Quoi de commun entre le raï et le raga ? Rien, mais tout de même deux films, l'un égyptien et l'autre indien, qui ont rempli les salles du festival du Caire et qui rivalisent dans leur bande-son soit avec des tubes de Khaled et cheb Mami, soit des chants classiques. Aujourd'hui, elles sont rares dans la sphère indienne. Le film de Mounir Radi intitulé justement Sharit Hindi (film indien) et interprété par une bête de scène Ahmed Adam fait continuellement référence à la musique algérienne, puisque, tous les quarts d'heure, Adam s'empare d'autorité du micro et chante et danse sur des rythmes raï dont il semble avoir une large connaissance. Le film, par ailleurs, est dans le pur style des comédies à l'égyptienne, casting spectaculaire, future épouse éplorée, inspiration loufoque. Le film indien produit à Madras, intitulé Morning Raga, réalisation de Mahesh Dattami, est joué par une grande actrice unanimement admirée en Inde : Shabana Azmi. Actrice par ailleurs aussi dans les œuvres des plus grands metteurs en scène : Satyajit Ray, Mrinal Sen, Ghontam Ghosh, Syam Bénégal. Dans Morning Raga, Shabana Azmi est fascinante, elle a quelque chose de fort, d'unique dès qu'elle apparaît à l'écran et qu'elle chante les ragas du matin. Asma El Bakri, autre professionnel du cinéma égyptien et qui a déjà tourné Mendiants et orgueilleux, a adapté un autre roman d'Albert Cossery : Violence et Dérision. Liberté de ton C'est un film d'inspiration nettement politique. Asma El Bakri n'hésite pas à mettre en scène un groupe de révolutionnaires qui cherchent à se débarrasser du gouverneur d'Alexandrie et de la clique des personnages corrompus qui l'entoure. Le choix est entre la violence et la dérision : jeter une bombe sur sa voiture ou le ridiculiser avec des posters collés aux murs. La question touche à l'essence de tout acte révolutionnaire. Finalement, un radical, dissident du groupe, lance une bombe et tue le gouverneur. La mise en scène est d'une rare efficacité et Asma El Bakri ne craint apparemment pas que son film soit interdit en Egypte. Tourné à Paris, le film d'Ines El Degheidi a provoqué des remous à cause de sa singulière liberté de ton. Il s'agit de Al Bahethat an Al Hourya (Filles à la recherche de liberté). Tandis que Anta omri, de Khaled Youcef, d'inspiration beaucoup plus sage, a été essentiellement bien reçu. Au Caire, la lumière du matin est voilée par le brouillard. Un vent léger fait claquer les drapeaux des pays participant au festival du film. Les voitures s'emparent très tôt de la rue formant des bouchons interminables. Il y a quelques jours, des masses de criquets pélerins tournoyaient au-dessus du Nil. Mais l'alerte est passée. Dans les mosquées, on a prié pour que l'Egypte soit épargnée. Beaucoup ont dit ici, que c'est une malédiction divine, le courroux de Dieu, parce que les Egyptiens ont délaissé leur religion. L'invasion des criquets a réveillé des craintes ancestrales. Vers midi, le brouillard se dissipe, le soleil fait son apparition et les gens sont de bien meilleure humeur. Combien de temps faut-il pour aller du Grand Hyatt Cairo où sont logés les invités du festival à l'Opéra House de l'autre côté du Nil ? A pied, c'est plus vite qu'en voiture, en longeant la corniche et en prenant le pont face au Sémiramis. Tout le long du chemin, on voit que le Caire comme par miracle, est devenu une cité très propre, quasiment nickel. Des légions d'hommes partout brandissent leur balai et balaient le moindre détritus sur les trottoirs. On a équipé la corniche de bancs où les amoureux se parlent sans faire le moindre mouvement. Près de l'Opéra, un fleuriste a érigé une montagne de roses blanches, rouges, pourpres... En arrivant à l'Opéra, on tombe sur une affiche d'un concert récent d'Enrico Macias ! Invité par une ONG du Zamalek, le troubadour constantinois a chanté Y'a rayeh sur la grande scène et interprété des airs andalous. Ya rayeh Il paraît que le chanteur a réservé la recette de ses concerts à l'hôpital Abou Rich qui soigne les enfants cancéreux Les projections de films à l'Opéra ont quelque chose de très rythmé. Le matin, la salle est quasiment vide. La projection de 11h est un peu plus animée, et même quasiment pleine pour le film d'Asma El Bakri (première nationale). C'est l'après-midi que les « noqad » (les critiques) fort nombreux au Caire. arrivent en vagues successives avec leur mine sérieuse et leur pull-over coloré. La présence d'au moins les plus célèbres d'entre eux est requise pour présenter les cinéastes et leurs films et pour mener les débats après chaque projection. Ces débats sont parfois un aimable chaos. Les questions sont incohérentes. En guise d'explication, le cinéaste se croit obligé de refaire la genèse de son film du début à la fin. Et parfois la question qui s'adresse à un cinéaste tunisien concerne en réalité un cinéaste algérien. On confond les films. En général, cependant, on a l'élégance de s'arrêter à temps pour laisser la place à la séance suivante. On prie chaque fois pour que la projection se passe bien. Comme on prie contre la menace des criquets pèlerins.