On ne peut que sourire quand on s'aperçoit que la plus grande partie de la ville est exclue de régularisation, si l'on se réfère aux dispositions de la loi», lâche un architecte exerçant dans la commune. Selon Ahmed Ouamer Mourad, vice-président de l'APC de Bordj El Kiffan, les services de l'urbanisme ont réceptionné 1400 dossiers dont 861 traités et 500 transférés à la Duch. «C'est à la tutelle d'expliquer aux gens ce que sera le devenir de leurs dossiers. Les gens regardent la télé, ils lisent les journaux et ont besoin de savoir si une décision sera décrétée en leur faveur. Ils s'inquiètent, et nous ne pouvons pas les rassurer, cela dépasse notre compétence», déclare, par ailleurs, Ahmed Ouamer. Bâtisses dans les périmètres de sécurité de l'aéroport Les mêmes préoccupations sont exprimées par les habitants de plusieurs quartiers de la commune de Draria. Des lotissements et des quartiers portant les noms de Femina, Pont américain, Kaci, ex-Gaston Bernard et d'autres présentent la même situation. «Nous sommes titulaires de décisions délivrées par l'APC de Draria, mais nous avons appris que nos constructions ne seront pas régularisées car nous avons des parcelles relevant du foncier agricole», s'inquiète un représentant d'un comité de quartier. Les plus pessimistes parlent de démolition. Autre commune, autres préoccupations En plus des constructions bâties sur des terres agricoles, la commune de Dar El Beïda connaît un autre type de constructions non régularisables, selon les dispositions de la loi de juillet 2008. Selon les chiffres communiqués par Mme Bouakkez, chef de service de l'urbanisme de l'APC de Dar El Beïda, plus de 3000 demeures se trouvent dans le périmètre de sécurité aéroportuaire, délimité en 2008. Or, ces bâtisses ont existé bien avant la date de diffusion de ce décret, applicable à effet rétroactif. Un quart des constructions relevant de la commune de Dar El Beïda est concerné par ce décret. «Nous avons soumis ces questions au ministère de l'Habitat et nous attendons la réponse. La solution nous dépasse», affirme la même responsable. Cette situation ne concerne pas uniquement la commune de Dar El Beïda, mais toutes les communes se trouvant à proximité des infrastructures aéroportuaires et des installations à danger particulier (gazoduc, installations pétrolières, etc.). Pour Makhlouf Naït Saâda, directeur général de l'urbanisme au ministère de l'Habitat, pour les constructions situées en zones à risques portuaires ou aéroportuaires, «c'est à la wilaya et aux services de sécurité d'évaluer le risque et de prendre ensuite une décision concernant les bâtisses situées dans le périmètre délimité». Ainsi, les maisons qui ne présentent pas de risques, incluses dans ce périmètre, seront ciblées par une décision qui relèverait du ressort de la wilaya. On ne peut cependant pas régulariser une construction dont les habitants sont en danger de par leur proximité avec les installations à risque.