Surprise de la présidentielle de 2014, Abdelaziz Belaïd attend beaucoup de ces législatives pour ancrer le Front El Moustakbal dans le paysage politique national. - Quelle analyse faites-vous de la situation politique, au moment où débute la campagne des législatives ? Nous vivons le statu quo, caractérisé par une absence de débat politique qui empêche toute convergence de vue sur la situation actuelle. Et ce ne sont pas les assurances données par ce gouvernement sur la maîtrise supposée de la situation économique qui rassure les Algériens, car la réalité est tout autre. Nous avons un taux de chômage galopant, une inflation qui s'envole et un front social au bord de l'explosion. Face à cette situation, aucun Algérien n'est en mesure de prévoir ce qui nous attend et nous en sommes réduits à nous en remettre à Dieu pour protéger le pays et éviter l'irréparable. Et comme l'affirment les Algériens «Rabi yester». C'est pour cela que je dis que ces législatives sont la dernière chance pour tenter de remettre le train sur les bons rails. Pour cela, il faudrait qu'elles soient libres et transparentes pour permettre un débat serein à l'APN et aboutir à un accord entre tous les partis. - Craignez-vous une explosion sociale ? Oui. Tout le monde craint que les choses ne dérapent, même ceux qui se veulent rassurants et affirment que la situation est sous contrôle. Cette crainte est réelle, face à l'absence de stratégie pour apaiser les choses. Face à la crise économique que nous traversons, ce pouvoir aurait dû au moins entamer des discussions avec tous les partis et lancer un débat national. Il ne l'a pas fait. Il s'est isolé et n'a aujourd'hui la confiance ni des partis politiques ni de la population pour gérer la situation. Quand un peuple n'a plus d'espoir, les pires scénarios sont envisageables… - Etes-vous favorable à la formation d'un gouvernement d'union nationale après les législatives ? Nous en reparlerons après le scrutin, d'autant que je suis convaincu qu'aucun parti n'aura la majorité absolue, car vu la situation du pays, je doute que les électeurs accordent la majorité à un parti politique. Ma grande crainte demeure l'abstention. Les Algériens ont le sentiment que les choses sont jouées d'avance et que leurs voix n'ont aucun poids et cette conviction est renforcée par les déclarations de certains leaders politiques qui annoncent le taux de participation ou le nombre de députés élus, avant même le début du scrutin. Ces déclarations font mal au processus démocratiques et renforcent l'idée d'arrangement et de quotas accordés par le régime aux partis. Le vote est la seule arme que détiennent les citoyens pour se faire entendre et faire bouger les choses ; si elle leur est confisquée, ils jugeront inutiles d'aller aux urnes le 4 mai. - Aujourd'hui, les abstentionnistes sont le premier parti en Algérie ? Oui. Incontestablement, ils constituent la première force politique du pays, avec ceux qui votent blanc et qui ont été plus d'un million lors des dernières élections. Le plus incroyable est l'attitude du pouvoir qui ne fait rien pour changer les choses ; par contre, il s'en prend à ceux qui appellent au boycott. L'abstentionnisme en Algérie est lié à plusieurs facteurs, dont celui de la perception qu'ont les Algériens du rôle et des missions de l'Assemblée populaire nationale. Pour mettre fin à ce désintérêt, il faut commencer par faire en sorte que la future APN soit une légitimité réelle et ne soit plus une structure préfabriquée par l'Etat. C'est la condition sine qua non pour amener les Algériens à aller voter. Il faut changer la perception négative sur les élus et mettre en valeur leur travail. L'Etat porte une lourde part de responsabilité dans ce désintérêt des citoyens pour les élections. - Avec combien de listes le parti El Moustakbal se présentera pour ces législatives, alors que dans un premier temps vous en annonciez 52 ? Effectivement, nous avons déposé des listes dans 52 circonscriptions, certaines d'entre elles ont été rejetées par l'administration, et nous avons dû recourir à la justice pour en sauver certaines. Par conséquent, nous serons présents dans 48 wilayas… - Vous semblez accuser l'administration de partialité... Dans chaque wilaya, l'administration gère comme elle le veut et comme elle l'entend les listes des partis politiques. L'exemple le plus frappant est celui vécu par notre tête de liste à Adrar, qui a été éliminé par l'administration alors qu'il est député sortant avec trois mandats à son actif (deux mandats en tant qu'indépendant et un sous les couleurs du Front El Moustakbal), il est également membre du bureau national du parti et sa candidature a été rejetée par le wali sous le prétexte qu'il a une «surcharge sur sa nationalité » - Quels sont vos objectifs pour ces élections, sachant qu'en 2012 vous avez obtenu deux sièges à l'APN ? Le dernier mot revient