Conjuguée à la revendication identitaire berbère, cette célébration devient avec le temps un référent national qui unit tous les Algériens. Les Algériens célèbrent aujourd'hui le Nouvel An amazigh. «Tiwwura useggas» (les portes de l'année) marquent, depuis des millénaires, le début d'une année agraire que les habitants de l'Afrique du Nord espéraient féconde. Au fil des siècles, les citoyens de cette partie du globe continuent de célébrer, différemment, cette halte de l'année. Une date qui rappelle des temps anciens pour les uns, mais qui ne signifie qu'un dîner pour d'autres. Le fait est là : Yennayer ne laisse personne indifférent. Conjuguée à la revendication identitaire berbère, cette célébration devient avec le temps un référent national qui unit tous les Algériens. Une réalité qui se confirme avec plus de pertinence cette année. En cette année 2967 du calendrier berbère, un tabou — l'avant-dernier avant d'en faire une fête légale ? — tombe : les autorités politiques accompagnent, de la manière la plus officielle possible, les célébrations populaires de l'événement. Et pour donner un cachet encore plus solennel, le gouvernement fait placer la «fête» «sous le haut patronage du président de la République». Une nouvelle vitre qui se brise, même si les militants les plus irréductibles y voient une volonté du pouvoir de couper l'herbe sous le pied de ceux qui ont toujours exigé de voir cette date inscrite officiellement dans la liste des fêtes légales. Signe d'un regain d'intérêt politique à cet événement, toutes les institutions de la République y mettent leur grain de sel. Les médias, mais également les écoles et d'autres structures publiques chamboulent leurs programmes pour faire de Yennayer un événement. Une «prise en charge» qui intervient à un moment où tamazight est devenu «langue nationale et officielle» dans la Constitution amendée en février 2016. La langue de Mammeri est certes reléguée à un rôle subalterne de celui de l'arabe qui demeure «la langue de l'Etat», mais la symbolique est énorme : la décision, intervenue dans un contexte marqué par la remontée des extrémismes, notamment en Kabylie, vient satisfaire la revendication de plusieurs générations de militants de la cause identitaire. La surexposition de la célébration de Yennayer a forcément un impact sur la vie des Algériens. Plus que d'habitude, des citoyens de toutes les régions du pays font un effort pour que cette journée soit une fête. Preuve en est que sur les réseaux sociaux, on échange les vœux comme on le ferait pour l'arrivée du Nouvel An ou pour Moharram, le Nouvel An hégirien. Puis, les «aseggas ameggaz» se prononcent désormais dans tous les accents du pays. La célébration de Yennayer de cette année tranche avec des pratiques connues des Algériens depuis des décennies. Du déni identitaire qui a marqué l'Algérie depuis son indépendance, on est passé à une autre période où la reconnaissance de la langue et l'identité amazighes est — presque — devenue l'affaire de tous. Cela se fait souvent, chez le pouvoir, avec des a priori politiques. Mais cela a le mérite de remettre les choses dans leur cours naturel. Il ne reste aux autorités qu'à passer à l'étape suivante, à savoir faire de Yennayer une fête légale, donc chômée et payée pour tous les Algériens. D'ici là, Aseggas ameggaz à toutes et à tous !