Dans un récent écrit (El Watan du 19 juillet), l'éminent économiste algérien Omar Aktouf a tancé les intellectuels, entrepreneurs et décideurs algériens adeptes forcenés du néolibéralisme. Habitant et enseignant au Canada, pays du capitalisme pur et dur, il est aux premières loges pour constater les ravages de cette doctrine qui a montré, notamment depuis la grave crise de 2008, toutes ses limites : le système financier mondial sur lequel repose le néolibéralisme a fini, par excès de dérégulation et du fait d'une frénésie du gain immédiat et facile dans les grandes banques internationales, par emporter les Etats, les sociétés et hypothéquer l'avenir même de la planète. Aussi Omar Aktouf s'étonne qu'en Algérie on ne tire pas les leçons de l'impasse de cette doctrine et qu'on fasse du patronat et du capital les «rois maîtres de tout». Ce procès de cet universitaire aurait son sens et garderait toute sa pertinence si, en Algérie, il y avait une vraie économie publique, un vrai secteur privé et de vrais décideurs. Or, rien de tout cela, si ce n'est la cohabitation chaotique de quelques entreprises publiques et privées qui tentent de survivre contre vents et marées, les premières quasiment toutes déstructurées et déficitaires, survivant par l'argent de l'Etat ; les secondes, généralement familiales, sans grande envergure ni production de qualité, se débattant dans d'insolubles difficultés managériales et financières. Certes, quelques sociétés, du privé notamment, ont pu émerger, réussissant même à s'aligner sur les normes internationales. Mais comme elles se comptent sur les doigts d'une seule main, elles n'ont pas contribué à construire une économie au sens noble du terme. Ce qui fait aujourd'hui office d'économie, en Algérie, c'est la rente tirée des hydrocarbures convertie en folles importations de biens et services pour saupoudrer le territoire en équipements divers livrés clés en main et pour acheter la paix sociale. C'est également la «chkara», terme tiré du terroir méritant de figurer dans le lexique des économistes, désignant la montée en puissance de la spéculation, de la corruption et de l'informel. Tout cet édifice fonctionne relativement sans heurts tant que le prix du baril dépasse allègrement les 100 dollars. Mais dès qu'il chute, c'est tout le château de cartes qui s'écroule. Un scénario catastrophe a eu lieu en 1986, il a conduit à la révolte d'Octobre 1988, au rééchelonnement dramatique de la dette, au dépeçage du secteur public local, à la chasse aux cadres gestionnaires, etc., voire au terrorisme. Comme l'Algérie a toujours été un vaste laboratoire, il suffit aujourd'hui de bien regarder les expériences des cinquante dernières années et de tirer les leçons qui s'imposent. Une nouvelle économie algérienne ne peut faire l'impasse ni sur le libéralisme ni sur l'étatisme, l'un et l'autre pouvant produire des effets positifs lorsque, bien entendu, ils ne sont pas mis, comme c'est le cas aujourd'hui, en confrontation sauvage et ravageuse. De chacune de ces doctrines peut être extrait le meilleur et c'est ce qui se fait dans des pays émergents, tels que la Malaisie, le Vietnam ou la Turquie, ou même développés, tels les Etats d'Europe du Nord. Mais cela suppose des dirigeants politiques éclairés, modernistes et de grande compétence. Et c'est là que le bât blesse en Algérie : le mal de son économie vient essentiellement du mal politique. Le vrai débat se situe dans la mauvaise gouvernance, dans le déficit démocratique, dans l'absence totale de perspectives politiques. De quoi sera faite l'Algérie dans quelques années, peuplée de quarante millions d'habitants et privée d'une large partie de sa rente que lui disputent déjà d'autres Etats et les grandes multinationales pétrolières ? Lorsqu'un système politique fermé et liberticide tombe, la bonne économie finit par apparaître.