au peuple. En outre, je ne peux m'avancer, car nous ne sommes pas en possession des données relatives à la mobilisation des électeurs dans les wilayas. A notre niveau, nous estimons avoir fait le maximum pour les pousser à aller voter en faveur d'El Moustakbal. Pour cela, nous avons élaboré un projet performant et mis à la tête des listes des personnalités compétentes et intègres. Le parti est implanté dans toutes les wilayas et présent dans pratiquement toutes les communes au niveau national. Nous avons durant ces cinq dernières années mis l'accent sur la consolidation du parti au niveau organique. Par ailleurs, lors des présidentielles de 2014, beaucoup d'Algériens nous ont apporté leurs voix (Abdelaziz Belaïd a terminé 3e lors de la présidentielle de 2014 avec plus de 3% des voix, ndlr), et nous avons bon espoir de voir un grand nombre de citoyens voter pour les listes 43, le 4 mai. - Qu'est-ce qui a changé pour votre parti après la présidentielle de 2014 ? Nous avons été rejoints par de très nombreux militants, attirés par notre programme et notre gestion démocratique des structures du parti. A titre indicatif, 90% de nos listes pour ces législatives ont été élaborées par la base et ce fonctionnement transparent plaît et détonne avec les méthodes des autres formations politiques. Nous voulons que ceux qui nous rejoignent soient convaincus par notre programme et notre gestion interne. On se rend compte du chemin parcouru depuis 2012 où nous n'étions présents que dans un petit nombre de wilayas. Après la présidentielle, les choses ont pris une autre tournure et nous avons connu un boom extraordinaire qui nous a permis de développer les structures du parti et d'installer une organisation efficiente qui nous permet de mieux aborder ces législatives. - Faites-vous confiance à la Haute instance indépendante de surveillance des élections (HIISE) pour garantir un scrutin transparent ? Nous avions demandé, lors de la création du parti en 2012, la mise en place d'une commission nationale indépendante, chargée de l'organisation des élections et à qui reviendrait le soin d'annoncer les résultats du scrutin. Une commission indépendante doit être élective, alors que celle qui a été installée l'a été par le système. C'est le cas des membres de cette commission nationale, désignés par l'administration. Pour répondre à votre question, je dirai que si l'installation de cette commission est un premier pas positif, nous resterons vigilants et jugerons sur pièce son travail et son indépendance, d'autant que ce scrutin est capital pour l'avenir du pays. - Lors d'une rencontre avec les ambassadeurs des pays membres de l'Union européenne à Alger, Abdelwahab Derbal a affirmé que les Algériens votaient «naturellement et utilement pour le parti du FLN». Estimez-vous que cette déclaration remet en cause sa neutralité ? Je n'ai pas entendu sa déclaration, mais s'il a vraiment tenu de tels propos, cela confirme nos doutes et nos craintes. Je rappelle que même le chef de gouvernement et les ministres n'ont pas le droit de faire campagne lors de leurs visites de travail, pour des (leurs) formations politiques. - Ne trouvez-vous pas regrettable que des ministres candidats utilisent les moyens de l'Etat pour faire campagne ? Oui, car j'estime que ces agissements sont contraires à l'éthique et portent un coup au respect que l'on doit avoir pour l'institution et le peuple. Une élection est une compétition ouverte entre tous les partis et de ce fait les règles du jeu doivent être les mêmes pour tous. Il revient au peuple de trancher et de désigner le vainqueur. - Le ministre de la Communication a demandé aux chaînes de télévision d'interdire d'antenne ceux qui appellent au boycott. Partagez-vous cette décision ? Dans une démocratie, les partis politiques qui appellent au boycott ont le droit, comme les autres partis, de défendre leurs positions politiques sur les plateaux de télé. Je veux qu'on puisse débattre et confronter les idées et les programmes dans la sérénité et le respect. Les médias doivent permettre à toutes les formations politiques de défendre leurs positions et leurs programmes, afin d'enrichir le débat. Comme je le dis toujours, le peuple est le véritable arbitre d'une élection. - Vous vous attendez à une reconfiguration du paysage politique à deux ans des présidentielles... Je ne saurais le dire, tant que le flou qui entoure le jeu démocratique n'est pas dissipé. Je reste persuadé que si ce scrutin se déroule dans une totale transparence, aucun parti n'obtiendra la majorité le 4 mai. Malheureusement, le risque existe de vouloir rééditer une APN qui soit copie conforme de la précédente. - Que comptez-vous faire si au lendemain du scrutin vous aurez la conviction qu'il y a eu fraude ? Nous aviserons le moment venu, après la réunion de notre bureau national, qui rendra publique la position du parti.