Plusieurs journalistes du quotidien turc Cumhuriyet (République), farouche critique du président, Recep Tayyip Erdogan, ont rejeté hier les accusations d'activités «terroristes» pesant contre eux, lors d'un procès qui cristallise les inquiétudes liées à la liberté de la presse en Turquie. Pour les défenseurs des droits de l'homme, cette affaire est emblématique de l'érosion des libertés depuis le putsch manqué du 15 juillet 2016, suivi de purges massives qui ont frappé les milieux critiques, des élus prokurdes, des médias et des ONG. Au total, 17 journalistes, dirigeants et autres collaborateurs actuels ou passés de Cumhuriyet, un quotidien fondé en 1924, sont accusés notamment d'avoir aidé diverses «organisations terroristes armées». Ils risquent jusqu'à 43 ans de prison. Mais Cumhuriyet, l'un des plus anciens journaux turcs, qui s'est forgé une solide réputation à force de scoops embarrassants pour le pouvoir, dénonce un procès politique visant à abattre l'un des derniers organes de presse indépendants du pays. «Cumhuriyet n'a ni relation, ni contact, ni de liens avec des organisations interdites, le terrorisme, des groupes terroristes. La seule activité que mène ce journal, c'est du journalisme», a déclaré au tribunal son patron Akin Atalay, qui fait partie des accusés. Comme un symbole, l'ouverture de ce procès coïncide avec la Journée de la presse en Turquie, célébrant la levée en 1908 de la censure officielle qui existait sous l'Empire ottoman. Certains des plus grands noms du journalisme turc étaient jugés hier, comme le chroniqueur francophone Kadri Gürsel, le journaliste d'investigation Ahmet Sik ou encore le féroce caricaturiste Musa Kart, sans oublier le rédacteur en chef, Murat Sabuncu. Parmi les accusés, 11 sont en détention préventive, la plupart depuis près de neuf mois. Les collaborateurs de Cumhuriyet sont accusés d'avoir aidé une ou plusieurs «organisations terroristes», selon l'acte d'accusation, qui cite les séparatistes kurdes du PKK, un groupuscule d'extrême gauche appelé DHKP-C et le mouvement du prédicateur exilé aux Etats-Unis Fethullah Gülen, désigné par Ankara comme le cerveau de la tentative de putsch, ce que celui-ci dément catégoriquement. Selon le site P24, spécialisé dans la liberté de la presse, 167 journalistes sont détenus en Turquie, dont la majorité dans le cadre de l'état d'urgence décrété après la tentative de putsch.