Docteur es-sciences économiques et professeur à la faculté des sciences économiques et de gestion à l'université de Tlemcen, Kouider Boutaleb revient dans cet entretien sur les principaux faits marquants de l'économie algérienne en 2012. -Malgré des indicateurs macro-économiques intéressants, les classements 2012 internationaux de l'Algérie montrent un recul en matière de sa compétitivité économique. Comment expliquer cela ? L'Algérie présente un indice global de compétitivité (un classement introduit en 2005 par World Economic Forum) très faible et qui ne semble guère s'améliorer. Elle a été classée à la 110e place sur 144 pays cette année (2012) et perd 14 places par rapport à 2011. On relève que le ralentissement de l'activité économique a donné lieu à la perte du principal avantage concurrentiel du pays ces dernières années : son excellent environnement macroéconomique, qui est passé de la 2e à la 57e position depuis 2009. L'important déficit budgétaire, la hausse de l'inflation et de la dette publique sont autant de facteurs qui participent à une évaluation bien plus négative de la stabilité macroéconomique du pays. Le pays reste fermé à la concurrence extérieure (127e), n'utilise pas pleinement le capital humain disponible (133e place), les entreprises rencontrent des difficultés pour accéder aux financements (131e) et on observe un manque de confiance des investisseurs dans le secteur financier (135e). De façon récurrente, on retrouve les mêmes facteurs entravant l'émergence d'une économie compétitive et efficiente. Ceci relève pour une part importante de l'inefficience de l'administration publique, autrement dit de la gouvernance. Beaucoup de travaux ont déjà clairement établi l'inefficience de l'économie algérienne. D'un côté, nous constatons qu'il y a, depuis longtemps déjà mais plus particulièrement durant cette dernière décennie, une mobilisation de moyens énormes, moyens financiers et humains, et, d'un autre côté, le pays enregistre des résultats qui sont considérés par tous les observateurs, dans tous les rapports qui sont produits dans le monde, comme relativement faibles, sinon, dans le meilleur des cas, très moyens. C'est un paradoxe assez important de ce décalage entre les moyens mobilisés et les résultats enregistrés… N'étant pas efficiente, l'économie est ainsi faiblement compétitive malgré une base économique qui aurait dû lui permettre un meilleur positionnement sur les marchés. Nonobstant les contraintes extérieures (elles existent et ne peuvent être occultées), cette situation d'inefficience est inhérente fondamentalement à la nature du système socio-économique mis en place et de son mode de fonctionnement qui est complètement perverti et antinomique aux postulats de fonctionnement d'une économie de marché efficiente. -2012 a marqué la conclusion in extremis d'un accord avec Renault. Est-ce à mettre à l'actif du gouvernement, ou bien faut-il le relativiser ? Il faudrait souligner que l'accord qui vient d'être signé avec Renault a beaucoup traîné en longueur. Faut-il l'inscrire à l'actif du gouvernement ou au contraire en relativiser la portée ? Il nous semble, au vu des informations disponibles, que cet accord ne présente pas de dimension particulière, qu'il n'a au contraire qu'une portée très modeste pour ne pas dire symbolique. En effet, l'usine Renault, objet de l'accord, devrait disposer, à partir du deuxième semestre de l'année 2014, d'une capacité de production annuelle initiale de 25 000 véhicules, qui pourra monter à 75 000 exemplaires et qui seront destinés pour le marché local. Il s'agit en fait d'une très faible capacité même en perspective si on la compare avec l'usine Renault implantée à Tanger au Maroc, qui est dotée d'une capacité de production de 400 000 voitures, destinées pour l'essentiel à être exportées vers l'Europe. Par ailleurs, si l'on s'en tient aux déclarations des responsables de Renault qui parlent d'un accord pour l'implantation d'une usine de «montage», alors il faudrait certainement relativiser aussi la portée de cet accord. L'Algérie à besoin d'investissements productifs pour régénérer son tissu industriel, et l'industrie automobile peut contribuer à réaliser cet objectif si le taux d'intégration est élevé (ce qui est faisable en Algérie, au vu du potentiel existant en termes d'infrastructures, de main-d'œuvre et de savoir-faire). Le seul montage des véhicules n'est pas créateur d'emplois et de valeur ajoutée. Certes, on parle d'un «taux d'intégration locale qui évoluera de manière progressive pour développer la filière automobile en Algérie», mais cela relève encore des déclarations d'intention faute de projections chiffrées, précises, dont la réalisation serait programmée et planifiée dans le temps. -Le prêt accordé par l'Algérie au FMI est présenté quasiment comme un succès de l'Algérie, autrefois malmenée par cette institution. Sa portée est-elle autre que politiquement symbolique ? Ce prêt a naturellement a été présenté par les pouvoirs publics comme gageure, une décision de grande portée politique, une reconnaissance retrouvée sur la scène internationale, beaucoup ont considéré ce prêt comme étant tout à fait paradoxal, résumé par une parabole assez significative : «Un pays avec un peuple pauvre prête son argent à des pays riches». On peut s'interroger en effet sur ce qui a pu motiver ce