S'il est une ligne de conduite à laquelle le Forum des chefs d'entreprise s'est tenu mordicus depuis sa création, c'est celle d'avoir appelé sans relâche à la dynamique du débat d'idées autour de l'économie algérienne, de ses modes d'organisation, de ses performances et de son devenir. Nous avons toujours considéré comme un enrichissement la diversité des opinions et des points de vue, y compris quand nous n'en partagions pas la substance. Dans cet esprit, nous étions habitués au discours de M. Aktouf sur les dérives d'une certaine mondialisation, sur les errements d'une partie de la finance mondiale et sur la manière dont l'Algérie les subit. Ses critiques du système capitaliste mondial, par ailleurs largement répandues à travers la presse mondiale, sont bien connues des analystes et observateurs économiques dans notre pays. Aussi, quand bien même il nous est arrivé quelquefois de déplorer son manque de nuances, il n'entre pas dans notre propos de le suivre sur ce terrain-là. Mais il y a quelque chose de rageant à entendre dénier, par un intellectuel algérien officiant dans un grand pays développé, le droit pour une organisation de chefs d'entreprise de faire des propositions publiques pour une économie nationale plus performante, moins dépendante de ses richesses en matières premières et en mesure de créer de la valeur ajoutée et d'offrir des perspectives d'emplois durables à sa jeunesse. Oui, M. Aktouf, le chef d'entreprise algérien, comme n'importe quel citoyen - pas plus sans doute, mais pas moins non plus – est parfaitement en droit et en capacité de penser sa société et son bien être. Surtout, il est sidérant de lire sous sa plume que les «50 propositions du FCE pour une économie moins dépendante des hydrocarbures» ne sont rien d'autre qu'une suite de recettes néolibérales directement inspirées de Milton Friedman et de l'école de Chicago. Etablir un parallèle entre nos propositions et les politiques initiées aux Etats-Unis par Ronald Reagan ou Georges Bush est un non sens. Pour qui connaît un tant soit peu le fonctionnement de l'économie algérienne, ce serait même du plus haut comique, à tout le moins de la paresse intellectuelle. Disons le plus clairement et plus simplement. En quoi ce serait donc une forme quelconque de libéralisme sauvage que de proposer : - De permettre à des entrepreneurs algériens de pouvoir investir dans leur pays, d'y créer des emplois et de la valeur ajoutée, dans le cadre des lois établies, sans avoir à demander une autorisation préalable d'un quelconque bureaucrate ; - de permettre aux banques locales d'exercer plus sainement le métier qui est le leur, celui de pouvoir financer le développement de projets économiques viables, au lieu de s'entêter à en faire des guichets administratifs sans autonomie et sans capacité de décision ; - de dépoussiérer et de simplifier un environnement des affaires incohérent et tentaculaire qui bloque producteurs et investisseurs et qui empêche de mobiliser les immenses liquidités stockées dans les coffres des banques publiques au service du développement économique et social national ; - de consacrer l'essentiel des ressources publiques à développer le système éducatif national au lieu des renflouements à répétition d'entreprises publiques malades ; - de s'intéresser plus sérieusement au traitement du marché informel, plutôt que s'échiner à considérer les actes de gestion dans les entreprises publiques comme relevant des procédures pénales ; - de protéger les producteurs nationaux contre une forme sauvage de libéralisation commerciale qui a vu les importations multipliées quatre fois au cours des toutes dernières années ; - ou de mettre effectivement sur pied un Conseil national de la concurrence dont la création remonte à une législation datant de l'année 1995 ? On pourrait continuer à dérouler à loisir une à une nos cinquante propositions. Nous invitons M. Aktouf à les lire. Elles plaident toutes, de manière claire et cohérente, pour une économie de marché étroitement régulée. Elles pourraient, du reste, être critiquées ou considérées comme peu pertinentes. Mais, à moins d'un parti pris de malhonnêteté, il est difficile de les rattacher en quoi que ce soit à une forme quelconque de libéralisme effréné ou mal digéré. A nos yeux, les marchés internationaux, bons ou mauvais, sont une donnée intrinsèque que nous sommes simplement tenus de prendre en compte, dont nous pouvons saisir les opportunités et contre lesquels nous devons, le cas échéant, nous protéger. Ainsi, et même si l'on venait à endosser cette charge de M. Aktouf contre les excès du mondialisme néolibéral, il nous est difficile de comprendre en quoi le FCE y est responsable, en quoi il y est impliqué et en quoi ce procès le concerne en particulier. Tout cela est bien dérisoire. Mais, en fin de compte, si nous avons choisi tout de même de faire cette mise au point, c'est parce que c'est précisément ce type de discours antimondialiste que l'on nous tient depuis longtemps, qui fait le lit de la bureaucratie locale contre laquelle se bat notre association. C'est bien connu : notre bureaucratie, qui asphyxie les producteurs de richesses dans notre pays, se présente elle-même comme le dernier rempart qui nous protège des dérives de l'économie mondiale. On l'a d'ailleurs bien vu en 2008 : notre système bancaire, tout ossifié et défaillant qu'il était, n'a-t-il pas invoqué ses propres rigidités et son immobilisme comme autant de sages précautions qui nous avaient opportunément prémuni contre les méfaits de la crise financière internationale ? Un peu comme dans cette vieille histoire de «Djeha» qui, voyant sa gandoura tomber dans un ravin, se félicitait lui-même et fort à propos de n'y être pas dedans. Si M. Aktouf s'intéresse réellement à l'économie de son pays, il devrait, plutôt que de nous donner des leçons, faire d'abord l'effort de mieux le connaître et de mieux le comprendre. Ce dernier écrit qu'il vient de commettre, nous montre en tous cas qu'il est complètement déconnecté de ses réalités.