Ce premier trimestre encore, les élèves du Sud payent la politique hyper-centralisée d'Alger. Les syndicalistes et les parents d'élèves proposent à partir du 15 octobre des solutions très concrètes pour enrayer la spirale des retards pédagogiques qui s'accumulent d'année en année. Plus de 680 000 enfants sont concernés. Mi-octobre, c'est avec sa gourde à l'épaule que Manal se rend à l'école. Elle essuie d'un revers de la main son visage rougi dégoulinant de sueur. Elle regrette de ne pas avoir apporté sa casquette. «Il ne faut pas l'oublier à 13h, là ce sera impardonnable !» Après le goûter froid servi dans la cour, les enfants se désaltèrent et se rincent le visage avant de quitter l'école pour le repas de midi. La plupart portent encore des tenues légères, des sandales et des claquettes, même si l'enseignante le réprouve. Ils doivent parcourir sous un soleil ardent le chemin qui les ramènera chez eux puis revenir deux heures plus tard pour ne ressortir qu'à 16h. C'est la période la plus chaude de la journée. «Il y a deux semaines, Sayidati nous a annoncé que les cours de l'après-midi reprenaient. En septembre, quand il faisait encore chaud, elle n'osait pas nous demander de revenir», confie Manal. Canicule oblige, les trois quarts des établissements scolaires des wilayas du Sud viennent à peine de passer au rythme scolaire «normal» en réintroduisant les cours de l'après-midi. Depuis la rentrée scolaire du 6 septembre dernier, seulement 15 à 20% des collèges et lycées des wilayas sahariennes ouvraient leurs portes l'après-midi. «Les écoles primaires ont, quant à elle, systématiquement eu recours à la vacation unique du matin jusqu'au lendemain de l'Aïd El Kebir», constate le bureau régional du Sud-Est du Syndicat national autonome des professeurs d'enseignement secondaire et technique (Snapest). Cette situation concerne les 683 000 élèves scolarisés à travers la région, d'après les statistiques du ministère de l'Education nationale. Retards Abdellatif Rahmani, PES de physique et coordinateur régional du bureau Sud-Est du Snapest est catégorique : «Chaque année, les élèves perdent au moins quatre semaines de cours à cause de la rentrée précoce qui débute en pleine canicule. L'automne dans le Sahara commence à partir de la mi-octobre.» Pour lui, ce retard, qui se répercute aussi bien sur la santé que sur les résultats scolaires, est irrattrapable. «Nous sommes les derniers au classement national et nous le resterons pour longtemps parce que nos écoles et notre rythme scolaires sont inadaptés à la réalité du Sud». Amar Maameri brandit un rapport transmis au ministère de l'Education trois ans plus tôt. Le président de la Fédération des associations des parents d'élèves de la wilaya de Ouargla voit dans cette situation «une double sanction, résultat de politiques centralisées et d'une méconnaissance de la donne climatique du Sud. Le ministère ne s'imagine même pas que ces classes de 12 m3» sont en fait des cabines de sudation !» Mètre cube ? «Oui, je compte en volume. Car scientifiquement parlant, deux climatiseurs ne peuvent pas refroidir une salle de 40 m2 comptant 40 élèves», précise-t-il, rétorquant que les Fédérations des parents d'élèves qui ont été de toutes les réunions dédiées à la réforme scolaire au niveau local, régional et national ont été déconcertées de voir que leur principale doléance, à savoir la révision des rythmes scolaires au Sud, n'a même pas été lue en plénière lors de la clôture de la conférence nationale d'Alger. «C'est comme si on voulait nous sacrifier encore une .» Insfrastructures Deux mois plus tard, à Ghardaïa, où elle effectuait une visite d'inspection et de travail, Nouria Benghebrit estimait que «l'échec scolaire n'est pas une fatalité», rappelant les efforts déployés par l'Etat en matière d'équipements scolaires et de renforcement des infrastructures éducatives. Mais là encore, le constat est mitigé. Malgré le fait que les wilayas du Sud ont effectivement réceptionné une multitude de nouvelles structures pédagogiques pour accroître les capacités d'accueil et réduire la surcharge des classes, notamment de dix nouveaux lycées, 5 collèges et 23 groupements scolaires à travers les wilayas de Ouargla, Ghardaïa, Adrar et Naâma voire même, fait inédit, la création de classes adaptées à la prise en charge des élèves présentant des difficultés d'assimilation à Tindouf, selon l'APS, des parents d'élèves ont dénoncé, le jour de la rentrée, des déficits majeurs à travers les établissements, dans les quartiers périphériques et les nouvelles zones d'expansion urbaine, mais aussi en plein centre-ville. «Au regard de l'état catastrophique dans lequel nous avons trouvé l'école Taleb Khemgani de la cité des 750 Logements, nous avons l'impression que cette rentrée scolaire 2015-2016 n'a pas été préparée», s'emporte Sihem Ounoughi, parent d'élève ayant participé au nettoyage de sa classe au lendemain de la rentrée. Même topo à N'gouca, à 20 km de Ouargla, où les élèves de l'école primaire de la cité de la Révolution ont manifesté trois jours durant à cause des débris, gravats et déchets qui ont rendu la cour impraticable et les classes et blocs sanitaires insalubres suite aux travaux de réhabilitation entrepris durant l'été. Chantiers Et là encore, la donne climatique est évoquée puisque les travaux en retard ont coïncidé avec le début de la saison des vents, en mars, et se sont poursuivis durant la période estivale qui a connu des pics vertigineux dépassant les 54°C à l'ombre cette année. Une réalité qui influe indubitablement sur les chantiers, la réalisation des projets et la vie quotidienne au Sud ponctuée de hausse saisonnière des températures. Il en résulte que le Sud devra attendre la rentrée prochaine pour que la donne climatique soit peut-être assimilée en tant que facteur pénalisant la vie pédagogique. Abdellatif Rahmani va plus loin : il estime dommageable que le ministère ne comptabilise que les retards enregistrés par les classes d'examen, alors que d'importants cours sautent chaque année en raison des difficultés à enseigner en pleine canicule. «Les années passent et les enseignant arrivent péniblement à combler les retards cumulés». Selon lui, d'importantes notions que l'élève doit capitaliser dans la construction de ses connaissances ne sont pas enseignées faute de temps et de conditions propices. «C'est ainsi que les résultats scolaires continuent leur dégringolade», souligne-t-il, non sans espérer que Nouria Benghebrit tiendra parole et appliquera sa promesse lancée au Snapest lors de la réunion de septembre. «Nous rapprocherons si possible la fin de l'année scolaire 2015/2016 et nous étudierons sérieusement vos revendications pour la rentrée prochaine». De nouvelles rencontres, bilatérales cette fois-ci, regrouperont les syndicats à la ministre le 15 octobre.