Que le premier pèlerinage du magicien Zinedine Zidane, en terre de ses parents suscite commentaires et enchaînements de mots et d'images est tout à fait normal. A Alger comme à Paris. Que ce grand retour ait donné lieu à des scènes enivrantes de délire de la part de ces milliers de jeunes Algériens qui réclament en « live », cette fois, leur « part » de Zizou est également compréhensible. Ce qui ne l'est pas moins, ce sont ces commentaires à la limite de la correction de certains médias de l'Hexagone qui voulaient jouer les trouble-fêtes. Les rabat- joie. Et dans ce registre, Libération, connu pour ses titres caustiques et géniaux, a lancé un hasardeux : « Zidane Boutefliké ». La dimension humanitaire du voyage de Zinedine en Algérie s'en trouve ainsi réduite à un prétendu soutien à la politique du président Bouteflika. Au-delà du fait que Libé commet un parallèle tiré par les cheveux, c'est dans le même temps une insulte gratuite à un homme au grand cœur que la politique n'a jamais pu détourner dans sa marche inébranlable sur les chemins de la gloire. Porter à Zidane l'estampille de « pro-Bouteflika » est, en effet, un raccourci que rien ne justifie sinon que Libé possède ce réflexe caractéristique qui consiste à atteler les bonheurs et les malheurs - c'est selon - de l'Algérie à la nature de son régime. « Le premier voyage en Algérie depuis vingt ans de la star du foot, icône de la jeunesse locale, tourne à la visite d'Etat confisquée par le Président... ». Pourtant, Bouteflika a attendu le troisième jour pour le recevoir… Si ce célèbre journal s'est limité à dénoncer la politique de Bouteflika, cela n'aurait ému personne, tant Libé est dans son rôle et que le Président est brocardé ici-même en Algérie. De là à lui contester le droit de recevoir une star de la trempe de Zizou, venue aider ses « concitoyens », le propos paraît un peu déplacé. Et si Bouteflika avait agi autrement ? On aurait sans doute glosé sur un président arrogant qui n'aurait pas eu la correction de recevoir une icône mondiale qui plus est, est d'origine algérienne… Mais dans un cas comme dans l'autre, les commentaires semblaient fin prêts pour être servis chauds. Si à gauche, Libé a sorti son artillerie lourde sous la plume de l'inévitable José Garçon, à droite, c'est Le Figaro qui s'est chargé de porter le coup d'estoc. La visite de Zidane ne serait donc qu'une « opération de charme » à travers laquelle Bouteflika vise un double objectif : « Disputer à son ami Chirac la citoyenneté de la star mondiale, et empêcher les Kabyles d'en faire un porte-drapeau de leur contestation permanente… » S'il n'est pas interdit de prêter au Président des calculs politiques qui consistent à tenter de tirer des dividendes de ce crochet algérois de Zizou, il n'est pas non plus permis de rouler Zidane dans une farine qui servirait la cuisine interne de Bouteflika. En l'occurrence, la superstar du foot est définitivement française de nationalité comme elle est tout autant algérienne de cœur. Pourquoi donc aucun Algérien, pas plus que la presse française d'ailleurs, n'a trouvé à redire quand Chirac a reçu Zidane et sa femme au lendemain de sa victoire en Coupe du monde en 1998 ? Il a fallu que Bouteflika le reçoive pour que l'on crie à la manipulation et à la récup. Hier encore, la vedette a été reçue loin des projecteurs à l'ambassade de France à Alger. Va-t-on donc lire les mêmes commentaires dans la presse française d'aujourd'hui ? Pas moins sûr. Les Algériens, Bouteflika compris, n'ont finalement fait qu'exprimer la reconnaissance d'un pays à l'un de ses enfants qui les a fait rêver et a boosté leur fierté par le seul fait qu'il soit de leur « bled ». Aussi ? Mettre sur les frêles épaules de Zizou le règlement du lourd dossier de la contestation kabyle est quelque part une insulte à sa nature d'homme réservé et politiquement très incorrect. Tout compte fait, la présence « négative » de Zidane en Algérie, vue de Paris, a ceci de positif : de montrer qu'un aussi grand génie du foot peut réussir à rapprocher deux peuples autour de son image et son héritage, contrairement aux politiques qui se regardent en chiens de faïence. La preuve ? Zidane a été fait chevalier de la Légion d'honneur en France, et décoré de l'Ordre du mérite national en Algérie. Un vrai « Francalgérien », un bel exemple de refondation.