Le régime renversé, des élections crédibles organisées et un gouvernement fraîchement nommé, la Tunisie se dirige droit vers la démocratie. Elle n'y est pas encore. Pour le militant Aziz Amami, «le chemin de la lutte pour une démocratie réelle – et non pas représentative, où 51% du corps électoral n'a pas voté – est encore long». La légitimité politique de la Constituante ne semble pas satisfaire les révolutionnaires tunisiens qui veulent que leurs dirigeants aient «une légitimité populaire et révolutionnaire. Leur couleur idéologique importe peu tant qu'ils prennent en compte les revendications de la révolution et nous donnent des signes de confiance», estime Amami. Alors que beaucoup voient dans la victoire du parti islamiste un soutien qatari, pour le militant, ce serait plutôt la traduction d'un malaise social encore perceptible. Des cas d'immolation ont été enregistrés récemment à Sidi Bouzid et Gafsa, et les chômeurs continuent toujours de manifester. Selon Amami, les nouvelles autorités n'ont encore rien fait pour «récupérer l'argent des grands hommes d'affaires – qui ont édifié leur fortune sur le dos du peuple grâce à l'ancien régime – et les avoirs de Ben Ali à l'étranger. Des postes de travail n'ont également pas été créés». Un an après la chute de Ben Ali, beaucoup craignent un retour progressif des pratiques de l'ancien régime. La nomination du gendre du chef historique d'Ennahda à la tête de la diplomatie ou le comportement de la police qui n'a pas beaucoup changé, selon Amamou, inquiètent toujours. «On tente de garder l'administration de l'Intérieur telle qu'elle était : répressive», dit-il. Le secteur de la justice ne se porte pas mieux. Hicham Jeham, avocat, déclare que «les avocats et magistrats se battent toujours pour une justice indépendante surtout qu'un bâtonnier a accepté un poste de ministre». Quant aux demandes d'extradition des Ben Ali d'Arabie Saoudite, Aziz Amami ne les juge pas assez sérieuses. «Les autorités n'ont ni la volonté ni le courage» d'aller jusqu'au bout. Deuxième pays à avoir marché sur les pas de la Tunisie, l'Egypte se prépare à se réapproprier une révolution en trompe-l'œil. «Le régime déchu est le régime actuel !», affirme Amr Al Wakeel, coordinateur de l'Alliance des révolutionnaires égyptiens. «On a tenté de nous faire croire que nous avions accompli une révolution en faisant quelques concessions, comme le procès-mascarade de Moubarak», a-t-il souligné en mentionnant que la situation socioéconomique du peuple est toujours des plus déplorables. La récente répression a fait comprendre aux plus récalcitrants la supercherie de l'armée. Al Wakeel a «beaucoup d'espoir de voir son peuple répondre aux différents appels d'investir la place Tahrir de nouveau, le 25 janvier prochain, afin de nous débarrasser définitivement du régime Moubarak et de ceux qui l'incarnent». Les militants marocains du Mouvement du 20 février comptent, eux aussi, célébrer le premier anniversaire de leur mouvement le dimanche 19 février prochain. Une année de mobilisation acharnée que Montazssir Sakhi qualifie d'«énorme éveil. Le Maroc n'a pas connu ce genre de mouvement portant des revendications politiques depuis 1965. La forte mobilisation a donné lieu à des changements. Aujourd'hui, tous les Marocains sont prêts à investir la rue pour revendiquer leurs droits. Le Mouvement du 20 février a réussi à vaincre la peur. Une culture de citoyenneté est en train de s'installer», se réjouit le jeune militant qui fait un bilan positif du travail des jeunes du Mouvement du 20 février. Mais il n'omet pas de souligner que les changements réalisés ne sont qu'un début. Un long travail reste à faire pour arriver à une monarchie parlementaire, principale revendication du mouvement. La mobilisation ne doit pas faiblir pour Sakhi, d'autant que «les islamistes, qui sont bien organisés et très mobilisés, peuvent exercer une pression pour empêcher certaines avancées». D'où l'urgence, pour le militant, de créer «un front de gauche, de démocrates unis et organisé», afin de ne plus laisser le champ libre aux islamistes. Le militant estime qu'avec cette mobilisation qui continue et «le régime qui a joué toutes ses cartes, s'il n'y a pas de réponse réelle aux attentes du peuple en mettant tous les pouvoirs entre les mains des élus, la situation risque d'empirer et le régime n'aura d'autre issue que d'utiliser les méthodes répressives qu'il s'est empêché jusque-là d'utiliser», explique-t-il. Dans les autres régions du Monde arabe, la contestation ne faiblit pas comme en Jordanie, où «aucune réforme de fond n'a été menée», selon le journaliste écrivain Basil Okoor. Il constate amèrement : « Trois remaniements ministériels ont eu lieu depuis une année. Les mesures prises n'ont pas pour but de contenir la contestation mais de gagner du temps. Elles se sont toutes soldées par un échec à cause des batailles pour le pouvoir entre les