Tous les soirs depuis le 20 juillet, humoristes et chanteurs, et pas des moindres, se relaient chez Mani la Pêcherie. Ambiance assurée sur ce vaste espace faisant office de restaurant et jouxtant le port de pêche d'Oran. Il est fréquenté par des familles entières, car même les enfants ont leur espace réservé avec des jeux et des installations de loisirs. Sur la scène aménagée à l'occasion, le trio Bila Houdoud (BH) s'y produit régulièrement et des chanteurs de la trempe de Houari Benchenet ou Houria Baba répondent parfois à l'appel. Cette ambiance festive ne manque également pas de surprises, car le propriétaire des lieux reste aux petits soins avec ses clients qui viennent d'Oran, mais aussi d'ailleurs, notamment de l'étranger, c'est-à-dire des pays où est installée la communauté émigrée, telle la France qu'on désigne souvent par les villes (Paris, Lyon, Marseille, etc., tellement le nombre y est important ) et parfois d'Allemagne, d'Espagne ou de Belgique. Ce soir-là, une grand-mère, cumulant des dizaines d'années d'âge, a été traitée comme une reine, car elle célébrait son anniversaire. Le célèbre humoriste animateur, Houari Ftita, donne la réplique à Slimane Mokhtari, à Hadja Touha (humoriste déguisée en vieille dame) ou à l'imitateur Omar Bencherab, au grand bonheur des «convives» qui en redemandaient. On peut très bien ne pas s'étonner de voir surgir sur la scène Chafi Kada, président de l'association La Radieuse du quartier Maraval, en compagnie de Mustapha BH, mais c'est le maillot de l'équipe nationale de football portant les signatures des joueurs qui a représenté l'attraction des plus jeunes qui voulaient se prendre en photo avec. Les spectacles ne sont pas compris dans les prix des repas, car ils sont offerts gracieusement, tient-on à préciser. Comment cela est-il possible dans un lieu privé et quel en est le secret ? Le hasard fait bien les choses et cette histoire mérite d'être racontée. Mouna Mohamed n'avait que 17 ans vers 1997/1998 lorsqu'il a commencé à travailler dans ce restaurant de la Pêcherie, d'abord comme plongeur (juste auparavant il avait la tâche de couper le pain), puis comme cuisinier, lorsqu'il a appris les rudiments du métier. Très vite, il prend la gérance, mais il décide, à peine une année plus tard, de quitter la restauration et de se lancer dans le commerce des cosmétiques à Aïn El Türck, après avoir vendu sa voiture. «J'ai fait faillite et c'est l'échec qui m'a poussé à revenir à la restauration, mais cette fois pour de bon», indique-t-il, en précisant qu'il fallait néanmoins repartir à zéro. Simple employé, il ne touchait pas un bon salaire, mais sa détermination était à la hauteur de ses ambitions, car il a fini par reprendre la gérance et, au bout de 5 à 6 ans d'activité, il a loué le commerce sur proposition du propriétaire. Bosseur et sérieux dans le travail, il a décidé d'acheter lorsque l'occasion s'est présentée. «Il y avait quatre restaurants dans cet endroit et j'en ai acquis trois, le dernier il y a à peine 3 mois». Jusque-là rien d'extraordinaire, mais c'est après avoir croisé la route de Houari et Slimane Mokhtari, qui étaient en plein tournage, que la vie de Mouna Mohamed a basculé. Les réalisateurs de films vidéo qui sont légion à Oran ont l'habitude de solliciter des sponsors en se rendant dans divers commerces (pâtisseries, boulangeries, boucheries, etc.,) en proposant comme contrepartie une apparition parfois ostensible dans leurs films. C'est ce qui s'est passé à la Pêcherie, où le jeune Mohamed Mouna se voit offrir l'occasion de montrer ses talents d'«acteur» dans le film intitulé Ana oua mma. «J'ai joué un rôle et le but c'était la publicité, mais ma prestation leur a tellement plu qu'ils m'ont proposé d'ajouter des scènes», explique-t-il, et c'est ainsi que de fil en aiguille, même Mustapha BH, la vedette incontestée de ce genre de cinéma, vient le solliciter également. Bref, il entre dans le milieu artistique, ceci expliquant cela. «J'ai une grande amitié avec les artistes et lorsque l'idée nous est venue d'animer nos soirées, aucun d'eux n'a hésité et je les remercie», indique-t-il reconnaissant. Pour fêter l'ouverture du troisième restaurant annexé aux deux anciens, Mani a pensé à inviter les locataires de Dar Al Adjaza à qui il a offert un agréable après-midi. Peu à peu, l'organisation s'est affinée à tel point que, au-delà de la date du 2 septembre, marquant la fin de l'été et des animations chaque soir, il va faire appel à un professionnel pour aménager une scène dans les normes pour continuer à faire produire les artistes (notamment les jeunes chez qui on a décelé des dons particuliers) tout le long de l'année, mais avec une fréquence hebdomadaire. «Au départ, les clients croyaient que les spectacles étaient payants, mais ça n'a jamais été le cas, car pour moi l'argent ce n'est pas tout dans ma vie, et pour preuve, c'est incroyable le nombre de ‘‘daâwi lkhir'' (bénédictions) qu'on a reçues ici». Des initiatives à peu près similaires ont été prises dans des lieux beaucoup plus restreints (pizzerias) mais elles n'ont pas tenu longtemps. Etant propriétaire des lieux et entreprenant, l'affaire Mani, pour laquelle un trophée va être institué, a toutes les chances de se pérenniser, car on se projette dans l'avenir en pensant déjà à l'affluence des touristes étrangers attendus pour les Jeux méditerranéens 2021.