Les éditions Karthala viennent d'éditer en France deux ouvrages socio-historiques importants sur les premiers cadres algériens qui ont lancé le tout jeune Etat indépendant qu'était l'Algérie en juillet 1962. Paris De notre correspondant Les deux livres intitulés Les ingénieurs en Algérie dans les années 1960 et Instituteurs et enseignants en Algérie 1945-1975 sont le fruit d'un travail de recherche approfondi et collectif de plusieurs sociologues et chercheurs en histoire et en sociologie. Le premier est coécrit par Mohamed Benguerna et Aïssa Kadri. Ce dernier a dirigé la conception collective du deuxième ouvrage. Les auteurs apportent des éclairages inédits sur la période charnière post-indépendance. Ils se sont intéressés à une catégorie sociale particulière qui a permis le maintien du fonctionnement des différents services et institutions étatiques sensibles, après le départ massif des cadres français. Les témoignages livrés dans le premier livre racontent les premiers jours d'indépendance où un groupe d'ingénieurs (quelques très rares jeunes Algériens — comme Abdenour Keramane, responsable de l'ex-EGA (devenue Sonelgaz), des pieds-noirs, qui avaient choisi de rester en Algérie, des Français métropolitains pro-FLN) vont faire démarrer les centrales électriques, gérer et maintenir les infrastructures aéroportuaires, les routes, les barrages et les entreprises stratégiques de l'Algérie indépendante. On y trouve l'histoire fascinante de René Vella, dit Ould Elblad (Enfant du pays, ndlr). Grâce à ses compétences et sa volonté, la centrale électrique d'Alger-Port a continué à fournir de l'électricité à une grande partie du pays. D'autres jeunes ingénieurs algéro-français ont tout fait pour maintenir la jeune Algérie libre debout : Michel Ray s'est chargé de la remise à niveau des infrastructures aéroportuaires, Hubert Roux de faire la maintenance et la réorganisation des grands ouvrages hydrauliques, Joël Maurice de construire de nouveaux barrages, etc. Quant au deuxième ouvrage, il retrace et analyse les parcours de plusieurs enseignants et instituteurs «européens» qui sont restés en Algérie après l'indépendance. Ils étaient plus de 12 000 à être solidaires avec les enseignants algériens dans le démarrage de l'école, de l'université et des institutions de formation. Certains ont même été les premiers walis et chefs de daïra, comme Audouard Pierre, sous-préfet à Collo, Mas Roger, sous-préfet à Aïn Témouchent, Ripoll Pierre, préfet à Tiaret, et Albert Victori, nommé préfet à Batna. Quant à André Mandouze, qui prendra la direction de l'université d'Alger, son discours de rentrée universitaire apparaît en perspective comme un programme toujours d'actualité pour la fondation d'une université autonome et critique. De son côté, Pierre Bourdieu, épaulé par un certain Abdelmalek Sayad, crée le premier Centre algérien de recherche et de documentation en sciences sociales (Cerdess).