prêt. Les raisons avancées notamment par le ministre des finances, Karim Djoudi, ne semblent pas convaincantes. L'Algérie aura plus de poids au sein du Fonds monétaire international… De quel poids s'agit-il, et pour quel objectif ou finalité ? Avec ce prêt, l'Algérie va-t-elle influer sur les décisions du FMI ? Il ne faut pas rêver ! Le ministre lui-même précise que «ce poids que l'Algérie a pu acquérir ne signifie pas que le pays va demander une place au sein du Conseil d'administration, déjà dominé par les grandes puissances». On a aussi avancé l'argument de «l'amélioration de l'image de marque du pays» auprès de la communauté internationale. Sur le plan strictement économique, autrement dit la rentabilité de ce placement, on connaît la réponse formulée il y a bien longtemps déjà par Karim Djoudi, pour qui ce type de placement (des réserves de change) est caractérisé par «un couple risque/rendement très important, qui reste un choix spéculatif, et quand on a la responsabilité de gérer l'argent de la collectivité nationale, on ne spécule pas». Par conséquent, déposer les réserves de change en valeurs d'Etat reste «le meilleur choix pour l'Algérie», selon notre ministre des finances. Or, selon de nombreux spécialistes, il faudrait casser ce tabou et aller résolument vers d'autres formes d'investissement, d'autres opportunités ; celles, par exemple, de saisir les opportunités extérieures, notamment d'acquisition d'actifs industriels, surtout en période de crise comme c'est le cas présentement, qui pourrait créer des synergies avec le développement industriel du pays. Ce qui nécessite un fonds souverain consacré à ces opérations d'investissements productifs extérieurs/intérieurs, et relance par conséquent le débat sur la gestion des réserves de change du pays. L'Algérie doit penser sérieusement à transformer la rente tirée des hydrocarbures en actifs productifs. -2012 a vu une croissance fulgurante du taux d'inflation. Qu'est-ce qui fait que le gouvernement a été incapable de la maîtriser ? Il faudrait sans doute commencer par souligner la problématique récurrente de la mesure objective du taux d'inflation. Parce que les taux avancés officiellement sont contestés par les spécialistes. Les controverses sur les chiffres de l'inflation en l'absence d'organismes indépendants d'évaluation sont courantes. Ceci étant, selon les données de l'ONS, le rythme d'inflation annuel en Algérie a accentué sa hausse durant l'année 2012, dépassant largement les 8/9%. Pour l'ONS, cette tendance haussière trouve son explication durant ces dernières années dans les augmentations substantielles des produits de consommation. Par rapport à l'année dernière, la hausse a touché tous les produits alimentaires, mais les augmentations les plus importantes ont concerné les produits agricoles frais dont notamment la pomme de terre (116,39%), les légumes (23,97%) et les fruits frais (9,29%), relèvent les chiffres de l'ONS. Le gouvernement n'a manifestement pas pu ou su maîtriser cette flambée inflationniste qui était prévue au demeurant. Pour savoir pourquoi, on peut avancer plusieurs hypothèses : 1. La Banque d'Algérie (BA) est tenu d'assurer sa maîtrise de gestion de l'excédent de la liquidité bancaire, devenu un phénomène structurel du marché monétaire algérien. On estime que l'accroissement du taux d'intérêt nominal directeur de la BA aurait permis de maintenir le taux réel positif et d'absorber la liquidité excédentaire du système bancaire. Or, la BA n'a pas revu à temps sa politique monétaire et a péché par manque d'anticipation en ne tenant pas compte de la hausse du budget de fonctionnement grevé par les augmentations salariales des travailleurs de la fonction publique. Il aurait fallu dans ce cas anticiper en augmentant les taux d'escompte, ce qui aurait eu pour effet immédiat une hausse des taux d'intérêts. Cette situation aurait poussé les entreprises et les institutions à épargner au lieu de dépenser et aurait permis, par conséquent, une meilleure maîtrise du taux d'inflation. Certes, la BA pour faire face à cette tendance inflationniste a pris en avril 2012 deux mesures : le taux des réserves obligatoires a été ramené de 9 à 11% à partir de la mi-mai, alors que le niveau de la reprise de liquidités s'est accru de 250 milliards de dinars dès avril, mais cette mesure s'est avérée insuffisante selon beaucoup d'experts dont les faits leur ont donné raison. 2. Le gouvernement pourrait avoir eu délibérément recours à une «gestion par l'inflation», comme l'ont exprimé certains observateurs, laissant glisser le dinar, pour récupérer une partie de l'argent distribué sous forme d'augmentations de salaires décidées en 2011. Une dévaluation discrète du dinar permet de récupérer une partie de l'argent en circulation sous forme de taxes diverses. 3. On pourrait ajouter, si on s'en tien au diagnostic du Gouverneur de la BA, que ce sont les mécanismes de régulation des prix et de la production relevant des secteurs du commerce et de l'agriculture qui n'ont pas permis de juguler les poussées inflationnistes. Le gouverneur a estimé en effet que «l'inflation au 1er semestre 2012 est plus de nature endogène» et qu'il s'agirait de procéder à une «revue approfondie» de la formation des prix aux différents stades des transactions commerciales afin d'asseoir des règles transparentes en la matière.