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« Je me suis appropriée l'histoire de la Révolution algérienne à travers la personne de Serge Michel »
Interface - Marie-Joëlle Rupp Auteur du livre « Serge Michel, un libertaire dans la décolonisation »
Publié dans Horizons le 01 - 10 - 2012

Dans votre ouvrage « Serge Michel, un libertaire dans la décolonisation », vous réhabilitez le parcours militant de votre père et une page inconnue de la Révolution algérienne dont il a été un des acteurs. On remarque que revenir sur le passé de celui-ci demeure une ressource précieuse pour vous...
Le passé de mon père dans sa dimension militante et politiquement engagée m'a été révélé lors de notre rencontre en 1997. Ce fut alors comme si un rideau se déchirait. Mon histoire collective liée à la Révolution algérienne et à la guerre de libération subitement s'imposait car mon entourage, tant familial que sociétal, demeurait plutôt discret à ce sujet. Il fallait comprendre, savoir. Comprendre d'abord ce qui l'avait poussé à tout quitter dès ma naissance pour ce pays qui, alors, m'était inconnu. Quel pays, quelle cause valaient que l'on quitte mère, père, compagne, enfant ? Voilà quel fut le moteur de ma recherche initiale. Après le choc de la rencontre, vint celui des obsèques officielles de Serge Michel, ancien moudjahid, à El Alia en juin 1997. Rencontre avec l'Histoire encore, rencontre avec ce peuple qui lui ressemble tant. Même magma en fusion, même capacité à rejaillir, à se régénérer. A travers son parcours que j'ai tenté tant bien que mal de reconstituer, j'ai pris conscience de cette histoire collective qui me constitue quasi génétiquement. J'ai interrogé l'Histoire de la guerre de libération et au-delà, celle de l'Algérie coloniale, pour démonter les ressorts psychologiques, philosophiques et sociaux de l'engagement en faveur des peuples colonisés, les ressorts du don révolutionnaire.
Pensez-vous que la grande force de l'écriture c'est ouvrir un espace à la parole et au point de vue informatif ? Et c'est en cela le livre sur Serge Michel ...
En choisissant l'essai biographique comme point de départ d'un questionnement sur l'engagement anti colonialiste, je vise à mettre à la portée de tous une histoire complexe avec ses enjeux et ses paradoxes. A l'image d'ailleurs de mon propre cheminement, puisque ignorante au départ, je me suis appropriée l'histoire de la Révolution algérienne à travers la personne de Serge Michel. J'ai suivi la même démarche dans mes autres essais biographiques, ceux consacrés au chanteur, déserteur Claude Vinci, au précurseur de l'anticolonialisme Paul Vigné d'Octon, puis Théodore Monod. Et l'écriture ici est bien un échange puisqu'elle se prolonge par des rencontres d'acteurs et témoins de la guerre de libération et des débuts de l'Algérie indépendante. Ainsi, au Sila notamment, j'ai eu le bonheur de rencontrer des anciens d'« Alger ce soir », le quotidien d'information fondé par Mohamed Boudia et Serge Michel en 1964, et d'anciens stagiaires des formations au journalisme organisées par mon père en 63. Le livre devient alors un média susceptible d'évoluer et nourri de la parole de ces témoins. Notez que cet espace de parole dont vous parlez est aussi constitutif de ma démarche d'écriture, puisque l'élaboration de mon essai biographique, outre la matière première (livres et articles de presse de Serge Michel, mémoires et ouvrages historiques de fond) s'est nourri de dizaines et de dizaines d'entretiens avec des témoins de premier plan.
Vous affirmez continuer le travail de Serge Michel, est-ce une manière de renouer avec lui par le biais de l'écriture et cela suppose de son chemin de lutte ?
Il y a bien sûr dans ma démarche quelque chose qui tient du défi, du refus de la mort. J'ai connu mon père quatre mois. A peine le temps d'entamer notre histoire. Alors ce livre, c'est en quelque sorte un pied de nez à la mort. Je ne crois pas au hasard des rencontres. Il nous incombe de les transformer en chemin de vie. J'ai décidé de donner du sens à ma rencontre avec mon père, une sorte de passage de témoin. Dire aujourd'hui continuer le travail de Serge Michel peut paraître présomptueux ou prêter à sourire. Autre temps, autres circonstances. Il ne s'agit plus aujourd'hui de risquer sa vie ou son intégrité dans les luttes anti coloniales. Mais il existe d'autres dangers. Les forces d'oppression sont toujours vives et je pense, notamment, au lobby colonialiste qui, en France, tente d'imposer une vision fallacieuse de l'histoire, insupportable pour la cause des peuples ex-colonisés (commémorations et stèles à la gloire de l'OAS, notions de bienfaits de la colonisation, etc.). Il y a donc nécessité à travailler sur cette période pour mettre en évidence la réalité de la gouvernance coloniale et du racisme colonial. C'est ce que je m'emploie à faire dans chacun de mes ouvrages.
Tocqueville a dit que toute révolution est elle même une religion, est-ce donc que Serge Michel est entré en religion en militant contre le colonialisme ?
Votre interrogation est pertinente mais je ne pense pas, concernant le Serge Michel que l'on connaît, que le terme religion soit adéquat. Serge Michel était un libre penseur, anarchiste libertaire. Qui dit libertaire, dit laïque et nécessairement en révolte contre toute religion. Faire de Serge Michel un héros tolstoïen, pourquoi pas ? C'est même un scénario qui ne lui aurait pas déplu. Faut-il voir dans tout engagement révolutionnaire une sorte de mystique ? C'est un autre problème, certes intéressant, mais dans le cas présent, ce n'est pas ce qui m'intéresse.
Le M'zab qui est le dernier refuge de votre père, vous connaissez ?
Lors des obsèques nationales de mon père en 1997, le temps protocolaire de mon séjour ne m'a pas permis cette escapade tant souhaitée à Ghardaïa où Serge Michel a vécu plusieurs années avant son départ forcé pour la France en 1994. Cependant, grâce à ses récits, le M'Zab est resté très présent dans mon imaginaire. Je possède l'un de ses tableaux - il peignait aussi - représentant Ghardaïa. Alors pour moi, le M'Zab ? Un jour, peut-être...
L. N.
Marie-Joëlle Rupp est écrivain, journaliste et conférencière, diplômée en lettres modernes puis en criminologie et pénologie. C'est en 1997 qu'elle découvre l'Algérie en même temps qu'un père, l'internationaliste Serge Michel, militant anticolonialiste et compagnon de route de grands hommes de la Révolution algérienne. Biographe, elle s'est spécialisée dans les acteurs et témoins de l'Histoire liés à la décolonisation en Afrique et en Algérie en particulier. Tous ses personnages ont en commun un engagement humaniste et citoyen ouvert sur le monde.


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