Les jeunes marins pêcheurs de Stora reviennent sur la précarité d'un métier hérité pourtant de père en fils. Rencontrés sur les quais du port de pêche de Stora, à trois kilomètres à l'ouest de Skikda, quatorze jeunes marins pêcheurs ne cachent pas leur désillusion. Ni leur colère d'ailleurs. «On a passé 12 heures en mer. Voici le butin de toute une nuit d'effort : on n'a rempli que 70 casiers d'anchois. On en a vendu 40 à un prix des plus dérisoires et il nous reste 30 casiers qu'on ne voudrait pas brader au profit des mareyeurs quitte à les rejeter à la mer» lance un des jeunes marins de Stora comme pour ouvrir les hostilités. Un autre enchaine «Ecoutez, il faut que les gens sachent que si les prix excessifs affichés sur les étals des poissonniers de Skikda ne nous incombent en rien. On dit comme ça que «el haouwatarebhou» (les pêcheurs se sont enrichis) sans connaître la vérité. Les gens ignorent que nous sommes le maillon le plus pauvre de la chaine. Nous tous ici, on n'a gagné au courant de cette semaine que 3000 DA. Il y a parmi nous des pères de familles et ce n'est pas avec cette petite monnaie qu'on pourra vivre» Les jeunes marins parlent un langage direct, sévère, et des fois, passionné. Quand ils s'expriment, on décèle facilement une grande rancœur dans leurs mots et dans leur gestuelle aussi. Pour vous convaincre du bienfondé de leur désillusion, ils vont jusqu'à étaler devant vous des exemples simples et concrets. «Savez-vous que le prix au kilogramme des anchois vendus en ce début de semaine à Skikda variait entre 250 et 350 DA ? C'est très cher payé pour ne pas dire excessif, oui c'est vrai. Mais savez-vous à combien on l'a vendu nous, ici, sur ce quai aux mareyeurs ? Je vais vous le dire ; le casier de 24 Kg d'anchois a été vendu ici au port à 1200 DA, c'est-à-dire 50 DA le kilogramme. Le prix des anchois a donc plus que quintuplé lors de son parcours de Stora au marché couvert de Skikda. En parcourant 03 kilomètres de routes, le prix s'est comme envolé. Ce qu'on vous dit à propos des anchois est valable pour les autres variétés de poisson. On n'y est pour rien, voilà la réalité qu'il faut dire aux gens» Le plus vieux port de Skikda sans…pêcherie ! Encouragés, les uns par les autres, les jeunes storasiens vident leurs sacs. D'autres vont encore plus loin «Comment expliquez-vous qu'un port des plus anciens du pays (le port de Stora date de la période phénicienne-ndlr-) n'a toujours pas une pêcherie. C'est voulu pour que les mareyeurs continuent à dicter leurs lois en jouant avec les prix. Les seuls qui payent les frais de cette situation sont nous et les consommateurs» Les jeunes marins pêcheurs de Stora reviennent sur la précarité d'un métier hérité pourtant de père en fils. Comme pour clore le chapitre de leur colère, ils expliquent qu'ils arrivent à peine à survivre dans un monde des plus durs en cotisant pour disposer de l'extrait de rôle et même pour les frais du gasoil. «Notre part du bénéfice, si bénéfice il y a, n'est en fait que des miettes. Le plus gros de l'argent va ailleurs» concluent-ils. Approché, Sellai Omar, membre de l'association des marins pêcheurs et président de la chambre de pêche de Skikda n'est pas allé par quatre chemins pour évoquer la réalité de la vie des marins pêcheurs locaux. «C'est vrai qu'une régulation de la profession est plus que nécessaire. C'est vrai aussi que ce port ne dispose que d'une seule glacière alors que Sétif, dans les hauts plateaux, abrite plus de 04 glacières. Même Constantine en dispose de plus de glacières que Skikda. La solution préconisée pour mettre fin à ce dérèglement de la profession qui se répercute sur les gens de la mer et sur le consommateur est de construire enfin une pêcherie à Stora. Les choses ont trop tardé. Un projet de pêcherie avait pourtant bel et bien été initié lors de l'aménagement de la Marina, mais depuis, on n'en a plus parlé. Nous demeurons certains que l'avènement de cette pêcherie aura à mettre fin à toutes les spéculations et permettra aux marins pêcheurs d'exercer leur métier dans de conditions». En attendant des jours meilleurs, les marins de Stora auront encore à voguer chaque nuit pour gagner quelques…arêtes !