A peine la trentaine, Ignacio Sierra, porte-parole du groupe Democracia Real Ya, présente son organisation comme la locomotive qui a conduit à la révolte des indignés le 15 mai dernier à Madrid. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il revient sur le mécontentement de la société espagnole contre le malaise social et le pacte de l'euro… - Quelles sont les raisons qui ont suscité le mouvement de contestation du 15 mai dernier ? C'est le malaise social qui a été le facteur déclenchant de ce mouvement pacifique. A travers ce dernier, nous voulions participer à l'exercice de la démocratie de manière intelligente. Et internet a été un moyen efficace de contact et de propagande. Democracia real ya (DRY) a été le premier groupe de mécontents qui s'est constitué sur la Toile avec plus de 500 000 membres et une plateforme de revendications. Depuis, 450 groupes ont vu le jour, suscitant la création d'une coordination. Ils n'appartiennent ni à des syndicats ni à des partis politiques et refusent tout leadership d'une quelconque partie. Les premières assemblées ont commencé à se tenir sur la place Puerta d'El Sol, à Madrid, et chacun des participants était convaincu de la nécessité d'un changement profond dans le système socioéconomique du pays. Le salaire est devenu tellement bas qu'il ne nourrit plus ni les individus ni surtout les familles. Le chômage touche plus de 40% de la population active, particulièrement les diplômés. Pour ces derniers, l'avenir est incertain. Il ne reste rien des acquis sociaux depuis l'adhésion de l'Espagne à la zone euro. Les politiques sont à la solde des banques et des lobbys financiers qui, en réalité, sont les véritables dirigeants du pays. Une situation qui a créé un sentiment de mécontentement chez 70% de la population. Celle-ci subit de plein fouet les retombées de la crise financière à travers les nombreuses décisions d'expulsion des logements hypothéqués auprès des banques et dont les acquéreurs sont dans l'impossibilité de rembourser les crédits qu'ils ont contractés. Nous avons choisi la lutte pacifique parce que le recours à la violence ne mène nulle part. Notre objectif est d'arriver à opérer un changement profond, en proposant les solutions adéquates. Lorsque nous avons appelé au rassemblement du 15 mai, nous pensions pouvoir drainer au maximum 10 à 15 000 personnes, mais le nombre a finalement dépassé les 50 000 manifestants. Un groupe de 22 personnes a décidé de camper sur place. Au début, les médias étaient très timides. Mais dès le 16 mai, la couverture était importante. Nous avons tenu une assemblée générale avec plus de 3000 personnes. Mais durant la nuit du 16 au 17, sur pression des partis politiques, la police est intervenue avec violence pour déloger les manifestants. Comme par hasard, aucun journaliste n'était présent pour témoigner et les caméras qui entourent la place n'avaient rien filmé. En cette journée, le président de la commission qui valide les élections municipales a déclaré que la rue doit être évacuée des manifestants sous prétexte qu'ils pouvaient influer sur le scrutin. Subitement, plus de 3000 personnes sont venues appuyer les campeurs. Mais à la veille du match de football entre le FCB et Real Madrid, un conseiller de la commune a demandé aux policiers de nettoyer la place de Barcelone. Cela a été fait avec une violence inouïe, filmée par les caméras et diffusée sur toutes les chaînes de télé. L'indignation était générale et le nombre de manifestants n'a pas cessé d'augmenter dans plusieurs autres villes du pays. De peur d'une quelconque dérive, il a été décidé de quitter les lieux le 12 juin, en laissant quelques tentes et les groupes de travail chargés d'enrichir la plateforme initiale élaborée par DRY. - Quels sont les points les plus importants de la plateforme de revendications que vous avez élaborée ? Il y a sept principaux points. D'abord l'élimination des privilèges de la classe politique. Nous voulons, entre autres, que les ministres ne gardent plus leur salaire à vie et que les députés ne bénéficient plus d'une pension à vie. Il faut également que le délit de corruption soit imprescriptible. La deuxième revendication est la lutte contre le chômage et la revalorisation des salaires de base, qui sont les plus bas en Europe avec un net de 632 euros. Le troisième point a trait au problème du droit au logement. Un loyer moyen atteint les 500 euros, alors que les salaires dépassent rarement les 1000 euros. Actuellement, 700 000 logements sont inoccupés car les prix sont inaccessibles. Nous voulons juste que l'Etat mette en place un système d'aide pour permettre aux gens d'avoir un toit. Les aides qui existent profitent aux banquiers et aux promoteurs qui ont aggravé la spéculation et causé la crise du logement. Nous sommes en train de préparer la marche du 23 juillet, mais aussi celle du 15 octobre, contre toutes les lois qui régissent l'immobilier et les banques. Le quatrième point a trait aux services publics qui doivent être protégés par l'Etat pour ne pas être privatisés comme cela est en train de se faire. Il n'est plus permis que de grandes entreprises publiques très rentables soient sacrifiées au nom du néo-libéralisme de Bruxelles. Comment accepter que Téléfonica soit obligée de mettre au chômage 20% de ses employés alors qu'elle a une très bonne santé financière ? Le cinquième point fait état de la nécessité de revoir les textes régissant le secteur financier. Si aujourd'hui, les banques et les caisses d'épargne sont en crise, ce n'est pas la faute de leurs clients. Pour ce qui est du sixième point, il demande la révision du système fiscal qui, actuellement, ne profite qu'aux lobbys financiers. Même l'impôt sur le patrimoine a été supprimé l'année dernière, favorisant ainsi les riches. Enfin, le dernier point concerne la démocratie citoyenne. Il s'agit en fait d'impliquer les citoyens dans la prise de décision à travers des manifestations publiques pour pousser au changement des lois et des mesures dictées par l'UE. - Pensez-vous pouvoir concrétiser cette plateforme d'autant qu'il s'agit de remettre en cause une organisation supranationale qu'est l'UE ? Nous ne sommes pas antisystème, c'est le système qui est contre nous. Les changements démocratiques se feront inévitablement. La machine est en route. Elle est conduite par toutes les couches de la société, pas seulement les jeunes. Je ne dirais pas que c'est une révolution, mais plutôt une évolution de la situation qui a eu un effet boule de neige en Grèce, au Portugal et en Italie. Aujourd'hui, 60 à 70 assemblées s'organisent quotidiennement dans les quartiers. On prépare les marches des 22 et 23 juillet et surtout celle du 15 octobre. Il est prévu également l'organisation d'une grève générale pour faire passer les réformes des lois et du pacte de l'euro.