La crise politique à la veille de l'élection présidentielle, conséquence de l'impasse dans laquelle se trouve le pouvoir, a fait sortir Mouloud Hamrouche de son silence. Après des jours de confrontation entre différents groupes du régime, le chef de file des réformateurs prend la parole pour mettre en garde contre les risques d'un conflit qui prend une ampleur inquiétante. «Chaque crise a ses victimes et ses opportunités.» Evitons de gâcher ces nouvelles opportunités ou d'avoir de nouvelles victimes», a averti Mouloud Hamrouche dans une déclaration rendue publique hier. Le ton est grave. Un cri d'alarme qui illustre la gravité de la crise qui mine le pouvoir et menace le pays. S'inscrivant au-delà de l'échéance présidentielle, Hamrouche décrit un pays qui traverse un moment délicat de son histoire. «Notre pays vit des moments sensibles qui vont conditionner son avenir immédiat et profiler irrémédiablement son devenir, au-delà de la présidentielle, indépendamment du fait que le Président soit candidat ou pas, par l'arrivée de nouvelles générations aux postes de responsabilité», constate-t-il.Visiblement interpellé par le blocage du pouvoir aux conséquences imprévisibles, Mouloud Hamrouche suggère une voie de salut. Entre le statu quo et l'affrontement, il indique une troisième voie. Le compromis. Avec comme perspective la renégociation du contrat politique et social entre l'Etat et la société, jetant les fondements d'un Etat démocratique. «Pour que notre pays vive ces échéances dans la cohésion, la sérénité et la discipline légale et sociale, il est primordial que les différents intérêts de groupes, de régions et de minorités soient préservés et garantis. De même qu'il est impératif que l'Etat préserve tous les droits et garantisse l'exercice de toutes les libertés. Ceci est essentiel pour assurer la sécurité, renforcer les avancées, corriger les distorsions et éliminer les failles», préconise-t-il. Parlant de l'armée, Mouloud Hamrouche rappelle, avec insistance, que «la renaissance de notre identité algérienne et notre projet national ont été cristallisés, abrités et défendus successivement par l'Armée de libération nationale, puis par l'Armée nationale populaire» et «cela n'a été possible que grâce aux hommes qui ont su trouver des compromis et élaborer des consensus. A chaque étape et à chaque crise, ces hommes ont su préserver l'unité des rangs, la discipline et transcender tout clivage culturel, tribal, régional en préservant l'identité et le projet national». Il laisse entendre que le conflit au sommet du pouvoir est d'une extrême gravité. L'homme du recours ? Ancien candidat à la présidentielle de 1999, dont le nom est régulièrement revenu comme potentiel candidat à la magistrature suprême lors des échéances qui ont suivi, Hamrouche dit clairement aux décideurs que le changement démocratique est nécessaire et possible sans violence. «Faut-il convoquer aujourd'hui la promesse d'édifier un Etat moderne qui survive aux hommes, aux gouvernements et aux crises ? Faut-il rappeler encore l'engagement pris de poursuivre le processus démocratique ? Faut-il invoquer la promesse de continuer la réforme ?», interpelle-t-il. Pour lui, le changement de mode de gouvernance est une nécessité ; il affirme que la société ne peut «s'accommoder de pouvoir souverain sans contre-pouvoir» et qu'il «ne peut y avoir d'exercice d'un pouvoir d'autorité ou de mission sans habilitation par la loi et sans un contrôle. Il y va de l'intérêt et de la sécurité de l'Algérie, de tous les Algériens et de toutes les régions du pays», défend encore l'ancien chef de gouvernement sous Chadli. Etalant ses divergences sur la place publique à la suite d'attaques et contre-attaques, l'armée s'est exposée à un risque de clivages internes. La relance du processus démocratique est la condition pouvant lui permettre «d'assurer sa mission plus aisément et efficacement» et «nos institutions constitutionnelles assumeront clairement leurs rôles et fonctions. C'est à ces conditions aussi que notre peuple persévèrera dans la voie du progrès, de l'équité et de la solidarité entre toutes ses composantes sociales, et appréhendera les enjeux, tous les enjeux, et relèvera les défis, tous les défis, d'aujourd'hui», assure Mouloud Hamrouche. Une invitation aux décideurs de fermer définitivement la parenthèse autoritaire. Devant l'impotence généralisée qui frappe le régime, l'homme des réformes propose une sortie de crise qui passerait par un changement ordonné. Il le fait à moment charnière dans la vie du pays. Cependant, Mouloud Hamrouche, dans sa déclaration d'hier, passe sous silence le rôle qu'il pourrait jouer dans cette phase. Sera-t-il ou pas candidat à l'élection présidentielle ? Dans ce texte, il paraît privilégier le cadre de la transition, faisant de la question de la présidentielle un élément relativement secondaire de son analyse. L'enjeu central, pour lui, est le changement progressif de la nature du régime politique. Et ce n'est sans doute pas Bouteflika qui assumera cette option. Ancien militaire reconverti en politique, Mouloud Hamrouche a été de tout temps présenté comme un sérieux présidentiable. Il pourrait être aujourd'hui le candidat le mieux placé pour incarner la perspective politique qu'il formule. Le fera-t-il ? A 71 ans, le réformateur rêve de reprendre le chemin des réformes politiques stoppées il y a deux décennies. Un rêve qu'il nourrit au plus profond de lui-même. L'appel de Mouloud Hamrouche sera-t-il entendu ?