Foot et immigration. Cent ans d'histoire commune*, c'est le titre d'un documentaire exceptionnel réalisé par la légende du football français et international, Eric Cantona. Ce dernier a fait une plongée profonde au cœur de ce sport populaire, donnant la parole à des légendes du ballon rond, comme Raymond Kopa, Michel Platini, Louis Fernandez, Zidane, ou encore Jean Tigana. Le film montre comment l'immigration, qu'elle soit polonaise, italienne, espagnole ou maghrébine, a contribué au rayonnement du football français. Sans elle, la France n'aurait peut-être jamais remporté sa première Coupe du monde en 1998. Dès le début, Eric Cantona explique comment le football, autrefois sport des aristocrates, est descendu dans les arènes populaires. «A l'origine, commente-t-il, sur un terrain de football, il fallait dribbler tout le monde pour marquer. C'était le football des aristocrates. La passe était déshonorante. Puis après, l'école des ouvriers a commencé à développer un jeu de passes. Solidaires et généreux comme à l'usine, et jouant collectivement, ils (les ouvriers) ont créé le football de notre époque». Le documentaire commence par une image forte, celle des deux buts marqués par Zidane de la tête lors de la finale de la Coupe du monde en 1998. C'était au stade de Saint-Denis, sous le regard fier de son père Smaïl. Raymond Kopa a perdu un doigt en travaillant dans la mine. Hasard de l'histoire, ce dernier a travaillé quelques années auparavant dans cette même localité comme ouvrier. Jolie revanche de l'histoire de voir un fils d'ouvrier algérien donner la joie à des millions de Français et d'immigrés. «On était fiers de ce métissage. Il y avait des Noirs, des Blancs. On a vécu des choses magnifiques entre nous», expliquait Zidane. «Une époque heureuse, ironise de son côté Djamel Debbouze, durant laquelle on pouvait même demander aux banques françaises des prêts sans avoir à nous justifier, puisque Zidane avait marqué les buts de la victoire». Il ajoute : «Si la société française pouvait se comporter comme lors d'un match de foot, je suis sûr que la vie serait mieux». Mais la vie n'a pas été toujours facile pour les joueurs étrangers qui évoluaient en France. Beaucoup ont souffert de discriminations. A l'image de Raymond Kopa, l'un des plus grands joueurs de l'histoire du football français. Fils d'un immigré polonais, il a été obligé de travailler à la mine. D'ailleurs, il y a même perdu un doigt. «J'ai signé ma première licence de football à 10 ans. Mais dès l'âge de 14 ans, j'ai travaillé à la mine. Je n'avais pas le choix. J'avais fait à ce moment le tour de tous les bureaux de main-d'œuvre, mais j'étais rejeté de partout». La raison : «Eh bien, parce que j'étais fils de Polonais, et il n'y avait pas de place pour les fils de Polonais. J'étais donc obligé d'aller à la mine.» De suède en prison, le destin de Wisniewski L'autre légende d'origine polonaise n'est autre que Maryan Wisniewski. Repéré par un patron d'une mine dans le nord de la France, il a participé à l'inoubliable match de 1958 contre le Brésil. «Mon père a travaillé dans les mines à l'âge de 13 ans. On vivait dans des cités réservées aux Polonais. C'était de l'esclavage». Mais grâce au football, il a connu les joies de la vie. Remarquable ailier droit, il est le deuxième plus jeune joueur à porter le maillot de l'équipe de France. Il a marqué son premier but avec les Bleus, en septembre 1957, contre l'Islande et participe à la Coupe du monde en 1958. La France a terminé troisième. C'était en Suède. Mais dès son retour en France, il est envoyé en prison, coupable de ne pas être directement rentré à l'armée. Après la vague migratoire polonaise, ce sont les ouvriers italiens qui sont venus, en masse, travailler dans les mines du nord de la France. Même contexte et même sort que leurs prédécesseurs, ils ont vécu dans des cités-dortoirs. C'est le cas de Michel Platini, par exemple. Une autre légende du football français. Jeune, il a côtoyé ce milieu ouvrier. Son père tenait un modeste café dans une petite ville du Nord. L'endroit est devenu le rendez-vous des sportifs et des footballeurs. Doué pour le ballon rond, il devient vite un joueur important dans l'équipe de France. Mais on peut parler aussi des autres joueurs d'origine étrangère, tout aussi doués que Platini. On peut citer, entre autres, Tigana, Fernandez, Cantona, Boli, Zidane et bien d'autres. Le Front national et la Marseillaise Tous étaient unis par l'amour du football. Et même s'ils ne chantaient pas tous la Marseillaise, ce n'était pas du tout important. Ce qui comptait, c'est surtout le jeu collectif sur le terrain et surtout le fait de mouiller le maillot pour le pays qui a accueilli leurs familles et où ils ont grandi. Zidane gardera jusqu'à la fin de sa vie cette victoire acquise en Coupe du monde en 1998. Tout le monde est sorti dans la rue (Blacks, Blancs, Beurs). Tous unis dans le même mouvement et la même joie. C'était la magie du football. Une magie qui a pris un coup dans les années qui ont suivi. Le Front national, réalisant que ce sport est porteur, s'est emparé du sujet. La déclaration de Jean Marie Le Pen, indiquant que peu de joueurs chantaient la Marseillaise et que l'équipe de France comportait plus de joueurs de couleur noire que de Blancs, allait sonner le glas du vivre ensemble. Mais n'en déplaise aux esprits tordus, le football restera ce creuset où se forment les solidarités et où se mélangent les Blancs, les Noirs et les Arabes. Car seul le talent compte. De Roger Piantoni à Louis Fernandez, de Patrick Vieira à Samir Nasri, de Youri Djorkaeff aux frères Ravelli, la diversité d'origine a été depuis 1938 l'une des caractéristiques des sélections françaises de football, contrairement aux équipes anglaise, italienne ou celles de l'Europe du Nord.
* Foot et Immigration : 100 ans d'histoire commune, réalisé par Eric Cantona et Gilles Perez et produit par Cantobros et 13 productions. Les abonnés à Canal + ont été les premiers à voir, dimanche soir en prime time à 20h50, le documentaire qui sera diffusé à travers le territoire français.