Près du Grand Rocher de Constantine, superbe et mystérieux, dominant la vallée sublime du Rhummel, une femme et un homme se rencontrent. Elle, Cilla, est enseignante. Lui, Ahmed, est médecin au CHU de Constantine. Du coup, ils ont des affinités l'un pour l'autre. Un amour est né sur les balcons du ravin, comme un poème doux. Mais la conjoncture était terrible pour les deux amoureux. L'Algérie vivait les années sombres de la nébuleuse terroriste. L'amour grandit comme un enfant dans un climat de peur et de haine. Dans son journal, Cilla décrit les durs moments des années noires où le fanatisme religieux hantait les esprits. Les prêches incendiaires dans les mosquées, les assassinats, les morgues des hôpitaux submergées et les cimetières qui «travaillent» à plein temps. «Tout est triste, même le rocher des premières rencontres», disait Cilla. Cette dernière, enseignante engagée, qui rêve d'une Algérie belle, forte et moderne, est «persécutée» par ses propres élèves. «Des adolescents guidés par des mains occultes, et qui serviront de boucliers et de chair à canon.» Pris comme dans une tempête de sable «apocalyptique», le couple tente de résister face à la perfidie érigée en système. Un quotidien très dur avec la peur de mourir égorgé ou mutilé. Les images se succèdent, comme dans un film qui monte en rythme, dans une ville qui tente de vivre ses fantasmes, ses rituels et ses désirs confus. Comme dans la légende grecque où Cilla, la princesse troyenne, s'est fait exécuter avec son enfant pour éviter la perte de Troie, suite à un rêve «mal interprété» par un devin, Cilla la Constantinoise, qui avait déjà perdu son enfant dans son ventre, sera «exécutée» par un fanatique. Une vie abrégée, un rêve brisé et une fin aussi tragique que celle de Dounia, dans la deuxième nouvelle de cet ouvrage intitulé Vertiges. Une femme pleine de ressources et de vie, gâtée comme une rose, se retrouve dans un hôpital psychiatrique, souffrant d'une dépression nerveuse, après avoir subi le harcèlement sadique de son époux et de sa belle-mère. A l'hôpital, elle rencontre Akram, le psychiatre qui l'aidera à surmonter sa maladie et à sortir d'une longue traversée infernale en l'encourageant à écrire. Un homme dont elle tombe amoureuse, mais lui, en dépit de son grand cœur, et surtout en dépit du fait qu'il l'ait profondément comprise, n'assumera pas ses sentiments envers elle. Le rêve d'un amour plus grand que l'univers s'est avéré difficile ; pis encore, irréalisable. Et c'est le malheur ! Dounia mettra fin à ses souffrances de la manière la plus atroce. Un florilège d'amour(s) de bout en bout, comme le souligne Abdelwahab Boumaza, journaliste et écrivain, dans la préface du livre : «Aussi, à travers les deux courts romans, ou les deux longues nouvelles, indépendamment des trames, assiste-t-on à une quête, un voyage mystique, où l'amour constitue, comme chez Ibn El Arabi, la base de tout, le fondement d'une philosophie, de la foi, de la vie tout court.» Racontés dans un style fluide, clair, poétique où l'alchimie du verbe fait sensation, avec des mots forts, parfois poignants, et parfois pleins de bonté et de sagesse, agencés dans des phrases percutantes, les deux récits de La légende inachevée, parsemés aussi de citations de grands auteurs, sont un hommage à toutes ces femmes merveilleuses «qui ont dit non à l'infamie et à la terreur érigées en religion» et «qui ont pris à bras-le-corps la mère patrie». L'ouvrage est aussi un hommage à Constantine, une ville qui résiste malgré tout aux sévices du temps et des hommes. Une cité éternellement suspendue, qui demeure aimée, vénérée, avec ses venelles, ses grottes, ses ravins et ses vestiges mythiques. Rappelons que l'auteure a présenté son ouvrage le 9 février denier au Maghreb des livres à l'Hôtel de Ville de Paris.
La légende inachevée de Farida Hamadou, éditions Média-Plus, 2014, 183 pages.