différentes instituions de l'Etat (diwane, gouvernement, armée et moukhabarat), dont le peuple paie les résultats.» La situation est au plus mal depuis un an, selon le journaliste, par manque «de volonté politique réelle de changement profond». Ailleurs, la répression continue, notamment à Bahreïn et dans la région chiite d'Al Qatif en Arabie Saoudite, loin de l'intérêt des médias, alors que le spectre d'une guerre civile plane sur la Libye, le Yémen et la Syrie où les manifestations continuent. Un an après l'immolation de Bouazizi, qui avait poussé le peuple tunisien d'abord, puis les peuples arabes à investir la rue, les manifestants scandent toujours : «Choughl, hourya, karama watanya, demouqratya haqqania» (travail, liberté, dignité nationale et démocratie réelle), note Aziz Amami. Le Printemps arabe a comme un goût d'inachevé. Des peuples qui ont appelé à un changement de régime, seuls les Nord-Africains y sont parvenus jusque-là. Après deux gouvernements de transition et les premières élections crédibles du pays, la Tunisie a élu une Assemblée constituante. Mais la Constituante et le gouvernement fraîchement nommé font déjà face à de nombreuses critiques. Pour le militant Aziz Amami, ce n'est toujours pas «une démocratie réelle. La Constituanten'a pas de légitimité populaire, puisque 51% des électeurs n'ont pas voté». L'arrivée des islamistes au pouvoir ne dérange pas tant qu'«on soutient les revendications de la révolution». Il précise qu'«ils ne sont pas perçus comme une menace, pas même au sens occidental du terme, puisqu'ils sont des occidentalistes et des libéraux à la guise des Français et des Américains autant que les autres». Bien que la révolution ait eu la particularité d'être 100% tunisienne, une polémique a pris de l'ampleur ces dernières semaines. Beaucoup ont vu une ingérence et un soutien médiatique et financier du Qatar à Ennahda, ce qui lui aurait permis de remporter les élections. Pour le cyber-militant, il s'agit là d'«une accusation trop facile qui permet à des petits bourgeois de justifier leur défaite aux élections». Et d'ajouter: «Quand on accepte l'ingérence française – comme beaucoup desdits laïcs-modernistes – on accepte de facto les autres formes d'interventionnisme. Or, la seule et unique position qu'on devrait défendre est celle d'être contre toute forme d'interventionnisme, en particulier celui de la France et des Etats-Unis. Le Qatar, lui, n'est qu'un pion aux mains des Américains», explique-t-il. Selon ses informations, le cyber-activiste affirme qu'Ennahda est capable de répondre à ces accusations en dévoilant ses comptes bancaires. Le parti n'ayant pas reçu directement de l'argent du Qatar. Les Nahdahoui n'auraient que bénéficié d'une transmission d'expérience, en prenant part, grâce à leurs médiateurs présents à Londres et à Doha, à des formations de grandes institutions américaines ou aux réunions de lobbyeurs américains. Rien, selon le militant, de différent des formations de journalisme et de technique de discours dont ont bénéficié lesdits laïcs modernistes en France. La victoire des islamistes n'est pour le bloggeur que la traduction d'«un malaise social. Hormis le cas particulier des monarchies du Golfe, aucun peuple arabe n'a expérimenté le malaise social au sein d'un régime islamiste. Il est donc tenté d'appliquer ce régime. De plus, l'argument religieux fonctionne. Le peuple a voté pour l'image que reflète Ennahda et non pour son programme». Un malaise social toujours perceptible. La semaine dernière, le Président par intérim a été chassé par des manifestants mécontents à Kasserine. Un an après, les chômeurs continuent de manifester. Il est vrai que les recettes du tourisme ont été très faibles et les promesses d'aide matérielle du G8 en mai dernier ne sont toujours pas parvenues. Mais pour l'activiste, Moncef Marzouki «n'a encore rien fait de concret pour remplir les caisses de l'Etat en récupérant l'argent des grands hommes d'affaires qui ont constitué leur fortune sur le dos du peuple grâce à l'ancien régime, ou en récupérant les avoirs de Ben Ali à l'étranger». Et d'ajouter :«L'argent seul ne suffit pas. Les gens veulent la garantie d'avoir un travail. Le Président, qui a basé sa campagne sur le sang des martyrs et des blessés de la révolution, n'a rien fait pour gagner leur confiance.» Bien que la situation ne soit pas comparable à celle de la Tunisie pré-révolution, le militant déplore le comportement de la police qui n'a pas beaucoup changé. «Seules quelques têtes ont été remplacées. Le système régissant le travail des policiers n'a pas été amélioré en introduisant des éléments de surveillance et d'évaluation. On tente de garder l'administration de l'Intérieur telle qu'elle était : répressive!», juge-t-il. Alors que l'enquête sur la répression est toujours en cours et qu'une quarantaine de responsables de la sécurité risquent une condamnation, l'avocat Hicham Jeham déplore