Le ministre tunisien des Finances, Hassine Dimassi, a dit «sentir le pire en matière d'équilibre des finances publiques» et présente sa démission comme «un signal d'alarme» au gouvernement, qui minimise et parle de «divergences». La situation n'est pas de tout repos ces derniers temps pour le gouvernement tunisien de l'islamiste Hamadi Jebali. La tension ayant accompagné le limogeage, le 18 juillet, du gouverneur de la Banque centrale, Mustapha Kamel Nabli, ne s'est pas encore estompée et voilà que le ministre des Finances, M. Dimassi, démissionne. Le pire est que sa lettre de démission ne s'est pas limitée à l'acte formel, elle a comporté une évaluation de sa mission durant ces sept derniers mois, plutôt un acte d'accusation. Dans une lettre adressée aux médias, M. Dimassi explique les raisons de sa démission. Il a indiqué qu'en acceptant le portefeuille ministériel, il se considérait comme «membre d'un gouvernement légitime, apte à diriger le pays en cette deuxième période transitoire et à répondre aux ambitions économiques et sociales sans avoir à toucher aux équilibres financiers du pays». Au fil des jours, le ministre a dit s'apercevoir progressivement de divergences fondamentales entre sa conception de la politique budgétaire et celle de la majorité des ministres du gouvernement. «Alors que j'étais attaché à une gestion saine de la finance publique, la majorité des membres du gouvernement tenaient à suivre une approche électoraliste, entraînant une hausse vertigineuse et subite des dépenses de l'Etat comparativement à ses recettes», a-t-il indiqué. Le ministre a également contesté les choix du gouvernement dans la loi de finances complémentaire votée fin avril. Il aurait fallu, selon lui, axer fondamentalement sur les attentes de la population par rapport à la révolution, en accordant davantage d'intérêt aux catégories nécessiteuses, en renforçant leur pouvoir d'achat et en créant de l'emploi digne. M. Dimassi ne juge pas la situation aussi reluisante que la présentent plusieurs membres du gouvernement. «Il est nécessaire de respecter deux impératifs en même temps : développer les zones marginalisées et dynamiser l'économie, d'une part, et, d'autre part, préserver les équilibres budgétaires globaux», a-t-il souligné, en attirant l'attention sur le fait que «les dérapages se sont multipliés afin de séduire un maximum de catégories sociales en prévision des prochaines élections, ce qui a entraîné l'explosion de la compensation». La goutte de trop Pourtant, «notre économie passe par une période transitoire délicate où il est vital d'accorder toute l'attention requise aux équilibres dans les finances publiques», a-t-il indiqué sur un ton alarmiste, précisant que «la balance globale de la compensation s'élève à près de six milliards de dinars, soit le quart du budget !».Pour M. Dimassi, le projet de loi visant la réintégration et le dédommagement des personnes ayant bénéficié de l'amnistie générale a été la goutte qui a fait déborder le vase. Le ministre considère comme «asphyxiant» pour la trésorerie publique ce projet de loi, présenté déjà deux fois au Conseil des ministres et renvoyé à des dates ultérieures pour complément de précisions. «Il sera probablement adopté dans la réunion du Conseil des ministres de ce mardi 31 juillet», a-t-il indiqué. Dans sa lettre de démission, le ministre a présenté ce projet comme «un écueil insurmontable pour la trésorerie publique parce qu'il va engendrer des dépenses supplémentaires étouffantes, vu le grand nombre de bénéficiaires et les très grosses sommes prévues pour le dédommagement». Il a parlé d'«une liste préliminaire de 12 000 personnes» et d'une enveloppe «pouvant dépasser le milliard de dinars (500 millions d'euros) entre dédommagements et compensations pour les agents des secteurs public et privé dont les carrières ont été bousillées». M. Dimassi a souligné que «ce projet de loi ne prend pas en considération la situation économique et budgétaire très délicate que va connaître la Tunisie pendant les prochaines années, notamment 2013 et 2014 qui verront un pic dans le volume des remboursements de la dette extérieure contractée par le Trésor public». «Ma démission conteste donc cette manipulation des finances publiques à des fins électoralistes. Cette politique pourrait mettre en danger l'économie nationale, ce que je ne saurais admettre», a-t-il averti. A la fin de sa lettre, Hassine Dimassi évoque la révocation du gouverneur de la Banque centrale. Le ministre déplore vivement la manière arbitraire et injuste avec laquelle a été limogé Mustapha Kamel Nabli, relevant l'absence de concertation avec lui aussi bien lors de la révocation que de la nomination du nouveau gouverneur. Pourtant, la BCT est en étroite liaison avec les services du ministère des Finances, a-t-il remarqué. éclaircissements La démission du ministre des Finances a été acceptée par le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, quelques heures après sa publication. Un communiqué publié sur la page officielle du gouvernement a annoncé cette décision et chargé le secrétaire d'Etat auprès du ministre des Finances, Slim Besbes, de l'administration des affaires du ministère en attendant la nomination d'un nouveau ministre. Le même communiqué a également commenté les propos du ministre démissionnaire. Ainsi, le chef du gouvernement a précisé, au sujet des critiques de M. Dimassi concernant le projet de loi visant la réintégration et le dédommagement des personnes ayant bénéficié de l'amnistie générale, que «cette loi est encore à l'étude et sera examinée lors de la prochaine réunion du Conseil des ministres». Quant aux accusations de «politisation de certains dossiers économiques et sociaux» dont Hassine Dimassi accuse le gouvernement, le communiqué affirme qu'il ne s'agirait que «d'une simple divergence d'opinions sur la manière de traiter certains dossiers» et note que le ministre des Finances «a effectivement émis des réserves quant aux résultats des négociations sociales et de la politique salariale, actuellement en cours entre le gouvernement et les partenaires sociaux, en particulier en ce qui concerne la répartition des augmentations de salaires entre les années 2012 et 2013». Le communiqué du gouvernement constate également que «Hassine Dimassi a émis des réserves au sujet de la politique gouvernementale adoptée par le Conseil des ministres concernant le subventionnement des biens de première nécessité, notamment les prix du carburant, ainsi que par rapport à la problématique des ouvriers de chantiers». Le gouvernement a donc implicitement reconnu les reproches adressés par son ministre démissionnaire, qui tient à éviter un dérapage en matière d'équilibre dans les finances publiques. Mais «ils ne veulent pas dire la vérité au peuple de peur d'être sanctionnés par les urnes», a conclu Hassine Dimassi.