Les autorités turques ont lancé hier la chasse aux auteurs de la fuite retentissante sur internet du compte-rendu d'une réunion sensible sur la Syrie, dénoncée comme un nouveau coup de la confrérie de Fethullah Gülen à la veille des élections municipales. Après une série de conversations téléphoniques visant le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, la publication jeudi sur YouTube d'un enregistrement pirate, impliquant de hauts responsables de la sécurité du pays, a provoqué stupeur et colère à Ankara. M. Erdogan contraint hier au silence par une extinction de voix, c'est le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, piégé par la fuite, et le chef de l'Etat, Abdullah Gül, qui ont sonné la charge contre cette atteinte à la «sécurité nationale». «Une telle cyberattaque pendant une réunion où sont discutées des opérations militaires n'est rien d'autre qu'une attaque militaire», s'est indigné M. Davutoglu à la télévision, «tout sera inspecté et tout le monde interrogé». Le ministère des Affaires étrangères a été passé au peigne fin à la recherche d'éventuels micros espions. Ce nouveau rebondissement a encore tendu un peu plus le climat politique en Turquie, à deux jours des élections municipales cruciales pour M. Erdogan, de plus en plus contesté pour sa dérive autoritaire après douze ans de règne à la tête du pays. La bande son, diffusée jeudi, met en scène M. Davutoglu, son numéro 2 Feridun Sinirlioglu, le chef des services de renseignement (MIT) Hakan Fidan et un général de haut rang lors d'une réunion qui, selon la presse turque, s'est déroulée le 13 mars au ministère des Affaires étrangères à Ankara. Ils y évoquent, à bâtons rompus, le scénario d'une opération secrète susceptible de justifier une riposte militaire turque en Syrie. Dans la foulée, il a ordonné jeudi le blocage de YouTube, une semaine après avoir ordonné celui de Twitter, pour tenter d'enrayer la diffusion de l'enregistrement. Comme M. Erdogan, M. Davutoglu a accusé l'influente confrérie du prédicateur Fethullah Gülen, qui vit aux Etats-Unis, d'être à l'origine de la nouvelle fuite. «Nous prendrons des mesures contre ceux qui veulent plonger la Turquie dans le chaos à des fins politiques», a promis le ministre. «A quelques jours des élections, tout le monde comprend bien qui est derrière tout ça.» D'ailleurs, les autorités turques ont annulé hier un passeport de service qui avait été accordé à M. Gülen, 73 ans, qui vit depuis 1999 aux Etats-Unis. Ces mesures draconiennes ont suscité des réactions indignées. Après Bruxelles et Washington, l'ONU a déploré une interdiction qui «limite indûment le droit fondamental» à la liberté d'opinion et d'expression. Le barreau d'Ankara a de son côté saisi, hier, la justice pour mettre un terme à l'interdiction de YouTube en Turquie.