que «la justice n'ait pas changé et ne soit pas indépendante. Les magistrats se mobilisent toujours pour ‘nettoyer' la justice, d'autant qu'un bâtonnier a accepté un poste de ministre, ce que les avocats désapprouvent». Quant au clan Ben Ali, des condamnations par contumace à des peines allant jusqu'à 35 ans de prison dans plusieurs affaires ont été prononcées contre l'ex-dictateur et son épouse, mais il n'y a pas d'extradition en vue. Aziz Amami estime que les demandes de leur extradition formulées par les gouvernements de transition n'étaient pas assez sérieuses. «Le Canada a sollicité les autorités tunisiennes à trois reprises pour extrader Belahcen Trabelssi, mais elles n'ont ni la volonté ni le courage de collaborer.» Contrairement aux El Gueddafi, la communauté internationale n'a pas formulé des demandes de coopération à la famille royale saoudienne. «Les Européens n'ont pas intérêt à ce que Ben Ali dévoile leurs dossiers une fois la corde au cou. Il était leur agent kleptocrate. Nous voulons faire reconnaître les dettes extérieures comme dettes odieuses, ce qui signifie que nous avons le droit de poursuivre ses corrupteurs en justice. On ne permettra pas la divulgation de pareils dossiers». Deuxième pays à avoir marché sur les pas de la Tunisie, l'Egypte se prépare à se réapproprier une révolution en trompe-l'œil. «Le régime déchu est le régime actuel !», déclare Amr Al Wakeel, coordinateur de l'Alliance des révolutionnaires égyptiens. «On a tenté de nous faire croire que nous avions accompli une révolution en faisant quelques concessions, comme le procès-mascarade de Moubarak», a-t-il souligné en mentionnant que la situation socioéconomique du peuple est toujours très déplorable. La récente répression a fait comprendre aux plus récalcitrants la supercherie de l'armée. Al Wakeel a «beaucoup d'espoir de voir son peuple répondre aux différents appels d'investir la place Tahrir de nouveau, le 25 janvier prochain, afin de nous débarrasser définitivement du régime Moubarak et de ceux qui l'incarnent». Les militants marocains du Mouvement du 20 février comptent eux aussi célébrer le premier anniversaire de leur mouvement dimanche 19 février. Une année de mobilisation acharnée que Montazssir Sakhi qualifie d'«énorme éveil. Le Maroc n'a pas connu ce genre de mouvement portant des revendications politiques depuis 1965. La forte mobilisation a donné lieu à des changements. Aujourd'hui, tous les Marocains sont prêts à investir la rue pour revendiquer leurs droits. Le Mouvement du 20 février a réussi à vaincre la peur. Une culture de citoyenneté est en train de s'installer», se réjouit le jeune militant qui fait un bilan positif du travail des jeunes du Mouvement du 20 février. Mais il n'omet pas de souligner que les changements réalisés ne sont qu'un début. Un long travail reste à faire pour arriver à une monarchie parlementaire, la principale revendication du mouvement. La mobilisation ne doit pas faiblir pour Sakhi, d'autant que «les islamistes, qui sont bien organisés et très mobilisés, peuvent exercer une pression pour empêcher certaines avancées», d'où l'urgence, pour le militant, de créer «un front de gauche, de démocrates unis et organisés», afin de ne plus laisser le champ libre aux islamistes. Le militant estime qu'avec cette mobilisation qui continue et «le régime qui a joué toutes ses cartes, s'il n'y a pas de réponse réelle aux attentes du peuple en mettant tous les pouvoirs entre les mains des élus, la situation risque d'empirer, et le régime n'aura d'autre issue que d'utiliser les méthodes répressives qu'il s'est empêché jusque-là d'utiliser», explique-t-il. Dans les autres régions du Monde arabe, la contestation ne faiblit pas comme en Jordanie, où «aucune réforme de fond n'a été menée», selon le journaliste écrivain Basil Okoor, qui constate amèrement: «Trois remaniements ministériels ont eu lieu depuis une année. Les mesures prises n'ont pas pour but de contenir la contestation mais de gagner du temps. Elles se sont toutes soldées par un échec à cause des batailles pour le pouvoir entre les différentes instituions de l'Etat (diwane, gouvernement, armée et moukhabarat), dont le peuple paie les résultats». La situation est au plus mal depuis un an, selon le journaliste, par manque «de volonté politique réelle de changement profond». Ailleurs, la répression continue, notamment à Bahreïn et dans la région chiite d'Al Qatif en Arabie Saoudite, loin de l'intérêt des médias, alors que le spectre d'une guerre civile plane sur la Libye, le Yémen et la Syrie où les manifestations continuent. Un an après l'immolation de Bouazizi, qui avait poussé le peuple tunisien d'abord, puis les peuples arabes à investir la rue, les manifestants scandent : «Choughl, hourya, karama watanya, demouqratya haqqania»(travail,liberté, dignité nationale et démocratie réelle), note Slim Amamou. Le Printemps arabe a comme un goût d'inachevé.