La levée de l'état d'urgence, maintenu en toute illégalité pendant dix-neuf ans jusqu'à 2011, n'a finalement servi à rien. Les Algériens n'ont toujours pas la liberté de manifester pacifiquement dans la rue. Il est toujours interdit de revendiquer ses droits politiques, économiques ou sociaux dans la rue, comme font tous les autres peuples. Dans plusieurs pays, les manifestations publiques sont quotidiennes ; elles se font dans le calme et dans le respect des lois. Cela n'a pas entraîné l'effondrement des Etats ni la «fin du monde». La marche est une expression citoyenne qui permet à une catégorie de la population de faire entendre ses demandes, d'exprimer sa colère et de dire son indignation. En Algérie, la marche fait peur à la présidence de la République, au gouvernement, aux ministres, aux militaires, au contre-espionnage, aux policiers, aux gendarmes, aux walis, aux chefs de daïra, aux présidents d'APC… à tous ceux qui gouvernent. Il suffit que des jeunes chômeurs du Sud appellent à une marche à Ouargla pour qu'un incroyable vent de panique souffle sur les institutions de l'Etat. Et vite, on fait sortir à grand effort de propagande les slogans, l'anathème, les accusations et les petites théories du complot. On parle, sans peur de paraître ridicule, de «printemps arabe», de «plan américain», de «programme de Genève», de «turbulences planifiées», de «sécession», de «mains invisibles», d'«agendas étrangers»… Un riche vocabulaire. Pire. On convoque de prétendus «notables» – qui ne représentent qu'eux-mêmes – pour qu'ils versent toute leur haine sur l'action des jeunes contestataires. L'esprit du KGB n'est pas loin. Tout cela parce que des jeunes souhaitent organiser une marche pacifique aux fins de faire entendre leurs voix à des autorités restées sourdes jusque-là. En 2013, les jeunes Algériens, plus que jamais attachés à l'unité du pays, n'ont pas le droit de revendiquer un emploi décent dans des entreprises pétrolières qui ont créé des petites zones de non-droit dans le désert algérien. Les scandales en série de Sonatrach, qui n'ont pas livré tous leurs secrets prouvent, même à échelle basse, qu'une partie des recettes du pays est mal gérée. Que l'économie algérienne soit dans l'incapacité de générer des richesses en dehors du secteur pétrolier et gazier, c'est bien la faute de ceux qui n'ont pas cessé de plaider pour «la bonne gouvernance» depuis bientôt quinze ans. Qui leur demandera des comptes ? Sûrement pas les «notables» du Sahara ! Les jeunes chômeurs, qui ont fait preuve de beaucoup de patience, ne demandent, eux, que leurs droits. Les solutions sont pourtant simples : ouvrir un dialogue, convaincre et prendre des décisions. La menace mène à l'impasse. Et l'impasse à l'explosion.