Le procureur général des Chambres africaines extraordinaires (CAE), le Sénégalais Mbacké Fall, a rendu hommage aux survivants aux exactions du régime de Hissène Habré «qui ont eu le mérite de porter et de poursuivre le combat contre l'impunité». Trente-trois ans après avoir accédé au pouvoir, en 1982, et vingt-cinq ans après sa destitution, en 1990, l'ancien président tchadien Hissène Habré, 72 ans et en détention depuis deux ans au Sénégal – où il a trouvé refuge après avoir été renversé par l'actuel président Idriss Deby Itno – est face à la justice. Il comparaît devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE) pour crimes contre l'humanité – contre les Hadjeraïs, les Zaghawas, les opposants et les populations du Sud –, crimes de torture et crimes de guerre qui ont fait quelque 40 000 morts, selon les organisations de défense des droits de l'homme. C'est la première fois dans l'histoire qu'un ancien président africain est jugé dans un pays qui n'est pas le sien pour des crimes liés aux droits de l'homme, au nom de la compétence universelle. Le mot «historique» est souvent employé, et parfois à tort. Mais le procès qui s'est ouvert hier (20 juillet) à Dakar est bel et bien historique. Maintenant, le Sénégal a trois mois pour mener ce procès. Instituée par l'Union africaine (UA) aux termes d'un accord avec le Sénégal, la CAE, qui est une juridiction ad hoc – dont la cour d'assises est présidée par le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, assisté de magistrats sénégalais – aura la tâche délicate d'examiner des exactions commises il y a plus d'un quart de siècle à des milliers de kilomètres de Dakar. Commet ce procès a-t-il pu se tenir ? Pour en arriver là, il a fallu plus de 15 ans de bataille judiciaire acharnée, menée par les victimes et les organisations qui les accompagnent, au nom de la lutte contre l'impunité, de décisions en ajournement, d'arrêts en appel, d'appels en renvoi, jusqu'à ce que finalement le Sénégal, en accord avec l'Union africaine, se décide à mettre en place les Chambres africaines extraordinaires inaugurées en février 2013. Pour le procès en lui-même, l'instruction a duré 19 mois. Les juges ont effectué quatre commissions rogatoires au Tchad, auditionné environ 2500 témoins et victimes et surtout exploité les archives de la DDS, la police politique de Hissène Habré. C'est de force que l'ancien dictateur tchadien Hissène Habré a été amené dans le box des accusés pour rendre compte de ses crimes. Il a toujours refusé de reconnaître le tribunal et a gardé le silence pendant les auditions. Les débats ont commencé peu après 10h (locales et GMT), après l'évacuation, par les gendarmes, de partisans de l'accusé, qui ont hurlé des slogans hostiles à la Cour. Le président du tribunal, le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, a constaté à l'ouverture du procès que la défense n'était «pas représentée», avant de poursuivre la séance. L'accusé «ne reconnaît pas cette juridiction, ni dans sa légalité, ni dans sa légitimité», selon un de ses avocats, maître Ibrahima Diawara. Le procureur général des CAE, le Sénégalais Mbacké Fall, a rendu hommage aux survivants «qui ont eu le mérite de porter et de poursuivre le combat contre l'impunité». «Le chemin parcouru pour arriver devant ce prétoire a été long», mais le travail de la cour «n'est point un acharnement contre la personne de l'accusé», a-t-il assuré. Ce procès inédit doit aussi permettre au continent, où la Cour pénale internationale (CPI) est fréquemment accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains, de montrer l'exemple. «L'Afrique doit donner la preuve qu'elle est capable de juger ses propres enfants pour que d'autres ne le fassent pas à sa place», a souligné hier le porte-parole des CAE, Marcel Mendy. «C'est la première fois au monde – pas seulement en Afrique – que les tribunaux d'un pays, le Sénégal, jugent l'ancien président d'un autre pays, le Tchad, pour des violations présumées des droits de l'homme», a souligné de son côté Reed Brody, cheville ouvrière de cette procédure au sein de Human Rights Watch (HRW). Plus de 4000 victimes «directes ou indirectes» se sont constituées partie civile pour ce procès inédit. Le tribunal spécial a prévu d'entendre 100 témoins. Afin de permettre au plus grand nombre de suivre les audiences, elles seront filmées puis diffusées en léger différé. Les audiences sont prévues jusqu'au 22 octobre. En cas de condamnation, Hissène Habré, qui encourt entre 30 ans de prison ferme et les travaux forcés à perpétuité, pourra purger sa peine au Sénégal ou dans un autre pays membre de l'UA.