La loi de finances annuelle ou complémentaire est toujours la star des médias et des analystes. On y scrute et commente chaque ligne pour déceler des changements, des messages, des signaux d'espoir ou des indications que l'on va dans des directions peu souhaitables. Comme les humains sont des êtres subjectifs par essence, chacun l'analyse en fonction de sa position et de ses objectifs personnels. Il y a toujours des débats houleux sur les lois de finances au sein des différentes sphères. Une simple observation comparative permet de dire qu'il est rare que, dans le monde, une loi de finances soit aussi disséquée et décortiquée qu'elle l'est dans notre pays. Il est toujours encourageant de noter qu'un plan d'action du gouvernement soit discuté avec autant d'ardeur et de profondeur, pourvu que la version finale reflète les améliorations tirées des différentes contributions. En ce sens, l'attention qui lui est dévolue serait positive. Une loi des finances ne peut être analysée en vase clos, en fonction de ses propres objectifs. Elle est un instrument pour réaliser plusieurs buts. La loi de finances 2016 aurait pour mission d'introduire les mesures et les mécanismes de riposte aux problèmes de l'heure. En effet, de nombreux dispositifs sont conçus à cette fin. On ne peut pas détailler les mesures une à une et en décortiquer les forces, les faiblesses et ce qu'il convient de faire pour que des résultats probants puissent être atteints. Mais les messages qu'elles véhiculent sont clairs : il y a des points de rupture très importants à introduire en vue de résister et de continuer le processus de développement. Les dispositions qu'elle recèle Les objectifs à court terme paraissent clairs : introduire plus de rationalité dans l'utilisation des ressources par les agents économiques, tout en veillant à ce que les couches les plus défavorisées soient les plus protégées possible. En effet, il y a comme un consensus des acteurs économiques sur deux points : rationaliser l'utilisation des ressources et aider uniquement les couches défavorisées. Les traditions sociales nationales sont une source de stabilité politique et économique (les macroéconomistes savent que ce sont des processus contracycliques qui stabilisent l'économie). Nul ne préconise de démanteler maintenant et rapidement les mesures sociales sans les remplacer par des mécanismes opérationnels qui fonctionnent correctement. Les différentes subventions vont durer encore des années (au moins trois si on commence dès maintenant à financer les systèmes d'information dont nous avons besoin pour les améliorer).
Les augmentations des prélèvements sur les produits de luxe (kiwis, voitures de prestige...) reçoivent l'aval de la majorité de la population. Il faut que les couches aisées contribuent plus au développement et à la solidarité. Les Algériens reconnaissent le contexte géostratégique difficile du pays et ne veulent en aucun cas prendre des risques inutiles. Les augmentations «minimes» de certains produits comme l'électricité, le gasoil, etc. vont avoir des conséquences sur les bas revenus. Pour cela, il serait souhaitable que des discussions s'engagent afin d'en limiter la portée sur les couches les plus vulnérables. Nous sommes pénalisés par l'absence d'un système d'information qui identifie directement les personnes, les familles, les revenus, leurs habitations, etc. pour gérer notre économie. Tout comme le déficit en données fiables limite la portée des décisions de riposte.
L'investissement dans l'intangible, l'industrie du savoir, est l'une des plus rentable au monde. Un investissement d'un milliard dans un système d'information national fiable permet d'économiser au moins 19 milliards de dollars par an sur le système de subventions. Encore une fois, personne ne préconise de démanteler le présent système alors qu'aucun autre de meilleure facture ne fonctionne. On s'attendait à voir dans cette loi de finances le financement de projets de ce genre pour qu'en 2018, nous ayons un budget qui puisse réellement rationaliser les dépenses, les recettes et nous faire passer du stade de la gestion budgétaire par contrôle des dépenses à un système par objectifs, comme il en existe un peu partout dans le monde. Faut-il attendre la complémentaire pour voir les prémices de ces outils ? Et le long terme dans tout cela ? Le débat à l'APN va sûrement tourner autour des conséquences des mesures de relèvement des prix des produits qui vont immédiatement impacter les couches vulnérables ; l'augmentation des tarifs d'e lélectricité, du gasoil, etc. ne manqueront pas d'avoir des répercussions sur l'inflation et donc le niveau de vie des couches défavorisées. Si nous avions un système d'information national adéquat, il serait relativement aisé d'en éliminer les conséquences sur les citoyens vulnérables. En son absence, le débat sera intense sur la meilleure manière de dresser des systèmes de protection. Même les conséquences budgétaires seront imprécises si on ne dispose pas d'étude approfondie sur le mode de comportement des agents économiques dans notre pays (élasticités de la demande). On voit ici l'importance des industries de l'expertise et du savoir. Un investissement minime dans ce domaine aurait des conséquences éminemment positives à moyen et long termes sur l'ensemble des branches d'activité. Les concepteurs de la loi ont fait ce qu'ils ont pu en fonction de l'information et des outils dont ils disposaient. Le problème est là ! A l'impossible nul n'est tenu. On ne leur demande pas de faire sans les outils appropriés, mais nous devons commencer à financer ces derniers.
Nous voulons diversifier l'économie, donc développer l'agriculture, l'industrie, le tourisme et les services marchands. Nous voulons exporter, être compétitifs au niveau mondial et ramener le nombre de nos PME/PMI à un million et demi au lieu de 780 000. La réussite de ces ambitions nécessite toute une économie du savoir : industries spécialisées dans les Start-up, incubateurs, pépinières, fermes-pilotes, laboratoires d'innovation, de recherche et développement, entités de recyclage, d'intelligence économique, de qualité, d'exportation, de débureaucratisations de gestion des hôpitaux et des universités, de management bancaire, de gestion des projets, etc. Sans cela, il sera impossible de créer une économie émergente déconnectée des hydrocarbures.
Ces industries sont, pour le moment, embryonnaires. Il serait vain d'essayer de se développer sans elles. Certains se plaignent de la réduction des dépenses d'infrastructure de 18%. Normalement, on devrait les réduire de moitié et créer, avec les ressources libérées, ces industries du savoir qui nous manquent. On aurait alors inscrit la loi de finances 2016 dans la perspective stratégique «Algérie 2040». Mais là, c'est une toute autre problématique.